Ce texte va être présenté le 10 novembre 2017 devant les Insoumis de l’ENS, par Frédéric Farah.
(Insoumis, encore un effort pour être réellement insoumis !)
Vous m’avez demandé d’exposer mes différences avec la France insoumise sur les questions européennes. Sincèrement, je vous remercie, car ce sont les questions qui me tiennent à cœur et qui ont été au centre de mon dernier livre, Union Européenne, la grande liquidation démocratique.
Avant toute chose, bien des points me rapprochent de la lecture des Insoumis et leur dénonciation d’une Europe libérale ne peut que susciter mon assentiment. Néanmoins, mon éloignement relatif provient d’une différence profonde de lecture quant à la nature de l’Union européenne, mais aussi de la démarche requise par la France Insoumise pour sortir de l’impasse actuelle. Une impasse qui, à mon sens, est déjà présente dans les débuts de la construction européenne. Maastricht et les dispositifs institutionnels suivants rendent simplement manifeste un néolibéralisme latent.
Comme il est hors de question de faire des procès d’intention ou mettre dans la bouche des acteurs des mots qu’ils n’auraient pas prononcés, je répondrai à vos questions en me fondant uniquement sur des propos de Jean-Luc Mélenchon ou que l’on trouve sur la plateforme programmatique de la France Insoumise ou sur le site du plan B : l’affaire est trop sérieuse pour être maltraitée.
L’actualité me permet de commencer à partir de la dernière intervention significative de Jean-Luc Mélenchon lors du sommet du plan B à Lisbonne le 21 et 22 octobre 2017. Il affirme :
« S’il y a un plan B, c’est qu’il y a un plan A, ce sont des propositions raisonnables pour sortir des traites européens et ramener l’Europe dans le chemin auquel on avait pensé d’abord celui du progrès social, de la démocratie et de la paix »
Jean-Luc Mélenchon m’offre ici une formidable entrée pour mettre en évidence nos désaccords : c’est en « économiste citoyen », à votre table ce soir, que je m’exprime[1]. Il me semble, en effet, que Jean-Luc Mélenchon, fin de connaisseur de l’histoire, se trompe ici et cède à une lecture historiquement erronée de la construction européenne : c’est celle qui laisserait accroire qu’il eût un jour une bonne Europe, acquise au progrès social et à une forme de démocratie, mais qui aurait été pervertie à partir de la décennie 1980 par la montée en puissance du néolibéralisme. Et qu’il conviendrait séance tenante de la retrouver. Si c’est le cas, le vote de Jean-Luc Mélenchon en faveur de Maastricht se comprend … Il a peut-être cru, aussi, à l’époque, que cette Europe du progrès adviendrait par le canal de l’Union monétaire.
Exposons brièvement pourquoi historiquement, cette lecture ne correspond en rien à la réalité de la construction européenne et résulte d’une confusion qui grève tout le reste.
Jean-Luc Mélenchon confond les compromis historiques d’après-guerre inscrits dans les histoires nationales avec la construction européenne. Pour le dire avec plus de clarté, il confond le lieu de déploiement du keynésianisme d’après-guerre, à savoir un espace nommé Europe, avec l’objet institutionnel qu’on nomme la Communauté européenne, puis l’Union européenne. Le CNR, le Préambule de 1946, le rapport Beveridge, la constitution italienne de 1946, portent des marques nationales spécifiques et aussi l’esprit d’un temps plus sensible à l’égalité, surtout après le terrible génocide des Juifs, mais aussi plus sensible à l’égalité : il restait en face du bloc capitaliste un molosse soviétique et un parti communiste puissant en France. Il conviendrait aussi d’évoquer une classe ouvrière française encore porteuse dans les années 1950 d’un projet de transformation radicale de la société.
