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Dossier Guy Môquet

I. LES FAITS

Par Raymond Morvan • Histoire • Dimanche 07/10/2007 • 0 commentaires  • Lu 1848 fois • Version imprimable


Ce dossier comprend deux parties
I les faits, les objectifs
II le contexte historique (à venir)

La seconde partie, qui revient essentiellement sur la politique du PCF de 38 à juin 41, sur ses mensonges et omissions à propos des otages de Châteaubriant, n’a pas l’intention d’épuiser la question du contexte (en quelques pages..) mais de contribuer à la discussion entre ceux que cela intéresse.

Raymond Morvan
 

On aurait tort de considérer comme secondaire la décision d’Etat de faire lire dans les établissements scolaires, sur injonction du président de la République et du ministre de l’Education, la lettre de Guy Môquet, jeune militant communiste fusillé par les nazis le 22 octobre 1941.

Dans de nombreux collèges et lycées des enseignants font part de leur intention de refuser, collectivement et/ou individuellement, de lire cette lettre, considérant qu’une lecture d’Etat, émancipée des programmes nationaux et de leur progression raisonnée dans l’année, objet de diverses manipulations de nature politique et d’interventions extérieures dans les établissements, ne peut que créer un précédent grave pour l’instruction publique, l’établissement de la vérité historique, l’indépendance pédagogique des enseignants et la laïcité.

Pas de faux procès : nul ne nie le courage de Guy Môquet et le caractère émouvant de sa lettre. Beaucoup d’enseignants avaient déjà l’habitude, lors de cours d’histoire ou de français, de citer, d’étudier, cette lettre et bien d’autres, comme celle de Missak Manouchian par exemple (mais Sarkozy n’allait quand même pas faire lire la lettre de Manouchian au moment où l’on fourbit les charters contre les immigrés et les seringues chargées de contrôler leur ADN...)

Mais lorsque les enseignants travaillent sur ces textes ils le font dans le cadre des programmes et de leur progression, en les soumettant à analyse, en les situant dans l’histoire et en refusant les interprétations orientées qui ne manquent pas (nous y reviendrons dans la seconde partie).

A un proviseur qui le pressait de lire la lettre lors de ses 5 cours, le 22 octobre, un professeur d’histoire a répondu simplement : « je ne le ferai pas, ce n’est pas ma conception du métier ».

Il s’agit bien de cela en effet.

Le métier d’enseignant exige rigueur, précautions, contextualisation et recherche de la vérité historique.

Le métier d’enseignant ne supporte pas qu’au nom d’un bénéfice politique attendu le passé soit subverti, qu’une histoire émotionnelle, à mille lieues de l’histoire réelle, soit promue par les plus hautes autorités de l’Etat qui prétendent dicter aux enseignants une pédagogique officielle et des lectures d’Etat.

En effet, que se passe -t il ?

C’est le 18 mars 2007, dans un « discours à la Jeunesse de France » que Nicolas Sarkozy, estime que la dernière lettre à sa famille du jeune communiste Guy Môquet, fusillé à l’âge de 17 ans « devrait être lue à tous les lycéens de France ».

Le jour de son investiture, le 16 mai 2007, Sarkozy se rend au monument de la cascade du Bois de Boulogne où 35 résistants ont été exécutés par des SS le 16 août 1944. Lors de cette cérémonie une lycéenne lit la lettre de Guy Môquet et Sarkozy annonce : « ma première décision de président de la République sera de demander au futur ministre de l’Éducation nationale que cette lettre soit lue en début d’année à tous les lycéens de France ».

La façon dont le futur Président évoque la mémoire de Guy Moquêt mérite qu’on s’y arrête car elle est bien caractéristique d’un style particulier qui vise le « pathos » et cherche à engluer les faits et l’histoire dans une « mémoire » émotionnelle, ramenée à la mémoire individuelle, aux relations individuelles, à la communauté de destin des individus, mais faisant litière du contexte social, des rapports de classe, des choix politiques, des engagements de militants....

