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De Mai en Mai ...

Par René Merle • Actualités • Mardi 06/05/2008 • 0 commentaires  • Lu 1254 fois • Version imprimable


Dans la sauce médiatique dominante dont nous sommes abreuvés jusqu’à satiété, les aspects politiques et sociaux de Mai 68, et de ses conséquences, sont quasiment occultés au profit de l’aspect sociétal.

 

D’où l’absolution implicite donnée à ceux des anciens combattants qui paradent dans l’Establishment néo-libéral : n’assument-ils pas à leur façon les valeurs sociétales de Mai ?

Et, si l’on pousse jusqu’à la caricature, de réjouissantes analyses font, au plan personnel, du Président imprécateur anti soixante-huitard un héritier des briseurs de tabous d’alors.

Par les temps qui courent, cette double occultation (aspect politique, aspect social) n’a évidemment rien d’innocent dans un pays où social et politique sont indissolublement depuis longtemps liés dans l’aspiration à la République démocratique et sociale. (Pour autant, la dénoncer ne signifie en rien nier l’importance majeure de mai 68 au plan sociétal).

Au plan social, le bouillonnement gréviste des premiers mois de 68, les dix millions de grévistes de Mai, si tant est qu’on les évoque, sont ainsi rangés du côté de la vieille bureaucratie syndicale et politique dépassée par l’Événement, et, plus largement, du côté de cette France grise et moutonnière, figée dans des conduites sociétales héritées du XIXe siècle. Impasse est ainsi faite sur la réalité des rapports et des conflits de classes, pour employer un mot banni du vocabulaire post-moderne...

Au plan politique, le pouvoir menacé par l’embrasement de mai est ramené à la solitude altière d’un vieil homme dont la gloire passée ne compensait plus l’inaptitude à comprendre les temps nouveaux. L’impasse ainsi faite sur le rapport des forces politiques et la nature du pouvoir conforte, a posteriori, le sentiment que ce pouvoir était à prendre, sans presque coup férir. La puissance des manifestations pacifiques aurait suffi. Sans coup férir ? Faut-il rappeler qu’en français d’antan « férir » signifier « frapper », et frapper fortement ? Faut-il rappeler que la France de 68 sortait à peine de « l’affaire algérienne », huit années de violence terrible dont la Ve République était née en Mai 58. On ne peut qu’être interpellé, dans notre France aussi friande de commémorations, par la distorsion entre le battage actuel autour de Mai 68 et l’absence significative du rappel de Mai 58. Car, comme le rappelait récemment l’historien Alain Ruscio, il s’est quand même passé des choses en Mai 58 : (cf. http://www.europe-solidaire.org/spi...). Les tenants de la Ve République battront peut-être tambour commémoratif, cet automne, pour l’anniversaire de la Constitution (sept.oct 58), mais pour l’heure, se gardent bien d’évoquer le coup d’État militaire algérois de Mai 1958 qui propulsa au pouvoir le Général.

Dans une situation de crise liée directement à ce qu’on appelait pudiquement les événements d’Algérie, la Cinquième République est née à la fois de l’intervention directe de l’armée de métier et des ralliements « réalistes » de la majorité de la classe politique. Mais quel De Gaulle accédait au pouvoir ?

Pendant la guerre de 1939-45, le Général n’avait pu que constater la trahison de la classe dirigeante, alors que les forces vives de la Résistance se recrutaient dans le peuple. De ce fait, en dépit de ses opinions conservatrices, il avait en 1944 avalisé, tant par patriotisme que par réalisme, le programme du Conseil National de la Résistance, programme de démocratie politique et de justice sociale auquel nous devons un système de protection sociale et de scolarisation que l’Europe nous envia, jusqu’aux démantèlements actuels. Quatorze ans après, la Quatrième République mise à genoux par son enlisement dans les guerres coloniales, le Général « au dessus des partis » apparut aux forces conservatrices de notre pays le meilleur garant de leur domination de classe. Il fut certes, une fois encore, l’homme de son destin, mais il fut aussi, d’une certaine façon, leur homme. Et, pour corriger le tableau idyllique très souvent dressé aujourd’hui de ces dix années gaullistes (58-68), faut-il rappeler que la guerre d’Algérie perdura jusqu’en 62, et que le préfet de police Papon réprima de façon sanglante les manifestations parisiennes de 61 et 62. Comment imaginer que dix ans après, en mai 68, ces forces conservatrices allaient aussi facilement se laisser déposséder du pouvoir ? Dans son numéro 390 (30 avril au 6 mai 2008), le très consensuel hebdomadaire « Marseille l’Hebdo » peut évoquer, sans susciter de polémiques, les dispositions prises fin Mai 68 pour arrêter et regrouper sur deux stades marseillais des centaines de « rouges ». La déferlante gaulliste qui suivit l’appel du Général du 30 mai permit au pouvoir de demeurer dans la légalité. On peut certes réécrire l’histoire, stigmatiser la prudence de la C.G.T, l’attitude timorée des dirigeants communistes, l’opportunisme arriviste d’un Mitterand à Charléty, pour monter comment la Révolution a été trahie. Mais du côté populaire, qui voulait véritablement en découdre ?

L’immense fête qu’ont été les occupations d’usines, les cortèges, la solidarité fraternelle, les discussions de rue, n’avaient pas pour finalité un affrontement violent. « CRS / SS » ? Le slogan estudiantin, pas plus que l’usage ludique du mot « Révolution », ne correspondaient vraiment à l’expérience vécue de beaucoup. Comment négliger le fait que, parmi les salariés, plusieurs millions d’hommes avaient, de 1954 à 1962, porté l’uniforme en Algérie et savaient ce que la guerre civile veut dire. Comment négliger le fait qu’en 1968 bien des Résistants de 1943-44 étaient des quadragénaires actifs (tout jeunes Georges Séguy et Henry Krazucki, par exemple, avaient connu les camps de déportation nazis).

C’est sur un autre plan que se jouait la partie, dans le nœud du social et du politique constamment présent dans notre histoire nationale. C’est justement cette absence de perspective politique concrète, en distorsion avec la force immense du mouvement, qui explique l’échec. Revenir sur cette période révolue ne saurait donc laisser indifférents les démocrates d’aujourd’hui, à un moment où se consomme la désaffection populaire à l’égard du politique, et l’écartèlement entre le bouillonnement de la protestation sociale et le bipartisme institutionnel du néo-libéralisme.

René Merle


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