La France a alors engagé « un réformisme de la peur » comme dirait Pierre Rosanvallon. Elle est entrée, pour le dire avec les mots du même auteur, dans l’ère de l’Etat « modernisateur et keynésien ». La construction européenne a peu à voir avec cette affaire ; elle est moins l’enfant de la seconde guerre mondiale et d’une supposée réconciliation avec l’Allemagne qu’une construction dont le moteur central a été la lutte contre le communisme. L’Union européenne s’est grippée aussi avec la disparition du mur. N’oublions pas - et je pourrais développer si vous le souhaitez - que l’Acte Unique de 1986 est l’enfant de la crise des euromissiles de 1979.
La France pousse la CECA à garder la main sur l’agenda diplomatique et nourrit une méfiance à l’égard de l’Allemagne et réciproquement ; Dean Acheson invite les Français à conduire une initiative diplomatique des 1949. Une invitation pressante qui a eu son poids dans la déclaration Schuman de 1950.
Le Traité de Rome est plus encore l’enfant de la crise de Suez que de je ne sais quel élan fraternel. L’Allemagne après-guerre est surtout mue par son ordolibéralisme. Elle s’inquiétait de voir une Europe trop keynésienne ou pire socialiste. L’économie sociale de marché définie par Armack ne signifiait pas arraisonner le marché par le social mais subordonner le second au premier. Dans l’histoire de la construction européenne, le social devait soit découler de l’économique, soit se soumettre à lui.
Le Traité de Rome n’est qu’un traité de compromis entre des forces plus interventionnistes - disons françaises pour faire vite -, d’un côté, et d’autres, plus libérales, à savoir allemandes. Le statut des services publics l’atteste dans le traité de Rome. Il est laissé la possibilité aux nations de les administrer à leur guise : monopole public, délégation de service public, ou encore gestion privée. Mais le ver est dans le fruit car la concurrence non faussée, et non pas encore » libre et non faussée », comme en 1986, est érigée en principe de l’édifice.
Le budget européen est dès le départ pensé pour être en équilibre et ne pas remplir des fonctions de redistribution. L’adhésion de la France dès les années 1950 modifie le rapport au budget et au financement de l’économie, avec la crainte exprimée dans les cercles européens d’un excès de dépense publique qui explique pourquoi une certaine élite française - dont VGE est le symbole - réclamera le recours aux marches financiers en lieu et place des circuits du trésor et ce dès le milieu des années 1960.
Je me permets de citer le papier peu connu de l’historien A. Rowley, « une dette insuffisante le cas français 1958 1974 » : « En un sens, 1958 clôt l'après Seconde Guerre mondiale et la période des déficits budgétaires compris entre 4 et 6 % du P.I.B. (à l'exception unique de 1950). Au moment où la France entre dans l'Europe, l'idéal de l'équilibre budgétaire d'avant1914 redevient d'actualité. » La recherche de l’équilibre budgétaire n’a pas attendu Maastricht. Elle est l’aiguillon de toute la construction européenne
Plus encore, l’Union européenne n’a en rien garanti la paix, elle l’a été par les effets indirects de la guerre froide. C’est une mystification de le croire. L’Allemagne divisée a très vite compris que sa sécurité ne dépendait pas de sa voisine mais des Etats-Unis qui la réarment et la protègent, faisant naitre une alliance intime entre les deux nations, que seul un imprudent Trump remet en cause.
La « démocratie » nous dit Jean-Luc Mélenchon : de quoi parle-t-il. A quel moment, la construction européenne qui fut essentiellement élitaire, fut-elle une démocratie ? J. Delors T Padoa Schioppa, des acteurs de premier rang de cet édifice institutionnel, parlent eux-mêmes de « despotisme éclairé », « d’expérience démocratique limitée ». Le Parlement européen, n’a été qu’un vague supplément d’âme dont il y a peu à attendre. Qu’il suffise de penser à sa position sur les traités de libre-échange récemment négociés ou sa relance du processus de titrisation. Le grand échec de Maastricht s’exprime dans l’incapacité de passer de l’Europe des 50 000 à celle des 400 000 millions. Je m’explique. La construction européenne a été le produit d’élites issue de la haute administration, ou encore du patronat, mais jamais une affaire populaire. D. Wolton dans « l’Europe la dernière utopie démocratique » en 1993, expliquait que le moment Maastricht, moment de méfiance à l’égard des peuples, qui soudain s’invitaient dans le débat, n’ a pas permis de repenser la construction à nouveaux frais pour acter de la fin de la Guerre froide, de l’élargissement futur, et de ce désir des peuples de se voir plus étroitement associés à cette affaire.