Car, avec Sarkozy c’est une évidence, le style c’est l’homme... politique :

« Il était sérieux, il était profond, il était grand Guy Môquet quand il fut fusillé par l’occupant. La veille de sa mort il a 17 ans, il écrit à ses parents et à son petit frère.

« Ma petite maman chérie, Mon tout petit frère adoré, Mon petit papa aimé »

 (...) Chacun ressent ce qu’est la grandeur d’un homme, et ce qu’il faut d’amour au fond pour s’engager ainsi sans fanatisme, sans aveuglement, pour être digne d’une famille que l’on aime et parce que l’on a la fraternité humaine chevillée au corps.

« Ma petite maman chérie ». Ce mot d’amour que nous portons tous en nous et que nous n’avons pas dit, quand nous le pouvions, aussi souvent que nous aurions dû. Ce mot d’amour et de tendresse prononcé au seuil de la mort, je veux vous dire une chose importante, il n’est pas ridicule. Il est, pour tout être humain, simplement bouleversant.

Être jeune, demeurer jeune, c’est savoir accepter d’être bouleversé par la sincérité d’un sentiment si fort (...). À ceux qui ont osé dire que je n’avais pas le droit de citer Guy Môquet parce que je n’étais pas de gauche, je veux dire que je demeure stupéfait de tant de sectarisme. Guy Môquet appartient à l’histoire de France et l’histoire de France appartient à tous les Français.

Président de la République je veux rassembler tous les Français et leur dire que j’honorerai tous ceux qui ont fait la grandeur de la France, sans me préoccuper de la couleur de leur peau, de leur appartenance politique, de leurs origines sociales.

Je veux dire que cette lettre de Guy Môquet, elle devrait être lue à tous les lycéens de France, non comme la lettre d’un jeune communiste mais comme celle d’un jeune Français faisant à la France et à la liberté l’offrande de sa vie, comme celle d’un fils qui regarde en face sa propre mort et dit à ses parents et à son frère le dernier mot d’amour qui sera tout ce qui restera vivant de lui dans leur cœur (...). »

D’emblée, donc, l’annonce sarkosienne indique à la fois l’exigence, lire la lettre... et le mode d’emploi qui préside à sa mise en œuvre : la lettre « devrait être lue non pas comme une lettre de jeune communiste mais comme la lettre d’un jeune français ».

En clair, il s’agit de détacher les raisons de l’emprisonnement et de l’exécution de Guy Môquet de ses motivations et de ses engagements, parfaitement connus et indissociables des raisons qui ont conduit à sa mort.

En un mot, pour promouvoir l’utilisation politique dans le présent d’un évènement historique passé le futur président exige que cet évènement passé soit en quelque sorte bridé, amputé et réduit à son objet propagandiste présent.

Et il faudrait que les enseignants soient subordonnés à une telle « méthode », de telles intentions, de telles pratiques ?

Qui était Guy Môquet ?   Guy Môquet, né le 26 avril 1924, est le fils aîné de Prosper Môquet, militant communiste et militant CGTU, élu député en 1936. Le 26 septembre 1939, juste après la signature du pacte de non-agression germano-soviétique, le PCF est dissous. Prosper Môquet, arrêté, est déchu de son mandat de député, et condamné en avril 1940 à 5 ans de prison.

Guy Môquet milite à Paris aux JC (Jeunesses communistes, organisation clandestine) et diffuse des tracts. Le 13 octobre 1940, il est arrêté. Après divers transferts, il est incarcéré, en mai 1941, au camp de Châteaubriant (Loire-Atlantique).

Après l’invasion par Hitler de l’Union soviétique en juin 1941, le PCF appelle à la lutte armée contre l’occupant nazi. Le 20 octobre 1941, le lieutenant-colonel Fritz HOTZ, Feldkommandant de Nantes, est exécuté par des militants communistes.

