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D'une prétendue révolution fiscale

Par Denis Collin • Actualités • Dimanche 29/12/2013 • 0 commentaires  • Lu 2345 fois • Version imprimable


« Révolution fiscale », voilà l'objectif politique central que Mélenchon et le PG avaient fixé il y a peu de temps. La « gauche » du Parti Socialiste vient de présenter son programme pour une réforme radicale de la fiscalité. Jean-Marc Ayrault, pour se sortir de la crise née de l'application de l'écotaxe, a promis une remise à plat de tout le système des impôts et taxes dans notre pays. Voilà donc la vieille Union de la Gauche en voie de reconstitution ! Essayons de voir un peu plus clair dans ces proclamations guerrières qui prétendent donner une réponse à la revendication de la droite et du MEDEF dénonçant les impôts « confiscatoires » qui plomberaient le dynamisme économique de notre pays.

Comme toujours, le mieux est de partir des questions de principes. Tout se passe comme si, aujourd'hui, il y avait seulement deux camps : les partisans de l'impôt (la « gauche ») et les adversaires de l'impôt (la droite). Chez les partisans du PS, toute revendication contre l'impôt est assimilée à du « libéralisme » voire à du « poujadisme ». Quand Plenel se plaint qu'on veuille saigner les sites en ligne, et au premier chef Mediapart. parce qu'on leur appliquera le taux maximum de TVA (19,6 %) au lieu des 2,6 % en moyenne appliqués à la presse écrite, le voilà renvoyé dans les cordes et assimilé aux « libéraux ». Disons-le franchement : tout cela s'inscrit dans des manœuvres d'intoxication qui visent à éviter que ne soient posées les questions qui fâchent, c'est-à-dire la question des rapports de production. En effet, quel que soit le gouvernement, il prélève des impôts pour que l’État soit en mesure d'accomplir ses fonctions, dont certaines incomberaient à tout État – de l'entretien de routes à l'instruction publique – et dont d'autres correspondent strictement aux fonctions de l'État bourgeois (défense de l’ordre impérialiste, par exemple). De ce point de vue, l'État minimal rêvé par les libertariens et les plus radicaux des libéraux est une rêverie. La dépense publique et donc les impôts sont le carburant indispensable de la machine capitaliste et depuis plus d'un siècle. L'impôt en soi n'est donc pas plus de gauche que de droite.

Mais, objectera-t-on ; la gauche est pour un impôt juste. Soit. La justice a une définition constitutionnelle : chacun doit contribuer au financement de la dépense publique en fonction de ses moyens. La gauche a toujours défendu l’impôt progressif sur le revenu, alors que la droite s’y est longtemps opposée et n’a eu de cesse d’en atténuer la progressivité. Il serait évidemment plus juste que tous les impôts sans exception soient progressifs et, au fond, qu’il n’y ait qu’un seul impôt, l’IRPP. Mais c’est très loin d’être le cas. l’IRPP représente entre 15 et 20 % des recettes de l’État, alors que la TVA produit 50% des recettes fiscales. Quand à gauche, on proclame qu’il faut élargir l’assiette de l’IRPP, on oublie tout simplement ce fait : si de très nombreux foyers dont les revenus sont très faibles sont exonérés de l’IRPP, tout le monde paie des impôts et proportionnellement les foyers à bas revenus – ceux qui peinent à boucler le mois – paient plus que les hauts revenus. Voilà pourquoi la gauche est toujours venue au pouvoir avec des foules de projets en vue de faire progresser la « justice fiscale » d’où devrait sortir la « justice sociale » fondée sur la redistribution.

Malheureusement, il y a un point aveugle dans toutes ces belles théories : les inégalités sociales ne sont pas d’abord des inégalités de revenus mais reposent sur la structure sociale elle-même, c’est-à-dire sur l’existence des rapports sociaux capitalistes. Et là il ne s’agit plus d’inégalités qui pourraient être corrigées en prenant à Pierre pour redonner à Paul. Il s’agit du processus d’extraction de la plus-value : le capital ne peut survivre, tel le Moloch, qu’en suçant le sang du travail vivant – et ceci d’ailleurs n’a pas de rapport direct avec les revenus que tel ou tel possesseur de capital pourra dépenser improductivement. Un capitaliste ascète, se contenant de 5 ou 10 fois le revenu moyen de « ses » employés ne diffère que de peu du capitaliste adepte de la consommation ostentatoire. La théorie « socialiste » de la redistribution est un simple cosmétique appliqué sur le mode de production capitaliste. Elle ressemble d’ailleurs beaucoup plus qu’on ne le croit à la théorie du « ruisselement » selon laquelle tout revenu accumulé en haut de la pyramide sociale finira par être dépensé et finalement retournera dans les poches des travailleurs, y compris les plus pauvres.

Il est un point des projets de réforme fiscale qui mérite cependant qu’on s’y arrête, c’est celui qui concerne la réforme de l’IRPP. Les projets de réforme qui trainent dans les cartons depuis plusieurs décennies ont été défendus en 2007 par Mme Royal. Ils sont repris par divers courants du PS et soutenus par des « théoriciens » comme l’inénarrable Picketty, spécialiste des « inégalités » et surtout besogneux compilateur de statistiques qui ignore tout de ce qu’est le capital. En l’état actuel, ces projets se développent sur trois axes : 1° la fusion de l’IRPP et de la CSG ; 2° la suppression du quotient familial et du quotient conjugal et donc l’individualisation de l’impôt ; 3° le prélèvement à la source.