Le symbole de ce ratage fut la distribution dans les boites aux lettres du traité, écrit dans une langue absconse. Plus de 400 articles, sans compter les annexes, un texte élitaire et surtout repoussant. La vieille logique technocratique l’emportait encore. Face la protestation de peuples incrédules devant tant d’abstraction, il fut opposé le mantra libérale : la pédagogie. Le peuple mineur avait besoin d’autorités supérieures pour lui expliquer l’avenir radieux qui lui était proposé.
Après ce moment si loin de toute démocratie, il a fallu attendre les années 2000 pour revoir le référendum, celui de 2005, dont le résultat connu le sombre destin que l’on sait … L’UE fonctionnait selon le principe de l’Europe pour les peuples sans les peuples, elle n’a jamais voulu incarner le progrès social. Jean-Luc Mélenchon confond ses souhaits avec la réalité historique. Alors, et c’est déjà c’est le premier point de rupture : comment vouloir revenir à un état antérieur qui historiquement n’a jamais existé ?
Jean-Luc Mélenchon confond en réalité la logique nationale et la logique européenne car il reste victime du discours dominant, propagé par son ancien parti, celui de l’Europe comme paix, démocratie, c’est la fameuse internationale de substitution. Mais, il s’agit d’une imposture : cette internationale n’a jamais voulu le progrès des ouvriers. Pire, aujourd’hui, elle est devenue le bras armé du capital. L’Union européenne ne dessine aucun compromis acceptable entre le capital et le travail, elle déclare la guerre à ce dernier, l’enfonce et rogne sur ses acquis de la période antérieure, à savoir le droit du travail et la protection sociale. La fameuse révolution numérique est l’occasion rêvée de réintroduire le contrat de louage et le paiement à la tâche.
Ne croyons donc pas que les démocraties nationales représentent le camp de la vertu face au monstre européen. Les intérêts de classe traversent les frontières et se jouent d’elles. Les Lemaire, Macron, Darmanin, Wauquiez ont tout autant envie de liquider l’Etat social que Dijjeslebloem ou Schäuble ou Renzi. Il y a une communauté de vue, parfois les modalités différentes, mais pas de différence quant aux fins. Jean-Luc Mélenchon veut ainsi nous conduire vers une utopie, au sens premier du terme, c’est-à-dire nulle part. …
Pour ma part, avant d’envisager une réponse à la question européenne, il faut donc s’entendre sur l’histoire et ce, sans concession, et sortir des livres d’image. Les mots comme social, Service public n’ont guère le même sens dans l’Union européenne. Quand le processus de Lisbonne de 2000 et actualisé pour donner naissance à la stratégie Europe 2020 invoque le social, c’est dans le sens d’une sphère adaptable aux besoins du marché et non pour lui faire pièce. Je ne sais si nos élites ont imaginé une construction européenne qui ne serait que la France en agrandie, mais les faits font observer une autre réalité.
L’Union européenne - anciennement « communauté » - s’est élaborée en renversant totalement nos principes d’organisations, à savoir ceux qui ont caractérisé notre économie mixte d’après-guerre. En matière monétaire, nous n’avions pas d’allergie viscérale à l’égard de l’inflation. Nous avons vécu avec elle et nous a servi pour éponger la dette, garantir une certaine paix sociale. Nous sommes devenus allemands en matière monétaire dans les années 1980. Nous avons abandonné nos services publics et nos modèles de champions nationaux. La liste serait longue qui montrerait en quoi la construction européenne nous est étrangère.