Sur ordre du ministre de l’intérieur du gouvernement de Vichy, Pierre Pucheu, une liste d’otages est établie. Guy MÔQUET est désigné pour faire partie des otages de Nantes et Châteaubriant qui seront fusillés en représailles le 22 octobre 1941 par les Allemands ( le même jour, 27 otages sont fusillés à Châteaubriant, 17 à Nantes et 4 à Paris).

La lettre de Guy Môquet (Châteaubriant, le 22 octobre 1941) :

  Ma petite maman chérie
Mon tout petit frère adoré
Mon petit papa aimé

 Je vais mourir ! Ce que je vous demande, à toi en particulier petite maman, c’est d’être courageuse. Je le suis et je veux l’être autant que ceux qui sont passés avant moi. Certes, j’aurais voulu vivre, mais ce que je souhaite de tout mon cœur c’est que ma mort serve à quelque chose. Je n’ai pas eu le temps d’embrasser Jean (a), j’ai embrassé mes deux frères Roger et Rino (a). Quant à mon véritable (b) je ne peux le faire, hélas ! J’espère que toutes mes affaires te seront renvoyées, elles pourront servir à Serge qui je l’escompte sera fier de les porter un jour. A toi petit papa, si je t’ai fait ainsi qu’à ma petite maman bien des peines, je te salue pour la dernière fois. Sache que j’ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m’as tracée.  Un dernier adieu à tous mes amis, à mon frère que j’aime beaucoup. Qu’il étudie, qu’il étudie bien pour être plus tard un homme.  17 ans et demi ma vie a été courte, je n’ai aucun regret, si ce n’est de vous quitter tous. Je vais mourir avec Tintin (c), Michels (d). Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c’est d’être courageuse et de surmonter ta peine.

 Je ne peux pas en mettre davantage, je vous quitte tous, toutes, toi maman, Serge, Papa, en vous embrassant de tout mon cœur d’enfant. Courage !

 Votre Guy qui vous aime.
Guy  

(a) : militants communistes détenus en même temps que Guy Môquet, qu’il appelle ses frères.

(b) : Guy Môquet veut parler de son véritable frère, Serge.

(c) : Jean-Pierre Timbaud, militant communiste, syndicaliste CGTU,

(d) : Charles Michels, député communiste (Paris).

(Nous ne rentrons pas ici dans la polémique sur les 2 versions de cette lettre, l’une à l’encre et l’autre au crayon ...RM ) 

La lecture de la lettre de Guy Môquet

La lecture se fera au matin du 22 octobre, au moment où le Président se rendra au lycée Carnot ( le lycée où Guy Môquet fut élève) et commémorera lui-même la mort de Guy Môquet.

Un film sera diffusé au même moment sur toutes les chaînes publiques et la chaîne parlementaire.

C’est une véritable opération médiatique qui se prépare, doublée de cérémonies au niveau des établissements, dans lesquelles l’enseignant sera marginalisé : la lecture de la lettre pourra être assurée par un ancien résistant, mais aussi par « toute personnalité dont l’engagement, le rayonnement ou la notoriété pourraient sensibiliser les élèves ». Et pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté « Cette lecture ne devait pas être réservée aux professeurs d’histoire-géographie. ».

C’est une manière d’avouer que ce n’est pas l’analyse critique, la mise en perspective qui importent ici, mais le pathos et une forme de « communion » avec le Président qui, bien entendu, est supposé incarner la France éternelle.

D’ailleurs, et sans doute pour donner l’exemple de toutes les compétences qui pourraient être mobilisées à l’occasion de cette lecture d’Etat, c’est un spécialiste bien connu en matière de seconde guerre mondiale, l’arrière du XV de France, qui a été chargé du premier exercice.

Le message présidentiel est clair : « J’accorde à l’amour de la patrie plus de valeur qu’au patriotisme de parti ». Il vise toujours le même objectif, substituer une communion émotionnelle à la réflexion, un réflexe de type « tribal » bien connu : qu’on soit du côté du capital ou du côté du travail, on est tous de la même patrie...

Demandez aux dirigeants d’EADS, ils confirmeront...