La fusion de l’IRPP et de la CSG permettrait nous dit-on de rendre la CSG progessive alors qu’aujourd’hui elle frappe proportionnellement tous les revenus. Petit problème : pour l’heure, le produit de la CSG tombe dans les caisses de la sécurité sociale. Si on fusionne CSG et IRPP, le financement de la sécurité sociale dépendra au budget de l’État. Si la sécurité sociale a été conçue par le programme du CNR sur le mode de la mutualisation du salaire différé, avec la fusion CSG/IRPP le procès d’intégration de la sécu à l’État ferait un grand pas en avant et ses ressources deviendraient des variables d’ajustement des politiques gouvernementales. Le modèle CNR 1943 serait remplacé par le modèle de la protection sociale à la Bismarck.

C’est aussi pour lutter contre l’injustice qu’on propose la suppression du quotient familial et son remplacement par un crédit d’impôt forfaitaire en fonction du nombre d’enfants à charge. Évidemment, le système du quotient familial permet à un foyer à revenus moyens ou élevés de déduire beaucoup plus d’impôts qu’à un foyer exonéré d’impôts ! Mais on oublie tout simplement que cette injustice est depuis longtemps compensée par toutes les prestations sociales soumises à conditions de ressources, des allocations logement au bourses scolaires. Le problème encore une fois n’est pas que le portefeuille des quelques-uns soit mieux garni que celui des autres. Le problème, c’est l’extension de la pauvreté due au chômage, aux coûts du logement, au bas salaires et à la précarité. En fait cette mesure de suppression du quotient familial – qui est déjà plafonné – aurait comme seul « avantage » non pas de « faire payer les riches » mais de ponctionner un peu plus les salariés moyens et les cadres.

Mais les « socialistes » vont plus loin : ils proposent d’individualiser l’impôt, et donc de supprimer la notion de « foyer fiscal ». Aujourd’hui les couples mariés ou PACSés ont l’obligation de faire une seule déclaration de revenus. Pour un couple dont les deux membres ont des revenus équivalents, l’opération est neutre. Par contre, pour un couple dont l’un a un revenu plus élevé que l’autre, la déclaration commune permet, en raison de la progressivité de l’IRPP, une économie d’impôts par rapport à ce que chacun devrait payer séparément. Pour les socialistes, cette situation est injuste parce que les couples mariés ou pacsés paient moins que les célibataires ou ceux qui vivent en union libre. Encore une fois, on remarquera combien nos « socialistes » sont sensibles aux petites inégalités, mais parfaitement insensibles aux grandes. Mais au-delà des questions de technique fiscale, il y a quelque chose de plus sérieux. Dans un couple, sauf chez les riches, il y a communauté des biens. Les revenus sont mis dans un pot commun (de chacun selon ses capacités) et les dépenses du ménage visent à répondre aux besoins de chacun. Si l’impôt est individualisé, il faudra que chacun s’occupe de payer « ses » impôts et tout naturellement chacun gérera ses propres dépenses – il faudra établir une comptabilité dans le couple. Autrement dit, le couple n’existera tout simplement plus ; il se réduira à un contrat d’échange des services sexuels – pour rependre une formule de Kant qui s’y connaissait en matière de sexe, lui qui est mort puceau. Après nous avoir cassé les oreilles avec le mariage pour tous, en fait, les socialistes se préparent à la pure et simple suppression du mariage et du PACS. Là où l’échange marchand était encore tenu en bride, les socialistes proposent l’introduction massive de la comptabilité et le règne sans partage de l’équivalent général.

Dernier point : le prélèvement à la source. Ça se fait dans d’autres pays, nous dit-on. La belle raison ! Le prélèvement à la source ferait de l’employeur le collecteur des impôts de ses employés – on voit d’ailleurs pourquoi l’individualisation de l’IRPP faciliterait le travail des comptables. L’employeur devrait connaître la situation fiscale de ses employés – y compris les revenus qui ne proviennent pas du travail ou proviennent d’un emploi secondaire. Cela donnerait tout simplement un nouveau pouvoir de contrôle sur les salariés absolument exorbitant. Pendant qu’on y est, autant lui confier la gestion de l’argent du ménage et on peut parier qu’il trouvera facilement que ses salariés pourraient vivre en gagnant moins.

On voit par les projets de réforme des socialistes (de toutes obédiences) qu’il s’agit derrière le paravent de la « révolution fiscale » de poursuivre par les moyens propres aux socialistes (contrôle étatique et patronal, pseudo-égalitarisme exarcebant les ressentiments) l’adaptation de notre société aux besoins du « capitalisme absolu ». Les subtilités technocratiques, masquées derrière des impératifs techniques, ne font qu’exprimer une conception ultra-libérale, ultra-capitaliste, des rapports entre les humains.


 

Denis COLLIN – le 30 décembre 2013


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