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Politique et mouvement social

Par Denis Collin • Actualités • Jeudi 22/11/2007 • 0 commentaires  • Lu 1771 fois • Version imprimable


Pendant que la cote de popularité des responsables de l’État fléchit sérieusement, les mouvements sociaux, catégoriels se multiplient dans le désordre. La mécanique sarkozyste commence à s’enrayer. Incertain de l’issue, le président s’est bien gardé de se montrer à la foule. Ce n’est pas « le grand soir », ni même la réédition de 1995, contrairement aux spéculations de certains, mais c’est un signe sérieux que la « gauche réelle », le mouvement ouvrier, existent toujours dans ce pays et que l’élection de Sarkozy n’a été très largement due qu’à la nullité absolue de la « candidate de gauche » qui lui a été opposée par suite d’une incroyable campagne médiatique (initiée par le Nouvel Obs) et des magouilles de l’appareil corrompu jusqu’à la moelle du parti dit par antiphrase « socialiste ». La situation reste encore instable et peut soit pourrir soit devenir très chaotique dans les semaines qui viennent. C’est peut-être même un des espoirs secrets de certains dirigeants de la droite au pouvoir.

 

Cependant, après plus d’une semaine de grève à la SNCF et à la RATP, on peut commencer à porter une appréciation plus précise des évènements courants. L’hypothèse de la transformation du mouvement pour la défense des régimes spéciaux en une réédition de l’automne 1995 est fort peu probable. À l’heure où nous écrivons la grève s’étiole et concerne encore environ un quart des salariés alors que chaque jour le retour à la normale se confirme dans les gares et dans les stations de métro. Une minorité décidée refuse de baisser les bras et tente de sauver l’honneur. Mais globalement tout le monde sait que le choix est entre limiter la casse - c’est-à-dire faire payer au pouvoir sa réforme - et une défaite rase campagne. La raison de cette situation est assez claire. Le jour même où commence la grève, Bernard Thibaud, le secrétaire général de la CGT, annonce qu’il est favorable à des négociations tripartites, entreprise par entreprise sur l’aménagement de la réforme. C’est donc qu’il considère que le mot d’ordre des grévistes pour la défense des 37,5 annuités est désormais caduc. S’il avait voulu poignarder les grévistes dans le dos, il ne s’y serait pas pris autrement. Le même jour d’ailleurs, les dirigeants socialistes (sic) se relayent pour déclarer leur accord avec le passage aux 40 annuités et Hollande [1] demande même que la grève cesse le soir même. Dès le vendredi 16, la CFDT appelait à la reprise du travail [2]. Seuls SUD et FO maintiennent la revendication, SUD clairement, FO avec quelques restrictions mentales et une assurance d’autant plus grande que son poids réel chez les cheminots est assez relatif.

 

L’espoir d’un certain nombre de groupes et de militants se jouait sur la « jonction » entre le mouvement des régimes spéciaux avec la journée d’action des fonctionnaires du 20 novembre. Cette journée d’action, n’était-ce la situation du moment, ressemblait à n’importe laquelle de ces journées d’action bisannuelle (une à l’automne, une au printemps) qui servent à donner l’illusion de l’action pendant que les gouvernements suppriment les postes, rognent les salaires et détruisent les statuts. La relativement forte mobilisation (entre 30 et 50% de grévistes) et une bonne participation aux manifestations (même en tenant compte des traditionnels comptes fantaisistes tant des organisateurs que de la police) témoignent du mécontentement réel. D’autant qu’un nombre important de non grévistes partageait ce mécontentement mais trouvait peu utile d’aider le gouvernement à boucler ses fins de mois en lui faisant cadeau en pure perte d’une journée de salaire. Mais ce mécontentement ne signifie pas que les fonctionnaires sont prêts en découdre dans un affrontement général avec le gouvernement. Les dirigeants syndicaux, en effet, sont loin d’être d’accord sur la plate-forme revendicative. La FSU, le CFDT et la CGT (confédérale) se sont opposées à ce que la question des retraites figure dans un appel commun... Quand à l’hypothèse d’une grève reconductible - agitée par certains secteurs de FO et par SUD, seuls les militants y croyaient mais ils avaient omis d’en informer les travailleurs.

Le troisième front, celui des étudiants, est lui aussi dans une situation extrêmement précaire. On sait que la réforme Pécresse avait été négociée au début de l’été avec les présidents d’université (et indirectement avec les principaux syndicats enseignants) et avec l’UNEF dirigée par un socialiste, le PS appuyant lui aussi cette réforme comme Mme Royal vient encore de le rappeler. Une partie des étudiants à la rentrée a commencer à se mobiliser contre cette réforme passée en douce pendant les vacances. L’autonomie et le financement privé des universités sont, à juste titre perçus comme une menace grave contre l’égalité de traitement et la gratuité. L’introduction en France d’un modèle anglo-saxon que louent des universitaires de toutes couleurs politiques et parmi eux de très nombreux socialistes (sic), tel est bien l’objectif de la loi Pécresse. À cela il faut ajouter que la situation matérielle de très nombreux étudiants est de plus en plus précaire et que, dans bien des facs, les conditions d’étude sont déplorables. Mais là encore le mouvement a du mal à embrayer. On voudrait renouveler la mobilisation contre le CPE. Mais si l’histoire se répète, la première fois c’est en tragédie et la seconde en farce. Le mouvement reste minoritaire et le blocage est souvent plus le témoignage de l’impuissance des militants à entrainer la masse des étudiants que de la force du mouvement lui-même. Les syndicats étudiants « chevauchent » le mouvement mais sont clairement hostiles à la revendication d’abrogation de la loi Pécresse et les coordinations, selon une vieille habitude sont surtout le théâtre des coups de force des groupes bien organisés qui prétendent agir ainsi sous le couvert de la démocratie. Minoritaire et isolé, le mouvement a bien peu de chance de durer.

