Car l’heure est grave : la crise politique se noue à la crise économique d’ensemble du système capitaliste. On a oublié la crise des « subprimes » puisque les États nations ont pris en charge les faux frais de la crise au prix d’un endettement redoublé – même si cet endettement est déjà très ancien et constitue une des drogues auxquels le système s’est le plus accoutumé. La bulle financière n’a pas vraiment explosé et s’est donc simplement déplacée : les États sont chargés de faire payer les pots cassés à leurs sujets – le terme « citoyen » n’étant à l’évidence plus de saison. Baisse des salaires, licenciements massifs, hausse brutale du chômage, démantèlements des systèmes sociaux : c’est le programme commun de l’Union Européenne pour une crise qui risque, à terme, d’aboutir au déclin accéléré de l’Europe.
Naturellement, on proteste ici et là, on tempête contre une politique insupportable qui fait payer les pauvres et préserve avec toujours plus d’impudence les positions, avantages et privilèges d’une caste dirigeante dont les heurs et malheurs de la famille Betancourt donnent une petite idée. Mais il faut le redire, la crise actuelle ne vient pas d’une mauvaise politique, elle n’est pas due à la malignité des méchants – même si ces méchants existent bel et bien. Que ceux qui n’ont rien paient pour ceux qui ont tout, Sarkozy et Fillon ou Merkel ne sont pas les inventeurs de la formule. Puisque la formule est celle du capitalisme lui-même ! Il n’y a pas la moindre différence de ce point de vue entre les politiques de droite ou de gauche appliquées depuis maintenant plusieurs décennies. Merkel a poursuivi le plan de mise en pièces de l’État social défendu par Schröder – notamment avec les réformes initiées par Peter Hartz en 2002 et 2003. Pour ceux qui ne seraient pas convaincus qu’il existe une communauté de vue entre les principaux partis, le président du FMI, Dominique Strauss-Kahn, indique très clairement comme il compte se conduire si, par malheur, il était élu. En Ukraine, le FMI exige une hausse de 50% du prix du gaz, sans que cela fasse sourciller notre presse si prompte à dénoncer la Russie quand celle-ci demande une hausse des prix du gaz qu’elle livre à l’Ukraine. En Hongrie, le FMI exige une restructuration drastique des chemins de fer, la réformes des retraites, des coupes sombres dans l’emploi public mais refuse obstinément une taxe sur les activités bancaires. En Espagne, Portugal et en Grèce, ce sont des gouvernements « socialistes » qui sont préposés à la mise en œuvre de politiques d’austérité particulièrement violentes.
Où sont les alternatives réelles ? La vérité est qu’il n’y en pas si on considère qu’il faut seulement se contenter d’améliorer le capitalisme, de refaire un « capitalisme social » sur le modèle des « trente glorieuses ». Les remèdes proposés ici et là, qui se ramènent tous à la relance ne conduisent nulle part. Relancer l’économie capitaliste ? Mais comment cela serait-il possible alors précisément que la crise a pour cause la surproduction du capital. Pour qu’il y ait une politique de relance efficace, il faut passer par une destruction massive du capital devenu de la « mauvaise graisse ». Mais cela signifie qu’une part considérable de la richesse sociale réelle va être détruite – fermeture d’usines, chômage massif, destruction de marchandises obsolètes, etc. Dans ce genre de situation, la guerre présente une foule d’avantages : l’économie de guerre et les programmes de reconstructions donnent au capitalisme un nouveau souffle : le mode de production capitaliste est sorti de la crise de 1929 avec la seconde guerre mondiale – et pas avec le « new deal », expérimenté aux États-Unis mais aussi en Europe, y compris par le programme économique de Schacht, premier ministre de l’économie de Hitler et disciple de Keynes. Certes, il vaut mieux se méfier des analogies et les différences entre les années 30 et aujourd’hui sont suffisamment grandes pour que nous ne tirions pas trop vite des conclusions définitives démenties rapidement. Mais le problème est bien celui-là : est-il possible de trouver une nouvelle base pour un redémarrage d’un nouveau cycle d’accumulation du capital ? Les écologistes et le lobby du « développement durable » ont proposé une solution qui pour l’heure semble avoir fait long feu : le développement d’un « capitalisme vert » fondé sur les énergies renouvelables, le renouvellement du parc immobilier (bâtiments à « haute qualité environnementale ») et de nouveaux moyens de transport. Après le vent de folie environnementaliste qui a culminé au moment du sommet de Copenhague, les préoccupations écologiques se sont brutalement évanouies et on peine à trouver encore quelques lignes dans la presse sur le réchauffement de la planète.
Personne n’a de solution crédible à proposer. La stratégie du gouvernement allemand – miser sur les exportations par la politique de compression de coûts salariaux à l’intérieur – consiste en bonne partie à exporter la crise chez les voisins car les exportations des uns ne peuvent être que les importations des autres. Mais ce n’est évidemment pas une stratégie de sortie de crise. Obama n’est pas plus capable d’offrir une issue. Patrick Arthus, un des gourous de la « science économique » propose une relance par la demande avec une augmentation générale des salaires de 20% et une dévaluation de l’euro du même ordre. Séduisante solution, surtout les 20% d’augmentation … mais solution parfaitement illusoire car le problème du capitalisme n’est de produire et encore moins de satisfaire les besoins de la population mais de mettre en valeur le capital et cela la solution Arthus n’y répond pas. Et, pour des raisons qu’on a déjà exposées ici, le retour aux recettes keynésiennes est tout aussi illusoire. On pourrait donc entrer dans une longue phase de stagnation économique, comparable à celle des années 1873-1896 (c’est la position de défend Paul Krugman), une phase plutôt chaotique et dont personne ne peut dire ce qui peut en sortir. Ce qui veut dire que le pire ne peut pas être exclu.