Il ne s’agit évidemment pas d’enseignement et, de ce point de vue, l’opération s’inscrit totalement dans un travail mené depuis fort longtemps pour substituer dans l’école elle-même « l’éducation » (qui tourne ici au formatage idéologique conduit par l’Etat) à l’instruction.

En somme, l’histoire vue comme une succession de clips, une saga du samedi soir à la TV, désincarnée de ses contextes, de ses tensions, de ses affrontements d’intérêts, de politiques, de classes...

Des personnages historiques transformés en icônes ou en martyrs, l’histoire réduite à des sauts de puce entre personnalités historiques au gré des villes traversées pendant une campagne présidentielle (de Rouen à Toulouse : de Jeanne d’Arc à Jaurès !), une histoire à la mode d’Epinal qui enfile comme des perles les citations de Blum et Barrès en passant par la dernière trouvaille, Guy Môquet.

Et, évidemment, une histoire orientée.
Très vite les premiers trucages apparaissent.

La seconde lettre de Guy Môquet adressée à une jeune fille, Odette, qui lui avait promis un baiser, tient en deux lignes :

Ma petite Odette, je vais mourir avec mes 26 camarades, nous sommes courageux. Ce que je regrette, c’est de ne pas avoir eu ce que tu m’avais promis. Mille grosses caresses. » 

La note de service du ministre de l’Education nationale porte pour titre « 22 OCTOBRE : COMMÉMORATION DU SOUVENIR DE GUY MÔQUET ET DE SES 26 COMPAGNONS FUSILLÉS »

La substitution au mot « camarades », inscrit dans toute l’histoire du mouvement ouvrier, du mot « compagnons » renvoyant à la tradition gaulliste, n’est évidemment pas fortuite. M. Darcos, ministre et professeur agrégé de lettres classiques ne peut l’ignorer... mais les exigences de l’opération politique sont évidemment plus fortes que la rigueur sémantique.

Bulletin officiel de l’Éducation nationale du 30 août 2007 (extraits) qui a publié : la Note de service n° 2007-138 du 2 août 2007 : 22 OCTOBRE : COMMÉMORATION DU SOUVENIR DE GUY MÔQUET ET DE SES 26 COMPAGNONS FUSILLÉS

 (...) Le 22 octobre 2007, le président de la République commémorera le souvenir de Guy Môquet, cet élève résistant du lycée Carnot arrêté à 16 ans en octobre 1940, puis fusillé le 22 octobre 1941 après avoir adressé, la veille de sa mort, une lettre poignante à sa mère. Cet épisode n’est malheureusement pas le seul moment tragique de cette période sombre, mais il fait partie des temps forts de l’histoire de notre pays et, à ce titre, mérite de servir d’exemple à la jeune génération.

(...) La commémoration au cours de la matinée du 22 octobre commencera par la lecture, en classe ou en grand groupe selon le choix des établissements, de la lettre de Guy Môquet. Cette lecture pourra être confiée à tous ceux qui, résistants ou déportés, peuvent aujourd’hui encore témoigner directement des sacrifices consentis. J’invite à cet effet les équipes éducatives à se rapprocher des fondations et associations de mémoire afin d’établir ce lien tangible entre les générations. Il sera également possible de solliciter toute personnalité dont l’engagement, le rayonnement ou la notoriété pourraient sensibiliser les élèves. Cette lecture pourra être suivie d’autres, laissées à l’initiative de chacun et choisies par exemple parmi les textes ci-joints.

 Le programme se poursuivra par une réflexion collective menée dans le cadre de la classe. On exploitera notamment les thèmes liés à la mémoire de la Seconde Guerre mondiale dans les programmes d’enseignement notamment d’histoire, de lettres, de philosophie. (...)

 Je remercie l’ensemble des équipes éducatives de s’associer à cette commémoration et je demande aux corps d’inspection territoriale de suivre avec attention les modalités de sa mise en œuvre.

