J’ai pris conscience que ma phobie[1] des religions, la peur que me causaient tous ces gens assurés de détenir la vérité, était injustifiée : des autorités « responsables » me l’ont attesté. La douceur des croyants, leur respect des autres est proverbial. Mgr Barbarin en témoigne autant que Benoît XVI et tous ces chrétiens qui manifestent pour faire interdire un film, une pièce de théâtre, une exposition qui les choquent. L’Islam n’est pas en reste. Pas plus et pas moins que l’hindouisme, le judaïsme ou le bouddhisme[2]. Il convient donc de ne « pas provoquer » ces gens-là en se permettant de critiquer leurs croyances de façon (forcément) « irresponsable. »
Faisant donc amende honorable, je me joins au chœur des anti-laïcs et des « intellectuels » putassiers pour réclamer le respect de toutes les Fois (la majuscule, pour témoigner de ma toute neuve révérence). Il devrait être interdit de rigoler de la croyance aux farfadets, au korrigans et aux lutins. Certes, mon tout récent passé de libertaire et de libre penseur pourrait laisser penser que je ne suis pas parfaitement sincère dans mon ralliement au cléricalisme. Il convient cependant que je donne des gages à toutes les Églises, à tous les clergés. Je vais donc me faire délateur et contribuer à mettre hors d’état de nuire un dangereux mécréant, provocateur de surcroît.
Il circule encore, en France, des écrits scandaleux et susceptibles de mettre le feu aux poudres. Ainsi, on peut y lire le texte d’une pièce de théâtre intitulée : Le Fanatisme ou Mahomet le prophète. Ce dernier y est représenté comme un être libidineux et manipulateur. Sous couvert de l’Islam, la piècecritique en fait le catholicisme. Elle a été jouée trois fois, en 1742, avant d’être, heureusement, interdite. L’auteur, un certain François Marie Arouet, n’osant signer de son nom, de peur d’une fatwa ou d’un rescrit, s’est dissimulé sous le pseudonyme de Voltaire ! Il conviendrait, me semble-t-il, d’interdire que l’on mette cette pièce en scène sur toute l’étendue du territoire français (DOM-TOM, Québec, AEF, AOF, Indochine et îles Kerguelen[3] compris). Cet Arouet étant un mauvais esprit, qui maintes fois a écrit contre les religions, je propose que l’on interdise tous ses livres, notamment son Dictionnaire philosophique, susceptible de provoquer chez un croyant moyen des crises nerveuses graves. Il serait souhaitable de l’embastiller, ce provocateur des croyants ! Hélas, la chose est impossible : on m’a dit qu’il était tout à fait mort. Toutefois, j’ai aussi appris qu’il reposait au Panthéon : ne pourrait-on en retirer ses cendres et les disperser aux quatre vents ? J’ai aussi entendu, mais je n’ose y croire, que l’on enseigne sa pensée impie aux lycéens français ! Que font le Président de la République et le gouvernement pour éradiquer toute trace d’un écrivaillon si néfaste, qui ne cesse de provoquer les religions (et surtout les religieux) qui, comme chacun le sait, sont aujourd’hui, en France, persécutées par la laïcité ?
Qu’on veuille bien imaginer ce qu’il adviendrait si un metteur en scène décidait de monter la pièce de Voltaire : fatwas, manifestations, attaques de locaux diplomatiques français… Il faudrait, en raison des troubles à l’ordre public[4] provoqués par le seul sieur Arouet, interdire toute représentation de la pièce. Donc, puisqu’il est dorénavant impossible de jouer Voltaire en France, il faut supprimer ce qui reste de Voltaire de façon que ce qu’il appelait : « l’Infâme » puisse prospérer. Les Suisses ne s’y sont pas trompé quand, en juin 1993, le département des affaires culturelles de la ville de Genève a refusé les subventions qui auraient permis de monter Mahomet. Les raisons données à ce refus sont des plus convaincantes : « Même si Voltaire croise le fer avec le catholicisme, Mahomet ou le Fanatisme présente les musulmans comme des personnages sanguinaires. La pièce peut toucher et exacerber les sensibilités religieuses. En tant que politiciens, notre rôle n’est pas d’alimenter les conflits mais de veiller à faire diminuer les antagonismes religieux.[5] » Rien de tel, pour « diminuer » une contradiction, que d’en supprimer l’un des termes, en l’occurrence les incroyants, les mal-pensants et l’esprit critique. Il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin : tous les auteurs des Lumières doivent être proscrits et, comme tout ce qui ne s’est pas écrit sous la dictée de Dieu (ou de Gabriel) risque de heurter tel ou tel fidèle, interdisons toute autre lecture que celles des divers livres saints. Ceci vaut, bien sûr, pour tous les autres arts : la représentation de l’être humain étant interdite par le Coran, supprimons la peinture et la sculpture figuratives pour ne pas choquer les musulmans ; interdisons les films impies pour satisfaire les chrétiens[6]… Incontestablement, les choses vont dans le bon sens. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, a inauguré la mosquée de Cergy, le 6 juillet 2012, en ces termes : « Je suis le ministre des cultes… Ce message sera en tout point identique à celui que la république adresse à toutes les religions, car elle les regarde avec la même bienveillance et leur ouvre les bras. » Les choses sont désormais claires : la loi de 1905, séparant l’État des Églises, n’est plus. En effet, elle supprimait le maroquin de ministre des cultes pour le remplacer, au ministère de l’Intérieur, par un Bureau central des cultes. Elle affirmait en outre que « la république ne reconnaît aucun culte » : aujourd’hui, elle « ouvre les bras » à tous et exclut donc les misérables qui ne croient pas[7] ! Encore un effort pour contenter les Églises, « Leurs dieux ont toujours soif, n’en ont jamais assez », comme disait ce mécréant de Brassens, aussi condamnable que Voltaire.
J’espère que mon message passera et que l’on n’entendra plus parler d’Arouet. Pour ma part, j’ai mis celles de ses œuvres que je possède dans une caisse que j’ai soigneusement dissimulée pour pouvoir continuer à les lire, le jour où la prêtraille va la ramener… Je crois bien n’être pas complètement converti au cléricalisme !
[1] Le mot « phobie » signifie « peur » et non haine. L’auteur de ces lignes est islamophobe, christianophobe, judéophobe, bouddhistophobe (etc.) : il a peur de toutes les religions et de se faire un jour égorger par un illuminé à qui « Dieu » aura fait une confidence.
[2] Les gens bien intentionnés qui défendent « la liberté religieuse » au Tibet me font doucement rigoler. Avant l’invasion chinoise de 1959, les Tibétains n’ont connu qu’une seule liberté : celle d’être bouddhistes et soumis à un régime féodal. Le sort qui leur est fait depuis est atroce et mérite qu’on les soutienne. Il n’empêche que le Dalaï-Lama parle toujours de « liberté religieuse », jamais de « liberté de conscience. »
[3] On pourrait y choquer des pingouins et des phoques dévots.
[4] Il est bien évident que les manifestations, les agressions, les incendies, les meurtres commis par les croyants outragés ne sont pas des troubles à l’ordre public mais une réaction simple et naïve à la critique.
[5] M. Alain Vaissade, conseiller administratif de la ville de Genève.
[6] On pourrait bien sûr objecter que personne n’est obligé de lire un livre, de regarder un film, de contempler un tableau.
[7] Il n’est jamais question des Français qui n’adhèrent à aucune religion… et qui sont majoritaires.
Quel vent frais ! La vie !
Merci Alain Quesnel.