Dès 1957, Pierre Mendès-France s’inquiétait des chemins que prendrait le marché commun. Il fut visionnaire. Ce qu’il faut admettre, c’est que « la révolution tranquille » des années 1980 pour reprendre l’ouvrage de Jabko, c'est-à-dire la conversion de la Communauté européenne au marché comme principe organisateur des sociétés. Autrement dit la liquidation progressive ou organisée des compromis antérieurs a rendu les membres de cette construction moins des partenaires que des concurrents. Les stratégies économiques qui découlent de cet état de fait sont mortifères puisqu’elles sont non coopératives et consistent simplement à exporter son chômage chez le voisin.
Dans ce diagnostic, un autre élément de divergence s’ajoute que je retrouve dans l’appel au plan B. Deux moments me laissent bien perplexes lorsqu’il est dit que
« le traité de Lisbonne avec l’acte unique, le marché commun et les directives principales les mettent en place est une pierre angulaire de la contradiction entre l’intégration européenne néolibérale et les démocraties européennes garantissant aux peuples la pleine jouissance des droits civiques politique et sociaux. »
Je ne sais s’il y a contradiction car ce sont ces mêmes démocraties européennes qui ont vu dans l’Union européenne, la solution à ce que l’on a nommé « l’ingouvernabilité » des sociétés européennes dans les années 1970. Ce propos laisse aussi entendre que les démocraties européennes sont attachées aux droits et qu’un corps étranger les mine. L’Union européenne dans ses directions centrales a été pensée par ces mêmes démocraties européennes. Le problème est moins d’opposer ces deux pôles que de retrouver des élites politiques désireuses de vouloir encore les garantir et de ne plus faire de l’Union européenne, l’instrument commode de liquidation des compromis entre le capital et le travail, opérés dans les lendemains de la guerre.
Quant au second passage, voilà quelques observations :
« Les règles du pacte de stabilité et de croissance et maintenant TSCG font partie des principales raisons de l’inégalité et de l’échec économique parce qu’elles refusent aux démocraties la capacité financière de mettre en œuvre des politiques sociales majeures »
Là encore, la cécité est vraiment frappante. Le problème, c’est aussi et surtout Maastricht et donc l’Euro comme méthode de gouvernement et d’une BCE qui par sa politique de quantitative easing produit des inégalités. L’appel du plan B - hormis de manière indirecte en parlant de choix monétaires à revoir ou de peuples préférables à la défense de l’euro - ne jette pas une lumière crue sur les impasses libérales du moment. La monnaie unique me semble bien dédouanée. La peur d’inquiéter que l’on a retrouvé dans l’entre deux tours dans le flou de Jean-Luc Mélenchon surgit à nouveau. Nous l’écoutions, encore récemment à l’Assemblée nationale, sur le prélèvement européen expliquant qu’il était possible de recouvrir des sommes pour rester dans les clous des 3%. Ce n’est pas un argument à notre sens, car il faut refuser de raisonner par rapport à cette catégorie comptable qui est délétère.
A aucun moment, Jean-Luc Mélenchon ne mentionne le plan B auquel il s’associe, la dangereuse libre circulation des capitaux ou encore l’ordre concurrentiel né de l’Acte unique ou la suprématie juridique du droit européen. C’est là que nous mesurons, le gouffre qui nous attend, car si l’on ne revoit pas l’Acte unique, si on ne se réapproprie pas notre monnaie, ou encore on n’en finit pas avec la financiarisation de l’économie, tout devient bavardage. La première ligne de fracture se situe là. L’Union européenne n’a jamais représenté un moment progressiste, n’a pas été socialiste, n’a en rien était un contrepoids à une forme doctrinaire du libéralisme.
Ce qui était latent au début du processus européen est devenu manifeste de nos jours avec deux éléments majeurs qui ont constitué une cage de fer terrible : l’Acte unique et la monnaie unique comme méthode de gouvernement.
Par ailleurs, Jean-Luc Mélenchon nous dit faire des propositions raisonnables pour sortir des traités européens : mais pour moi il n’a tiré aucune conclusion de la mésaventure grecque de 2015, de l’infortuné Varoufakis, incapable de convaincre ses partenaires, car l’idéologie la plus dogmatique commande à Bruxelles et à Berlin . La manœuvre plan A et plan B vient tuer tout effet de surprise si l’on veut récupérer sa souveraineté. Pour envisager une sortie de l’Euro ou une nationalisation de la BCE, agir vite et par surprise est une nécessité, et éventer la stratégie dès le départ ne sert à rien. Ce sont des risques bien dangereux qui pèseraient sur l’entreprise comme des attaques spéculatives massives.
