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Le peuple suisse s'indigne

Lettre bernoise 49

Par Gabriel Galice •  • Lundi 11/03/2013 • 0 commentaires  • Lu 1835 fois • Version imprimable


 Cher François,
 

Quel émoi dans le monde ! Indigné, le peuple suisse approuve l’initiative Minder par une majorité de 68%. Fait rare : tous les cantons ont voté dans le même sens, celui du Jura à 77%, celui d’Obwald, le moins enthousiaste, à 56%. Pas de fossé linguistique ou géographique, tous Suisses unis en somme, pour une fois. Est ainsi complété l’article 95 de la Constitution fédérale.

 
Une révolte ? Une révolution ?

Qui est ce Minder, « Robin des Bois des temps modernes », selon une échotière de ton pays de France, « enquiquineur » pour un commentateur helvète ? Né en 1960 à Schaffhouse, entrepreneur de la petite société familiale de cosmétiques Trybol, Thomas Minder vécut un traumatisme commercial en 2002.  La faillite de la compagnie aérienne Swissair rompt un contrat de 500 000 francs suisses avec son entreprise, au moment où Minder apprend que l’ancien dirigeant de Swissair quitte l’aéronef avec un pactole de 12 millions de francs. L’entrepreneur est outré par ce déni de justice. Il lance en 2008 une initiative contre les rémunérations abusives. En 2011, il se fait élire au Conseil des Etats (Sénat) sous l’étiquette « indépendant », avant de s’affilier au groupe parlementaire de l’Union Démocratique du Centre, réputé « populiste » et « nationaliste ». Il promeut le patriotisme économique en militant pour la loi « marque suisse ».  L’organisme faîtier des associations patronales suisses « Economiesuisse » a investi 8 millions pour s’opposer à l’initiative de l’entrepreneur Minder. En vain.

 

La votation populaire intervient peu après l’affaire Vasella, l’ancien patron du groupe pharmaceutique Novartis, qui ambitionnait de se voir attribuer une prime de 72 millions pour ne pas travailler pour la concurrence après son départ. Imagine, cher François, une rente pour éviter la concurrence, vertu cardinale de notre société ! Mais que fait le marché ?! Le chorus des actionnaires et de l’opinion contre cet arrangement entre amis (les Anglo-Saxons parlent de « crony capitalism » - capitalisme de copains) fit reculer le sieur Vasella. Tout imprégné de morgue apprise outre-atlantique, balayant sa modération helvétique originaire, Vasella, sans le vouloir, fit la promotion de l’initiative Minder. Quand la dialectique s’en mêle, l’histoire se précipite !

 

Que dit l’initiative ? Que les conseils d’administration des entreprises suisses cotées en bourse  fixent la masse salariale des dirigeants, interdisent aux dirigeants les indemnités salariales comme les primes de bienvenue et autres parachutes dorés, élisent  individuellement la direction tous les ans et que les infractions sont punissables d’emprisonnement. En somme, la démocratie actionnariale contre l’oligarchie managériale, voire le capitalisme rhénan contre le capitalisme anglo-saxon. Face aux socialistes suisses désireux de s’engouffrer dans la brèche pour limiter la hiérarchie des salaires, Minder s’empresse de préciser qu’il ne souhaite pas cette voie et que son projet ne met pas en cause les bonus. Rémunérations abusives ne signifie pas rémunérations excessives, qu’on se le dise. Le Conseil fédéral, notre gouvernement, doit rendre effectives ces dispositions dans le délai d’un an, par voie d’ordonnance donc. Le parlement devrait en profiter pour mettre des réformes sur le chantier législatif, avec la consensuelle lenteur qui le caractérise.

 

Comme tu le vois, cher François, ce n’est pas la voie ouverte au régime des soviets. Le Royaume-Uni a inscrit dans la loi le « Say on Pay » (les actionnaires ont leur mot à dire sur les salaires des dirigeants) depuis dix ans sans freiner les salaires mirobolants. Imposer même un lien entre résultats et rémunération pour éviter de gratifier l’insuccès ne suffit pas. Car le succès financier à court terme peut dissimuler une mauvaise gestion. De savantes études ont témoigné que le manque d’investissements d’avenir permettait de gonfler les gains immédiats, et les gratifications afférentes. Les exemples abondent.

 

Voilà, cher François, de quoi calmer les inquiétudes ou les emballements des commentateurs empressés. L’hirondelle Minder ne fait pas le printemps de la démocratie économique. Pour plaisante que soit son initiative, Thomas Minder n’est pas Robin des Bois. Un commentateur sagace a écrit : « Le capitalisme peut dire merci à l’initiative Minder ». Que le groupement des entrepreneurs helvètes ne l’ait pas compris nous instruit surtout sur son reploiement sur soi confinant à l’autisme.  La gent économique, la faune politique,  la caste médiatique ont bien là de quoi confronter l’événement aux théories en vogue.

 

Notre peuple suisse reste raisonnable, soucieux de stabilité, hostile à l’exubérance. Son indignation ne vaut pas révolte, encore moins révolution. Un signe toutefois de lassitude, d’agacement, face à la démesure. Le peuple suisse veut un capitalisme responsable, raisonnable, durable.

 
Ton Guillaume tel que tu le sais : contrariant.
 

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