En tout cas, le monde que nous avons connu depuis 1945, mais peut-être plus celui que nous connaissons depuis le XIXe siècle, est en train de disparaître. Les rapports de forces entre les différentes puissances économiques sont d’ores et déjà bouleversés. C’est pourquoi toutes les contradictions du système capitaliste mondial pourraient bien se concentrer en Europe. Prise entre les États-Unis, qui la tiennent pour quantité négligeable, et les pays émergeants, incapable d’unité sur quelque question importante que ce soit, la « vieille Europe » est très mal en point. Elle est incapable de définir une politique internationale commune, comme on le voit sur le Proche-Orient ou l’Afghanistan. Économiquement, les États membres sont souvent obligés de se débrouiller seuls avec le FMI. Elle n’a plus de projet stratégique industriel, ni de projet en termes de recherche ou d’agriculture (sauf à relayer les exigences des trusts de l’agrobusiness en matière d’OGM. Ses gouvernements sont discrédités et ne se maintiennent au pouvoir que parce que leurs oppositions sont encore plus débiles. L’Europe-puissance, capable d’être une troisième force, indépendante des USA, apparaît chaque jour un peu plus comme une rêverie inaccessible. Mais si les élites mondialisées n’ont plus aucun rapport à la nation et à la culture européenne, les peuples, eux, doivent vivre en Europe et le plus souvent sur leur sol national. Et c’est de leur survie dont il s’agit. Quand à Strasbourg, GM (une entreprise sauvée par les deniers publics américains) n’accepte que poursuivre l’exploitation de son usine de boîtes de vitesses que si les ouvriers veulent bien rapprocher leurs conditions de travail et de salaire de l’usine mexicaine, l’essentiel est dit. Quand, d’un autre côté, on voit dans les cités périphériques se développer une délinquance et des règlements de compte entre bandes dont le trafic de drogue est la base, on doit bien constater que le seul avenir que le capitalisme réserve à la vieille Europe est la « tiers-mondisation ».
La crise politique et morale, le sentiment général de pourrissement qui atteint tout particulièrement des pays comme la France et l’Italie, a sa cause dans cette situation globale. Les solutions de replâtrage n’auront aucune efficacité, car le mal est radical, et par conséquent c’est à la racine qu’il faut prendre les choses. La seule question est de savoir si nous sommes encore capables de prendre les choses à la racine, c’est-à-dire de refaire un monde commun, et d’abord d’empêcher que soient défaites les institutions de la civilité encore debout : institutions sociales (comme la sécurité sociale ou le système de retraites), existence de biens communs (comme les services publics), institution d’une vie publique commune à travers l’école, la culture et la politique.
Force pourtant est de reconnaître qu’on a du mal à discerner les prémices d’un mouvement qui irait dans cette voie. Par une sorte de matérialiste un peu vulgaire, les groupes marxistes et assimilés ont eu tendance à fétichiser le mouvement social, c’est-à-dire à attendre que les mouvements spontanés des masses populaires révoltées par les injustices capitalistes fassent le gros du travail, les avant-gardes éclairées se chargeant de donner l’interprétation juste et la direction à suivre. En fait, la considération du passé montre que les mouvements intellectuels dans la société ont le plus souvent anticipé les mouvements sociaux : les Lumières viennent avant la révolution française ! Or, dans les courants les plus critiques, les moins enclins à accepter le consensus droite-gauche, ne brillent que très rarement par leur capacité à aborder de front les problèmes d’aujourd’hui. Les uns tentent de faire revivre le programme commun de l’Union de la Gauche et d’autres ressortent la momie de Staline ou se pâment devant les tyranneaux exotiques pourvu qu’ils aient une posture « anti-impérialiste ». Les trotskistes – si on excepte certains détenteurs des vrais morceaux de la vraie croix – n’en finissent pas de s’éloigner de Trotski sans tirer le moindre bilan de l’échec stratégique de la IVe internationale. Il faut laisser les morts enterrer leurs morts et repenser un horizon d’émancipation axé sur la défense des libertés personnelles et politiques, la critique radicale du capital et la nécessité d’une nouvelle société fondée sur l’association des producteurs et la défense de la culture humaine.
Commission d’enquête de l’Assemblée Nationale sur la grippe H1N1 : évaluation du rapport final
mardi 20 juillet 2010 par Marc Girard
(...) Cependant, ce qui se joue-là, également, c’est l’institutionnalisation du mépris radical des politiques pour les citoyens : alors que le personnel politique ne craint pas d’exploiter comme "victoire prometteuse" une élection gagnée avec moins de 15% des inscrits (cf. Les Perles du 13/07/10), c’est une insupportable arrogance d’accréditer que le refus massif de la mystification grippale et de la supercherie vaccinale serait réductible à l’incapacité des citoyens concernés de choisir leurs sources d’information ! C’est le retour du traité de Lisbonne, à ceci près que la volonté ignorée par la classe politique à l’occasion de ce traité était celle de 56% des citoyens, quand celle sur laquelle ils osent jeter l’opprobre avec un tel cynisme concerne cette fois 85% des Français... (...)
http://www.rolandsimion.org/spip.php?article151