Pire, ces propositions raisonnables ont pour interlocuteur principal, la nation qui ne veut plus rien entendre, l’Allemagne qui va être conduite par un coalition plus que jamais hostile à une modification de l’ordre allemand sur le continent, ordre accepté et voulu par nos élites. Il faut suivre les tractations à Berlin pour comprendre que le temps de l’inflexion dans l’ordolibéralisme n’est pas à l’ordre du jour. La crise dite des dettes souveraines a permis à l’Allemagne de s’enrichir à la fois sur le dos des Grecs et de payer encore moins cher sa dette. Mieux, elle trouve des solutions à sa situation démographique en instrumentalisant la crise migratoire à son profit.
L’Allemagne défend ses intérêts nationaux à n’importe quel prix, et nous-même, eh bien nous sacrifions les nôtres : mais les nôtres ce n’est pas la guerre ou je ne sais quel chauvinisme, c’est notre cohésion sociale, l’intérêt de nos travailleurs et nos emplois. Nous continuons chimériquement à croire à cette fameuse « autre Europe » composée de tous les gars de la terre. Mais, il faut être froid et clinique : rien ne milite pour son existence aujourd’hui. A l’est, les dérives les plus droitières rendent l’air irrespirable, l’Allemagne laisse place à l’extrême droite au Bundestag, l’Espagne se désagrège, l’Italie verrouille sa loi électorale pour maintenir la domination des anciens partis et abandonne ses travailleurs, la Belgique craque aussi, la Grèce a été économiquement et socialement rayée de la carte, le Portugal vivote …
Alors quelle alliance ? Il faut abandonner ces chimères du partenariat franco-allemand ou une Europe méditerranéenne, la France a reculé en Europe. Nous ne pouvons plus offrir à des peuples à bout de souffle, la démocratie en 2025 comme l’égaré Varoufakis.
Le temps de la souveraineté a sonné.
Je vous avouerai aussi mon inquiétude car le temps passe et les occasions manquées sont désormais trop nombreuses. Aujourd’hui, la gauche de gouvernement en Europe est en passe d’être balayée partout sur le continent car elle n’a plus rien à dire depuis longtemps. La gauche radicale déçoit aussi : la reddition de Tsipras a porté un coup mortel a tout espoir de changement politique en Grèce. Podemos manque aussi de clarté sur la question européenne et semble plutôt loin que proche du pouvoir.
Aujourd’hui la tâche est immense car il s’agit de récupérer une souveraineté perdue et largement abîmée. Il me semble que le double mouvement plan A et plan B soit voué à l’échec et représente du temps perdu. Il apparait nécessaire de réquisitionner la banque centrale, suspendre provisoirement la libre circulation des capitaux, utiliser les armes de la Constitution comme l’article 16. Là il y aura urgence. Je ne crois pas qu’on puisse faire l’économie d’une certaine confrontation qui ne se peut se traduire par une simple désobéissance, il s’agit rien de moins de produire des actes de souveraineté pour prendre notre destin en main. Ce sera certes difficile, et plus que ça. Mais c’est la condition pour demeurer une entité politique encore viable et capable d’inventer un avenir.
L’urgence me paraît moins dans un sauvetage d’une Union européenne qui est morte car elle appartient à un monde qui n’existe plus ou qui a succombé à trois illusions mortelles.
L’Union européenne est morte car Maastricht et ses avatars successifs sont les enfants du consensus de Washington dont même le FMI pense à se débarrasser ; elle est morte, car elle a cru qu’une sortie de l’histoire était possible et qu’elle pouvait être une puissance commerciale à l’abri de l’Histoire. Elle est enfin morte car elle pensait que le parapluie américain existerait toujours et que l’adieu aux armes était possible. Mais elle a tragiquement expérimenté que l’adieu aux larmes n’était pas pour demain.