Le ministre de l’éducation nationale
Xavier DARCOS

La cérémonie est donc prête, planifiée et chacun se prépare à y prendre sa place.

« L’actu », journal gratuit destiné aux lycéens, lance dès le 12 septembre la préparation du 22 octobre.

Dans les établissements, les proviseurs démarchent les futurs lecteurs enseignants et multiplient les invitations aux maires et députés pour qu’ils assurent leur part du travail patriotique (et ce n’est pas le moindre bénéfice attendu de la journée que d’habituer les lycées à le venue d’hommes politiques dans leurs établissements, et de faire de ceux-ci les censeurs vigilants, et certainement inspirés, des paroles évidemment « fortes » qui seront prononcées à cette occasion).

A la Réunion le dispositif, par son exagération même, révèle au grand jour les intentions profondes, mais qui devraient certainement rester plus discrètes, de tous ces efforts.

De la transformation d’un lycée en caserne : Nicolas Millet, écrivain qui vit à la Réunion, raconte...

Guy Môquet fait des vagues à la Réunion

Pour cause de vacances scolaires, c’est le 29 octobre prochain (et non le 22 comme en France métropolitaine) que les collèges et les lycées de l’île de la Réunion sont invités à commémorer, comme l’a souhaité le président de la République, l’exécution de Guy Môquet, jeune résistant français. Cette célébration fait suite à la publication par Xavier Darcos, ministre de l’Education nationale d’une circulaire, le 30 août dernier au bulletin officiel. Mais une note, adressée par le proviseur du lycée Roland-Garros du Tampon à ses personnels, a créé l’émoi en salle des professeurs et suscite dors et déjà de vives réactions sur l’île.   En effet, le lycée a décidé de respecter à la lettre, et même au-delà, les directives présidentielles et ministérielles, ce qui a eu le don d’agacer de nombreux professeurs. La "note à tous les personnels" prévoit une cérémonie en grande pompe qui va au-delà d’une simple lecture en classe de la lettre de Guy Môquet.

Selon cette note, la cérémonie se déroulera ainsi :

9h50 Rassemblement de tous les élèves du lycée (...)   10h00 Levée des couleurs et de l’hymne national 

10h05 Lecture de la lettre de Monsieur le Président de la République par Monsieur le Proviseur 

10h10 Intervention d’un représentant des anciens combattants pour situer le contexte et faire mémoire 

10h15 Lecture de la lettre de Guy Môquet
Minute de Silence
Sonnerie aux morts 

10h20 Chant des partisans interprété par un groupe d’élèves du lycée 

10h25 Fin de la cérémonie et retour en classe.   Quant au PC, conformément à son histoire très orientée de l’histoire de France et de sa propre histoire, il s’est précipité sur l’occasion. Sur de grandes affiches le visage de Guy Môquet appelle à rejoindre le PCF et un « 16 pages de l’Huma » va sortir.

Mais le PCF va même plus loin. Voici comment il propose de contribuer à la réussite de la journée :

Info hebdo 311 lettre de liaison du PCF
Compte-rendu du collectif Guy Môquet du PCF

Le 22 octobre sera lue dans les lycées la dernière lettre de Guy Môquet. Cette journée sera précédée d’une intense multiplicité d’initiatives de toutes natures, de presse et éditoriales, cinématographi­ques et médiatiques, politiques et historiques... Ces derniers jours nous en offre un aperçu, avec les moments de rencontres de la Fête de l’Humanité autour de Guy Môquet, dont l’Huma du 18/09 rend compte ou avec le déplacement du président de la République à la Carrière de Châteaubriant au pied de laquelle il a déposé, sous les applaudissements, une gerbe, le 19 septembre dernier.

Que Nicolas Sarkozy, fraîchement intronisé prési­dent de la République, ait pris l’initiative de mettre Guy Môquet à l’honneur, lors de son discours à La Cascade du Bois de Boulogne, ne doit pas nous conduire à bouder le plaisir d’une journée qui lui est consacrée. C’est pourquoi le CEN propose que nous nous inscrivions, avec notre originalité et notre apport dans cette journée, que nous soyons force de propositions, de réflexions et d’initiatives.(...)

