Georges Gastaud, auteur du papier ci dessous, est Philosophe, secrétaire national du Pôle de Renaissance Communiste en France (P.R.C.F.), président du Collectif Unitaire Républicain pour l’Initiative, l’Émancipation et la Résistance Linguistiques (CO.U.R.R.I.E.L.). Auteur entre autres de Marxisme et universalisme, Delga, 2015, et de Lumières communes, traité de philosophie à la lumière du matérialisme dialectique (Delga, 2016).
« A chaque fois qu’affleure, d’une manière ou d’une autre, la question de la langue, cela signifie qu’une série d’autres problèmes est en train de s’imposer : la formation et l’élargissement de la classe dominante, la nécessité d’établir des rapports plus intimes entre groupes dirigeants et la masse nationale-populaire, c’est-à-dire de réorganiser l’hégémonie culturelle ».
Antonio Gramsci, linguiste, dirigeant communiste et antifasciste italien.
« Il ne restait de ce pays que son langage. Un beau langage qui servait à tout. Vous savez, comme on a chez soi une chose précieuse qui est là depuis si longtemps qu’on en use à n’importe quoi, à empêcher la fenêtre de se fermer, et le petit la prend comme une règle pour dessiner, et c’est un presse-papier si commode ! Qui donc se souciait que ce fût un pays, ce pays, et il est indiscutable que c’est un grand progrès que de perdre ce sens de la jalousie, cette haine du voisin, cet orgueil de son toit, un grand progrès sur les ténèbres, un grand progrès sur le néant ».
Louis Aragon, écrivain résistant, parlant de la signification de la langue et des lettres françaises sous l’Occupation.
Alors que l’entreprise d’arrachage du français et des autres langues nationales au profit du Business Globish franchit un seuil critique en France et en Europe, force est de reconnaître que, jusqu’ici, la résistance des forces progressistes à cette inavouable politique oligarchique reste faible, retardataire, dispersée, voire… inexistante. Si l’on excepte le PRCF, qui en fait un pilier de sa proposition stratégique de Front Antifasciste, Patriotique, Populaire et Ecologiste, et l’association internationaliste CO.U.R.R.I.E.L. qui fournit en permanence un travail d’analyse et de mobilisation progressiste en matière de résistance linguistique, le mouvement ouvrier et populaire n’a pas encore vraiment saisi que cette stratégie linguistique d’arrachage des langues nationales d’Europe et de substitution du tout-anglais au français (et à l’allemand en Allemagne, à l’italien en Italie, etc.) constitue un enjeu stratégique, Gramsci dirait : « hégémonico-culturel », pour l’oligarchie euro-atlantique, pour le MEDEF, pour l’UE-OTAN, sans parler du « PMU », ce Parti Maastrichtien Unique polycéphale composé des LR, des Euro-Ecologistes « verts », des LREM macroniens et du parti « socialiste ».
Pourtant, l’attentat linguistique est systématique, visant tous les secteurs « de prestige » de la société :
· Publicité et enseignes commerciales, les PME et TPME étant souvent « conseillés » en ce sens par les institutions patronales
· Journaux, revues (« Society », « We demain », « So Foot »…) et médias, où les émissions et les chaînes illégalement titrées en anglais pullulent dans l’indifférence quasi-totale du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel,
· Chanson, où les quotas radiophoniques de chanson francophone ont été récemment abaissés (à la demande du CSA, censé pourtant protéger la chanson francophone !) et où la « France » officielle s’affiche le plus souvent en anglais ou plutôt, en franglais bas de gamme, au concours annuel de l’Eurovision,
· Recherche scientifique, où certaines revues subventionnées par l’argent public ne se donnent même plus la peine de publier en français, voire excluent les articles en français alors que l’aptitude à lire et à comprendre ce qu’il finance de ses deniers est un droit élémentaire du citoyen-contribuable,
· Ecole et Université où les gouvernants (ceux-là même qui, avec Claude Allègre, ont réduit les horaires de LV au lycée !) poussent à enseigner en anglais les disciplines les plus diverses et à pratiquer dès la Maternelle le « bain linguistique » anglophone alors qu’à cet âge, l’accès des bambins à la langue maternelle française n’est pas encore structuré (si bien que le seul résultat probable sera seulement de déstabiliser le français des jeunes francophones sans leur permettre d’accéder plus tard, par la connaissance approfondie de leur langue, et par l’apprentissage méthodique d’autres langues, un véritable plurilinguisme),
· Entreprises privées et publiques, où nombre de cadres supérieurs sont cyniquement recrutés en tant que « English Mother Tongue » (« anglais langue maternelle », ce qui, soit dit en passant, institue une préférence nationale à l’envers lors de l’embauche !) et où, imitant Volkswagen, qui a renoncé à l’allemand, des multinationales comme Airbus, PSA, Renault, basculent carrément toute leur documentation interne à l’anglais avec la complicité manifeste du gouvernement français représenté, voire majoritaire, dans certains conseils d’administration.
