Mon cher Fayçal,
Brutale commémoration du 11 septembre 2001, l’assassinat de l’ambassadeur des Etats-Unis Christopher Stevens et de trois de ses collègues lors de l’attentat contre le consulat de Benghazi fait grand vacarme. Les clameurs de croisades s’amplifient dans moult campements. La britannique gazette The Economist (du 13 septembre 2012), exhorte les Etats-Unis à renforcer leur rôle de gendarme du monde : « Murder in Libya - The world’s policeman must not retreat the world’s dangerous region ; indeed America should do more ». Voici donc l’Amérique invitée à poursuivre son projet de remodelage du Moyen-Orient. La conception du projet « Greater Middle East » remonte à George W. Bush. Le Président Obama, aimablement, le poursuit. Un film jugé blasphématoire serait le prétexte de l’attentat contre le consulat. Stupide prétexte qu’un film fat.
L’affaire, au premier regard, surprend. Le présent arc des tensions du monde n’est pas à Benghazi mais à Damas. Peu d’attitrés commentateurs se demandent si l’arbre de Benghazi n’a pas pour mission première de cacher la forêt syrienne. Je suis enclin, quant à moi, à le penser. L’écran de fumée est une antique pratique de guerre, le détournement d’attention une vieille ruse des soldats, des princes et des brigands. J’ignore quels sont les fautifs mais je gage qu’ils ne partagent pas les vues de l’Occident, quelque confus que soit ce terme impunément usité. La Syrie est l’enjeu du moment, la facétie tragique des télévisuelles lucarnes de nos chaumières accoutumées. Les massacres de l’armée régulière ou des commandos paramilitaires sont surabondamment commentés, quand sont tus ceux des jihadistes. A qui diable se fier ? Il faut sortir nos nez des clichés abrutissants pour aérer nos méninges, s’extirper de la glue médiatique. Il semble raisonnable de considérer que l’attentat de Benghazi est un avertissement valant pour la Syrie. Sur la Syrie, justement, les analyses du Russe Andrej Fursow et du Libanais Georges Corm rompent agréablement avec les assommants poncifs de nos serviles gazettes.
Le jeu de poupées russes, mon cher Fayçal, ne s’arrête pas au balancement entre Benghazi et Damas. Le titre de la britannique gazette fait opportunément écho à un brûlot méconnu « Murder in Samarkand ». Oeuvre d’un ancien diplomate britannique, Craig Murray, lassé des turpitudes de son insulaire patrie, le livre narre les anglo-saxonnes et russes complaisances pour un abominable dictateur dont nos gazettes n’ont cure, le peu recommandable oligarque Islam Karimov, guide suprême de l’Ouzbékistan, pays limitrophe de l’Afghanistan, proche de l’Iran . Sa fille cadette Lola fait de juteuses affaires tout azimut. Sa fille aînée, Gulnora, possède des intérêts dans une société ayant à Zoug pignon sur rue. Nonobstant leurs difficiles relations, les deux sœurs résident dans la cossue commune de Cologny, à une encablure de Genève. L’empire familial est édifié à coups de détournements de ressources nationales et de fonds publics, de tortures et d’exécutions sommaires, d’intimidations, de bâillonnements de la liberté des citoyens et de la presse, de bonnes relations avec toutes les puissances enfin. Il faudrait que Karimov fasse d’énormes faux-pas pour que le présentateur de notre télévisuelle lucarne se mette à le vilipender avec autant d’entrain que les Saddam et autres Assad. D’un dictateur allié, le Président Franklin Roosevelt répondait à un interlocuteur le traitant de salaud : « C’est peut-être un salaud mais c’est le nôtre ». (« Yes, but he's our bastard »)
Là est la clé du mystère, mon cher Fayçal : la question est de savoir de quel coté sont les canailles, qui, à quoi et pour combien de temps ils servent. Le reste est amusement de populace orchestré par les bouffons patentés des princes qui nous gouvernent.
Porte-toi bien, mon cher Fayçal.
Ton Guillaume tel qu’il demeure, dubitatif.
Berne, le 23 septembre de l’an de grâce 2012.
Une très longue et argumentée analyse sur la situation de l'opposition syrienne face aux « évènements » : http://libertesinternets.wordpress.com/2012/08/31/face-au-chaos-syrien-leffondrement-de-la-conscience-politique-arabe/#more-7506