Le temps qui nous sépare du 22 octobre nous permet de jalonner le mois de moments publics, de les construire avec d’autres, par des rencontres, avec ceux qui sont enthousiastes comme avec ceux qui ont des réticences.

C’est le cas notamment des nombreux enseignants qui hésitent à se voir imposer un acte pédagogique par le président de la République, des historiens, par exemple du Comité de Vigilance sur les Usages publics de l’Histoire, qui émettent des critiques sur l’instrumentalisation de l’histoire.

L’ANECR ASSOCIATION NATIONALE DES ELUS COMMUNISTES ET REPUBLICAINS s’est adressée aux élus communistes et républicains pour qu’ils puissent lire les textes et participer aux rencontres. L’Amicale des Vétérans en a fait de même. Apparemment, de nombreux élus nationaux sont déjà sollicités par les préfec­tures qui organisent leur “ répartition ”.

Nous proposons une mobilisation des militants communistes pour que soit distribué, ce jour, devant les lycées - au minimum- le tiré à part de l’Humanité sur Guy Môquet. Qui sera disponible une semaine avant le 22.

Marie-George Buffet participera, le 21 octobre, à la commémoration du martyr des 27 à Château­briant, à l’invitation de l’Amicale et prononcera un discours.

La phrase « le temps qui nous sépare du 22 octobre nous permet de jalonner le mois de moments publics, de les construire avec d’autres, par des rencontres, avec ceux qui sont enthousiastes comme avec ceux qui ont des réticences », pour qui connaît le PC, sonne déjà comme un avertissement à ceux qui se déroberaient au « devoir de mémoire ».

Mais surtout le PC n’hésite pas à tordre l’histoire en faisant de Guy Môquet un résistant anti-nazi de la première heure, ce qui, replacé dans le contexte historique et la réalité de la politique du PCF entre les accords de Munich du 30 septembre 1938, le pacte germano soviétique du 23 août 1939 et l’invasion de l’URSS par les armées d’Hitler le 22 juin 1941, est pour le moins une distorsion de l’histoire, ce qui n’enlève évidemment rien au courage de ce militant communiste. Mais nous y reviendrons dans la seconde partie.

Dicter l’histoire aux historiens

Dans divers articles consacrés à la lecture d’Etat de le lettre de Guy Môquet on trouve une citation de Condorcet (dont nous n’avons pas retrouvé la source exacte) : « Je préfère leur histoire plutôt que leur éloge ; car on ne doit aux morts que ce qui est utile aux vivants : la vérité et la justice. »

Le dispositif du 22 octobre intervient dans une situation où ce n’est pas vers la « vérité et la justice » que s’orientent depuis une quinzaine d’années diverses lois de la Vème République qui ont prétendu définir quel devait être le sens et le résultat des recherches historiques menées dans ce pays.

Dans la présentation de la pétition « Liberté pour l’histoire » ( pétition signée au départ par 19 historiens et demandant l’abrogation des articles de loi orientant la recherche et l’enseignement de cette discipline) Jean Jacques Marie soulignait (Cahiers du mouvement ouvrier, N°29 de février 2006) que les crimes contre l’humanité cités dans la pétition étaient incontestables mais « qu’ils ne sauraient être pour autant soustraits au libre examen sous peine de considérer comme normale l’instauration d’une histoire et d’une vérité officielles » et il citait Madeleine Rébérioux, ancienne déportée, qui dénonçait la loi Gayssot parce qu’elle « confie au juge la charge de dire la vérité en histoire, alors que la vérité historique récuse toute vérité officielle » Extraits de cette pétition « liberté pour l’histoire » : Emus par les interventions politiques de plus en plus fréquentes dans l’appréciation des événements du passé et par les procédures judiciaires touchant des historiens et des penseurs, nous tenons à rappeler les principes suivants :