· Sport, avec l’entêtement du comité « Paris 2024 », soutenu par Anne Hidalgo, de « vendre » « Paris-J.O. » en anglo-américain sans crainte de prostituer et d’humilier notre langue, notre capitale, notre pays et notre héritage culturel (dont fait partie la refondation des J.O. de l’ère moderne par un Français…),
· Politique, avec Fillon, Hamon et Valls faisant assaut d’anglais devant les caméras se « se vendre » aux électeurs, avec Macron humiliant la France, l’Allemagne et leurs langues respectives en choisissant Berlin pour discourir en anglais dans le cadre de l’élection présidentielle française et truffant ses interventions publiques de toutes sortes de termes franglish incompréhensibles au commun des citoyens…
· Défense « nationale » où, subordination totale à l’OTAN et à la « défense européenne » obligent, l’anglais devient la langue de travail officielle de l’armée « française » en violation flagrante de la Constitution !
Les enjeux de classe et géostratégiques de cet arrachage linguistique géant, qui induit déjà des effets structurels inquiétants sur notre langue (non seulement sur son vocabulaire mais sur sa syntaxe et sur sa phonétique), sont colossaux sur les plans politique, social et sociétal : il s’agit notamment pour la classe dominante mondiale de…
· pulvériser les Etats-nations existants, dont la langue est l’identifiant le plus directement sensible aux citoyens, au profit d’un Empire euro-atlantique redistribué en « Grandes Régions » (où l’on feindrait de favoriser, tout en le maintenant dans le ghetto linguistique des activités « festives » et « domestiques », une langue régionale ou « transfrontalière » pour mieux désétablir les langues nationales et pour, incidemment, installer le tout-anglais à l’entreprise et sur la place publique) ; et avec la casse des Etats-nations, c’est la production nationale (en France, en Italie, etc.), les acquis sociaux, les services publics nationaux, les statuts publics, l’Education nationale et les conventions collectives nationales construits dans le cadre national qui seraient arasés, sans parler de la capacité des mouvements ouvriers à construire, voire tout bonnement à dire, des mobilisations « tous ensemble et en même temps » contre les contre-réformes eurolibérales ;
· durcir la stratification sociale européenne et mondiale avec, tout en haut, une « élite » oligarchique de P.-D.G., de grands actionnaires, d’hyper-rentiers, de « jet setters » et de très hauts cadres dont l’anglo-américain « langue maternelle » serait le code distinctif universel ; tout en bas de la pyramide, ceux qui ne parleraient « que » leur langue nationale de plus en plus déclassée, reléguée et « empatoisée », donc devenue de moins en moins capable de dire les évolutions technoscientifiques ; et au milieu, des couches moyennes se distinguant du bas peuple par leur accès minimal au globish, c’est-à-dire à une non-langue, voire à une novlangue « managériale » définitivement découplée de la culture des pays anglo-saxons*, sans être pour autant capables de rallier l’« élite » ; quant aux travailleurs immigrés venus de pays francophones d’Afrique, inutile de dire qu’ils seraient définitivement marginalisés et doublement pénalisés sur le plan linguistique…
· installer une novlangue mondiale unique, vecteur de marché, de pensée, d’économie, de politique uniques : celles de l’UE, du CETA, du « TAFTA » (sous telle ou telle forme imprévisible) et de l’OTAN ; tant il est vrai qu’une langue ne sert pas seulement à communiquer mais qu’elle permet avant tout de structurer la pensée et l’échange des locuteurs. Or, rien de plus « marketé » et plus fortement porteur d’idéologie « managériale » et « consumériste » que le Business-Globish ! Quoi de plus sourdement « globalitaire », de plus « capitalo-formatant » et de plus sourdement exterministe qu’une telle entreprise européenne et mondiale, capable à terme de détruire l’un des fondements anthropologiques de l’humanisation, la pluralité des langues et des cultures et l’échange fécond qu’elle permet ou, du moins, qu’elle peut permettre en principe, en termes d’égalité et d’altérité ?