Pour comprendre cette situation combinant un réel mécontentement contre le pouvoir et l’extrême difficulté à engager la mobilisation, il faut tout simplement revenir à la situation politique. Et dire clairement que le principal obstacle au mouvement social ne réside pas dans la force du gouvernement mais dans l’absence d’un débouché politique à gauche qui donnerait aux mouvements sociaux une perspective politique. Le fait majeur, c’est que sur les retraites comme sur la loi Pécresse, le parti socialiste appuie Sarkozy et fait tout ce qu’il faut pour briser les grèves et donner des coups de poignards dans le dos aux salariés ou aux étudiants en lutte. Jadis quand le PS était dans l’opposition, il faisait au moins semblant d’être dans l’opposition. Ce n’est plus le cas. Ses principaux dirigeants sont des sarkozystes à peine cachés. Ce sont des gens de droite, ralliés par conviction à la droite et qui continuent de s’appeler « socialistes » soit par habitude, soit, et c’est plus probable parce qu’ils jouent un rôle indispensable dans la stratégie du président de la république. Hollande, Royal, Valls, Moscovici, Dray, etc. sont bien plus précieux pour la droite que les ralliés comme Bockel, Besson ou l’inénarrable Kouchner qui a disparu de la scène.

Mais le pire n’est peut-être pas là. Après tout, l’évolution de l’aile droite du PS était prévisible et elle vient de si loin... Le pire est que l’aile gauche de ce parti est comme frappée d’impuissance. Que font les Fabius, Emmanuelli, Mélenchon, Filoche, Dolez, et tutti quanti. Rien. Quelques déclarations mais ils ne posent jamais la question de la rupture avec ce parti. Ils sont, qu’ils le veulent ou non, des faire-valoir de la bande hollandiste. Ils maintiennent l’illusion, si nécessaire à la droite « socialiste », que le PS reste le PS, que la gauche est toujours la gauche et que tout continue comme avant, même si le « camarade » Hollande, le « camarade » Dray et les autres appuient la réforme des régimes spéciaux, l’autonomie des universités, le nouveau traité européen et le viol de la souveraineté populaire. Quant aux partis et organisations à l’extérieur de PS, il n’en va pas mieux. Le PCF est paralysé, par ses querelles internes et par la crainte de nouvelles pertes au municipales - d’autant que le PS semble décidé à faire mordre la poussière aux amis de Marie-George en Seine-Saint-Denis. Et tous les autres groupes restent éparpillés, impuissants, tentant de relancer la dynamique d’opposition au traité européen, espérant le salut dans le possibilité, là aussi, de rejouer une pièce qui a déjà été jouée. Au royaume des aveugles, les borgnes sont roi et le seul dirigeant de gauche qui surnage est Besancenot, propulsé par les médias d’autant plus vigoureusement qu’en voulant créer un « parti anticapitaliste » qui refuse toute alliance de gouvernement, il permet de geler la situation à gauche et constitue ainsi un obstacle non négligeable à toute entreprise de reconstruction.

La situation est sérieuse. Le capital de sympathie qui demeure en faveur des idées de gauche dans ce pays est en train d’être gaspillé par des chefs ou pusillanimes et préoccupés seulement de leurs combines, ou aveugles et sourds à une réalité qui leur est masquée par le brouhaha médiatique dans lequel ils sont accoutumés à vivre. Ceux de ces chefs qui croient encore un peu à ce qu’ils disent, ceux qui n’agissent pas par pur calcul cynique, ceux-là devraient se rendre compte qu’avoir table ouverte sur i-Télé ne suffit pas pour ouvrir une issue politique à un mécontentement et une révolte qui peuvent se transformer en ressentiment et hargne et profiter à d’autres. Les exemples européens de l’Italie du Nord, de la Suisse, etc. devraient servir d’avertissement. Il n’y a plus une minute à perdre pour avancer vers un nouveau rassemblement de la gauche socialiste, républicaine, à la fois réformiste, prête à gouverner mais fidèle à la défense des intérêts des classes sociales opprimées.


[1] Depuis, le même Hollande s’est déclaré favorable au passage général à 41 annuités comme le demande le rapport du COR et comme l’avait prévu la réforme Fillon de 2003.

[2] Dans les autres secteurs concernés par la réforme des régimes spéciaux comme EDF/GDF, la grève n’a duré qu’une seule journée...


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