Elle a pensé être une puissance commerciale vivement dans le monde du commerce et du droit et que seules les mécanismes économiques harmoniseraient les intérêts et les passions. Elle est morte, car de son pseudo élitisme transformé en oligarchie, elle a étouffé la démocratie.
A l’heure de la grande émancipation comme dirait Foucher à propos de l’affirmation des émergents, l’Union européenne telle qu’elle fut pensée, guidée par son « anti-nationisme » primaire a signé son acte de décès ; elle survit sous forme zombie.
Paul Thibaud dans sa discussion avec Jean Marc Ferry affirmait en 1993, que 12 souverainetés additionnées n’en font pas une, le propos peut être élargi à 27 ou 28.
Vous me diriez que je jette bébé avec l’eau du bain, qu’une colère m’égare. Je n’ignore pas l’héritage de plus de 50 ans de ce processus politique. Je me réjouis de voir que la négociation et les compromis l’ont davantage emporté que les affrontements. Mais s’il y a l’endroit, il y aussi l’envers, Camus nous le dit, l’un ne peut s’envisager sans l’autre. L’appel au droit et l’économie pour bâtir l’édifice Union européenne s’est traduit par une dépolitisation préoccupante et une construction par la bande qui démocratiquement inquiète. Il y aurait tant à dire sur le rôle de la cour de justice de l’Union ….
Il s’agit alors de sauver l’espace national non pas comme on dit au nom d’un identitarisme ou je ne sais quel amour de la terre ou des morts, ou pour célébrer le pays réel contre le pays légal mais comme principe politique.
La nation à défendre, ce n’est pas la nation génie mais la nation contrat, la nation civique ; à partir du moment où les référents de classe et de nation disparaissent, c’est la montée du thème de l’identité qui submerge les reste. A partir de ce glissement, nous pourrions refaire l’histoire de notre nation depuis les années 1980. L’effondrement de la nation sous les coups du butoir de la construction européenne ou du libéralisme, libère la tyrannie des petites différences et des primo-appartenances.
La France a fondé son contrat sur la raison et non la révélation. La nation civique parce qu’elle se désagrège parce qu’elle n’est plus une communauté de redistribution, elle dérive alors dans le communautarisme. Ce qui nous unit, c’est un référent politique celui de la citoyenneté. L’Union européenne a joué les pyromanes en excitant les petites différences : identités particulières, régionales car guidée par une lecture fausse des origines de la seconde guerre mondiale. La guerre n’a pas été l’enfant du nationalisme mais du racialisme : osons le dire !
Si demain nous voulons inventer de nouvelles coopérations en Europe, mais une Europe loin très loin de celle-ci, il faut empêcher les ferments d’une guerre civile froide à l’intérieur des nations
Il faut maintenir ce qui nous rassemble plus que ce qui nous divise. Sauver les nations pour espérer inventer autre chose que l’Union européenne. Le cadre tant idéologique, sociale qu’économique de cet ensemble, n’apparait plus contenir des principes particulièrement nécessaires à notre temps.
Vous me permettrez de terminer par une référence singulière, celle du regretté Daniel Bensaïd, cela peut paraitre étrange, car son trotskisme ne le portait pas vers la nation. Mais, il demeure à notre sens un penseur politique fécond.
« L’aventure politique comme l’aventure esthétique et l’aventure amoureuse, nourries de la nostalgie d’instants d’éternité, d’événements impromptus et inoubliables, mais aussi du sens du tragique, nous lancent dans l’avenir comme un coup de dés. Mettre en jeu sa vie dans te tels paris n’a-t-il pas plus de souffle que l’enlisement dans les habitudes paresseuses et les pensées étriquées des univers académiques ? Sans se gonfler d’importance, sous prétexte de ce souffle, mais dans une fidélité inquiète à ceux qui se sont battus et qui ont perdu provisoirement ».
La nuit finira.
[1] Keynes étant un modèle, selon le mot de Bernard Marris cf.
http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=27246100119070
Excellent texte que je valide