Pourtant, la pitoyable affaire du slogan olympique en anglais inscrit sur la Tour Eiffel en 2016 a tellement heurté l’opinion publique française que de nombreux média ont, par exception, relayé le communiqué commun que l’association CO.U.R.R.I.E.L. avait d’emblée proposé aux autres associations. Plus de 80% des citoyens sondés ont d’ailleurs condamné cet attentat linguistique qui insulte tous les Francophones du monde, sans parler des étrangers qui nous font l’honneur d’étudier notre langue sur les cinq continents ; à tous, Anne Hidalgo, maire de Paris, et Bernard Cazeneuve, l’ex-premier ministre qui a cautionné cette cérémonie néocoloniale, ont honteusement signifié qu’à leurs yeux, l’anglais, ou plutôt le Globish bas de gamme, est désormais la seule vraie « langue universelle ».
Mais la contrepartie de ce début d’insoumission linguistique populaire est aussi, hélas, que le FN, qui n’avait jamais aucun soutien actif à la langue française*, entend désormais dévoyer le patriotisme linguistique des Français et des autres Francophones au profit de sa sordide idéologie xénophobe. Raison de plus pour…
- … ne pas abandonner ce sujet vital à l’extrême droite, comme d’autres sujets lui ont déjà été si longtemps délaissés en vertu d’un faux internationalisme : drapeau tricolore, Marseillaise, souveraineté nationale, Frexit progressiste…
- … qu’ensemble, les militants progressistes, politiques, syndicaux ou associatifs, qui ont jusqu’ici fait fort peu de choses ensemble sur ce front du combat de classe, retrouvent l’élan politique, culturel et linguistique qui était celui de la gauche populaire à l’époque de Victor Hugo, puis à celle du Front populaire, des Lettres françaises, de Barbusse, de Prévert, d’Eluard, d’Aragon ou de Jean Ferrat.
- … que, sur des bases conjointement patriotiques et internationalistes, les mouvements progressistes, et d’abord ceux qui sont opposés à l’UE, au Pacte transatlantique et à l’OTAN, combattent la langue unique, vecteur de la destructive idéologie néolibérale unique dont le tout-globish est le « facilitateur » européen et mondial.
- … que les syndicalistes de classe, s’emparent de cette question avant que des millions de salariés ne deviennent des parias linguistique dans l’entreprise… ou à la porte des entreprises !
- … que les militants de la vraie gauche cessent de marcher, à la suite d’Europe-Ecologie-les Verts, dans l’escroquerie antirépublicaine de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, qui, sous couvert de défendre les langues régionales (ce patrimoine indivisible de toute la Nation), détruit la citoyenneté française universaliste, déstabilise l’officialité de la « langue de la République », met l’argent public à la disposition des euro-séparatismes réactionnaires… et continue chemin faisant d’ignorer l’apprentissage laïque de l’arabe première ou seconde langue dans nos collèges et lycées publics.
- … que les défenseurs de la nature et de sa foisonnante « biodiversité », défendentaussi la diversité des langues ébranlée par le tout-anglais et par la sous-culture capitaliste « made in Hollywood » dont il est l’un des vecteurs : car il n’y a de langue et de culture véritables que s’il existe des langues, des cultures, et des échanges équitables entre elles. Souvenons-nous de la parole réellement internationaliste et authentiquement européenne (et non pas européiste !) de feu le grand écrivain italien Umberto Eco : « la langue de l’Europe, c’est la traduction ! ».
Creuset du lien social, terrain et instance de clarification des affrontements de classes, « langue de la République » au titre de l’article II de la Constitution, sédimentation en devenir de toute notre histoire nationale dans ses contradictions, premier service public du pays et ciment de la Francophonie internationale, bien commun par excellence de la France, du Québec, des pays de l’Afrique francophone, d’Haïti, de la composante francophone de la Belgique et de la Suisse, trésor et ressource d’avenir de la culture mondiale, rempart national et mondial face à la barbarie de la novlangue et de la « non-langue » euro-mondialisée unique, la langue française est en grave danger. Ne prétextons plus jamais d’un pseudo-internationalisme, qui ne fait que repeindre en rose l’euro-mondialisme oligarchique au sein du mouvement ouvrier, pour délaisser cette grande question politique et sociale. Dans toutes nos luttes contre le MEDEF, contre l’UE et contre les gouvernements successifs qui les servent, « reprenons langue » et tendons aussi la main aux résistances linguistiques des pays voisins ; faute de quoi un jour prochain viendra où les mots nous manqueront pour crier d’une seule voix « Tous ensemble ! » face aux casseurs d’acquis et de peuples souverains !
Faux amis du français, de la République française et des francophones, les dirigeants et les députés FN, Marion Le Pen en tête, fréquentent assidument, de Bruxelles à Strasbourg en passant par Anvers, les nationalistes flamands qui persécutent les Francophones de Belgique et qui affichent arrogamment leurs visées irrédentistes sur la ci-devant Flandre française…