Description : - L’histoire n’est pas une religion. L’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous. Il peut être dérangeant.
Description : - L’histoire n’est pas la morale. L’historien n’a pas pour rôle d’exalter ou de condamner, il explique.
Description : - L’histoire n’est pas l’esclave de l’actualité. L’historien ne plaque pas sur le passé des schémas idéologiques contemporains et n’introduit pas dans les événements d’autrefois la sensibilité d’aujourd’hui.
Description : - L’histoire n’est pas la mémoire. L’historien, dans une démarche scientifique, recueille les souvenirs des hommes, les compare entre eux, les confronte aux documents, aux objets, aux traces, et établit les faits. L’histoire tient compte de la mémoire, elle ne s’y réduit pas.
Description : - L’histoire n’est pas un objet juridique. Dans un Etat libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l’Etat, même animée des meilleures intentions, n’est pas la politique de l’histoire.

C’est en violation de ces principes que des articles de lois successives - notamment les lois du 13 juillet 1990, du 29 janvier 2001, du 21 mai 2001, du 23 février 2005 -­ ont restreint la liberté de l’historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu’il doit chercher et ce qu’il doit trouver, lui ont prescrit des méthodes et posé des limites.

Nous demandons l’abrogation de ces dispositions législatives indignes d’un régime démocratique (...)

Des centaines d’historiens ont signé cette pétition qui visait en particulier certains des articles de la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe (plus connue sous le nom de loi Gayssot), de la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, de la loi du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité (dite loi Taubira)

L’article 4 de la loi du 23 février 2005 sur les rapatriés stipulant que "les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord" est venu renforcer toutes les craintes des historiens, les initiateurs de la pétition précisant dans un communiqué (fin janvier 2006) : « L’histoire ne leur (aux historiens, RM) appartient pas, pas plus qu’aux politiques. Les mémoires sont plurielles, fragmentées, le plus souvent passionnelles et partisanes. L’histoire, elle, est critique et laïque : elle est le bien de tous. C’est précisément pour préserver la liberté d’expression et garantir le droit pour tous d’accéder à la connaissance des acquis historiques résultant d’un travail scientifique libéré du poids des circonstances, que les signataires s’élèvent contre la proclamation de vérités officielles, indignes d’un régime démocratique » Et ils précisaient « que s’il appartient traditionnellement au Parlement et au Gouvernement de décider des commémorations, célébrations ou indemnisations, il n’est pas de la compétence du Parlement de voter des lois qui voudraient dire une quelconque vérité historique officielle, et d’établir de fait, à travers l’appareil judiciaire, un contrôle sur l’écriture, voire sur l’enseignement, à tous les niveaux, de l’histoire ».

Le récent projet de l’Institut d’études sur l’immigration et l’intégration qui doit être installé au sein du Haut Commissariat à l’intégration (HCI) par le ministre de l’immigration et de l’identité nationale, Brice Hortefeux, le 8 octobre vient confirmer la gravité de la situation. Une note du HCI en fixe les missions : " constituer un guichet unifié des études sur l’immigration et l’intégration donnant des moyens élargis à la recherche et finançant des recherches d’université (...) et de laboratoire ; de déterminer des champs et des sujets pertinents » et précise surtout :" Cet institut a pour vocation de constituer un guichet unifié rassemblant des chercheurs, des universitaires, des administrations et des entreprises privées qui commanditent des recherches sur ces questions ».

Quid de l’indépendance des recherches dans un tel cadre ?

Lucien Febvre, cofondateur des Annales déclarait en juin 1920 (après sa prise de fonction à l’Université de Strasbourg en 1919) : « une histoire qui sert est une histoire serve ».

On voit bien comment, aujourd’hui, le président de la République et le ministre de l’Education nationale entendent se servir de Guy Môquet pour dicter aux enseignants une pédagogie officielle, une lecture d’Etat, une interprétation de l’histoire.

Ce n’est pas la moindre des offensives contre l’école publique, ses enseignants et la laïcité.

Raymond Morvan

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