Le Marathon des mots de Toulouse était consacré à l’Egypte et incontestablement El Aswany a été au cœur des célébrations : débats, lectures, projection du film L’immeuble Yacoubian.
Ces rencontres se déroulant juste après le désormais célèbre discours du Caire d’Obama, il m’est apparu utile de lui poser une question à ce sujet. Pour préciser le contexte, j’indique que c’était après une lecture d’un passage du roman Chicago qui évoquait la question des Coptes sur laquelle une dame a voulu de plus amples renseignements. Pour El Aswany, les Egyptiens quel que soit leur religion sont victimes de la dictature donc il ne faut pas isoler la question « Copte » des autres questions, même s’ils sont deux fois victimes. Dans un débat précédent, il avait insisté sur cette volonté de prendre en compte la culture égyptienne plus large que la culture musulmane, en précisant que ses deux combats majeurs concernent la démocratie et la récupération des traditions novatrices de son pays.
Ma question fut donc la suivante : « Au Caire, Obama ne s’est pas adressé aux Egyptiens mais aux Musulmans, comment avait-vous jugé son intervention ? »
Les invitations n’ayant pas été gouvernementales (mais celles des deux universités publique et religieuse), El Aswany était présent au moment du discours, et situé entre la rangée des Frères Musulmans et celle des actrices de cinéma. Pour dire que le discours fut un grand discours, il a observé que les deux groupes applaudissaient au même moment. Il ne cache pas son admiration pour le personnage qui représente d’après lui tout ce que les Egyptiens n’ont pas : la possibilité par un enfant de pauvres d’accéder sur la base de ses compétences propres aux plus hautes responsabilités.
Il ne serait sans doute pas d’accord si j’évoquais une fascination pour Obama mais son incapacité, au seul nom du président des USA, d’entendre ma question, me justifie dans cette appréciation. Ma question ne portait pas sur le contenu du discours mais sur le choix consistant, pour la planète toute entière, à mettre en avant les musulmans, quand on est au Caire. Parce qu’en Arabie Saoudite il n’aurait pas pu évoquer ce que certains ont appelé son « islam moderne » ?
Je l’ai déjà écrit plusieurs fois, si, d’ici la fin de l’année, Obama dote son pays d’une loi sur l’assurance sociale et d’une loi sur la régularisation de 10 millions de clandestins, son élection n’aura pas été inutile. Mais de là à tomber dans la fascination, suite à l’écoute d’un discours, ça me confirme dans la force de frappe médiatique de son entourage, surtout quand j’entends par ailleurs El Aswany indiquer que le président Chavez connaît bien la situation des pays arabes !
L’écrivain insista par rappeler qu’il ne faut pas confondre ses écrits de romanciers et ceux du journalistes. Le romancier n’est pas là pour défendre une thèse : en tant qu’artiste il donne à voir des situations diverses, il suscite des sentiments originaux, il mobilise des lecteurs. Le journaliste a une fonction totalement différente. El Aswany est donc parmi les hommes les mieux renseignés, les plus ouverts et de plus il connaît bien Chicago y compris le quartier d’où vient Obama. Formé à l’école française il parle à présent en plus de l’anglais et de l’arabe, l’espagnol qu’il a appris pour lire Garcia Marquez. Notons en passant que le boom en France de la littérature latino-américaine autour des années 60 était peut-être la traduction d’une rejet de la littérature française qui avait pris les chemins de l’hermétisme qu’El Aswany digère mal (il propose la lecture de tels livres en guise de torture). De ces considérations, j’en déduis que l’écrivain, plus centré sur les personnages que sur les rapports de force liés à la lutte des classes, a jugé plus l’homme Obama que le président des USA qui proposa au Caire une alliance avec les « musulmans modérés » contre les musulmans extrémistes, sur le dos des femmes.
L’Algérien Ahmed Halli dans Le Soir d’Algérie a su présenter un autre point de vue : « Barack Obama a sorti sa carte maîtresse, son as de pique gagnant : un discours truffé de citations du Coran qui a fait frémir les ventricules. Pour séduire les Arabes, nul besoin de verroteries, de voitures de luxe ou de sandwichs Mac do. Un hidjab à la bonne place et quelques versets du Coran bien choisis et le tour est joué : c'est ainsi que se retournent les opinions, n'en déplaise au Hezbollah et à Al-Qaïda. Tout le monde est tombé sous le charme de cet homme qui a été musulman un jour et qui s'en est bien sorti. En quelques phrases bien senties, Obama a relégué Laurence d'Arabie et Glubb Pacha au rang de reliques d'alcôves, sans rien renier de leurs valeurs. »
Donc affaire à suivre en actes après les discours. 16-06-2009 J-P Damaggio