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Faiblesse et persévérance du PS au pouvoir

Ou comment la pièce « Ecotaxe » délivre quelques leçons malgré la volonté de ses acteurs

Par Jacques Cotta • Actualités • Vendredi 10/10/2014 • 0 commentaires  • Lu 2268 fois • Version imprimable


Jamais sans doute un gouvernement tel celui de Manuel Valls n’a été aussi faible. Les indices de popularité si précieux aux yeux du chef de l’état sont sans appel. François Hollande entrainant tous ses affidés dans son sillage tombe une nouvelle fois dans les abysses. Et c’est à cet instant qu’il décide de taper à nouveau tous azimuts au nom de « la réforme », mode lancée naguère par son prédécesseur Nicolas Sarkozy. Ainsi tout y passe… Dernière nouvelles en date, la désignation des chômeurs responsables de leur sort, ou encore la question des affaires familiales qui mérite –avant de tirer les leçons de l’histoire Ecotaxe- que nous prêtions un moment d’attention.

Derrière les allocations familiales, une vision de la société…

La modulation des allocations familiales était déjà évoquée au lendemain de l’élection de François Hollande par la commission Fragonard, dans un scénario qui depuis s’est répétée sur tous les grands dossiers. Un « sage » préconise, la CFDT soutient au nom du « moins pire », le gouvernement décide avec une majorité qui n’en déplaise aux « frondeurs » se tient dans les faits le doigt sur la couture du pantalon, dés lors qu’ils risqueraient de mettre en péril leur position personnelle avec celle du gouvernement.

Cette stratégie  a abouti à un isolement de l’exécutif, d’autant que sa politique est rejetée par la grande majorité de ceux qui il y a plus de deux ans ont voté Hollande pour chasser Sarkozy. La tentative de mettre en place les « conférences sociales » dans le seul but d’intégrer à la gestion de la politique gouvernementale les organisations syndicales n’a pas porté pour le moment les fruits attendus. Du coup, le gouvernement, la « majorité » et le parti socialiste n’ont jamais été aussi isolés.

C’est dans ce contexte que François Hollande redouble d’énergie avec son gouvernement pour imposer la politique voulue par l’union européenne, annoncée comme incontournable dés lors que la chasse aux déficits est l’alfa et l’oméga de toute réflexion et de toute décision. L’affaire des allocations familiales est mise en avant avec démagogie pour cacher l’essentiel. On nous dit en substance : « Modulons, que les plus faibles touchent, que les plus aisés en soient exemptés. Voila une mesure de gauche ! ».  Il s’agit en fait de la remise au gout du jour de la commission Fragonard. Mais derrière la question des allocations familiales se trouvent des questions de fond qui engagent une vision de la société, du monde, de l’avenir. C’est en cela que la politique socialiste mérite surtout attention.

Dans « l’Imposteur », livre que je consacrais deux ans après son élection au chef de l’état, je notais à ce sujet :

Le raisonnement qui vise à la remise en cause de l’universalité des allocations familiales ouvre la porte à la remise en cause de l’ensemble de la protection sociale[1]. Le pouvoir actuel s’engouffre dans une voie tracée depuis plusieurs années, sans que nul avant lui n’ait pu ou simplement osé enfoncer le clou. Dès 2010 en effet, Luc Ferry, l’ancien ministre de « droite », et Laurent Fabius, ancien Premier ministre socialiste et actuel ministre des Affaires étrangères, s’accordent pour admettre « qu’au-delà d’un certain seuil de revenus, on ne s’aperçoit tout simplement pas qu’on touche des “allocs”. L’argent de l’État est ici dépensé en pure perte»[2]. Puis c’est l’assurance  maladie qui est visée. Alain Minc, l’ancienne « vedette » du C.A.C.40, alors proche de Nicolas Sarkozy, évoque la prise en charge par la collectivité de « 100 000 euros pour l’hospitalisation de son père âgé de 102 ans dans un service de pointe », avant de s’interroger pour « savoir comment on récupère les dépenses médicales sur les très vieux en mettant à contribution leur patrimoine, ou celui de leurs ayants droit », et de conclure : « Ce serait au programme socialiste de le proposer »[3].

Là encore, les mêmes arguments au nom des mêmes sentiments – équité, égalitarisme, sens des responsabilités – peut conduire aux mêmes effets. Pourquoi donc rembourser les soins des plus aisés ? « Ils ont les moyens, ils n’ont qu’à se les payer pour permettre que d’autres soient un peu mieux remboursés », serait le discours de circonstance. Pourquoi maintenir une sécurité sociale pour tous et ne pas privilégier quelques-uns seulement? Toutes les questions sous ce prisme peuvent être posées. L’éducation laïque, gratuite et obligatoire? Mais pourquoi donc ne pas exiger des frais d’inscription en fonction des revenus des foyers ? Tout n’est plus qu’une question de seuil. N’est-ce pas d’ailleurs l’exemple donné au Royaume-Uni par le Premier ministre conservateur David Cameron à la suite du « socialiste » Tony Blair ? En réalité, à la lumière du Royaume-Uni ou des États-Unis, l’amputation des aides sociales, comme des services publics, devient une formalité pour le pouvoir politique dès lors que les couches privilégiées cessent d’y avoir accès. Elles considèrent alors que les avantages accordés alimentent la dépendance et la fraude. Le placement des aides sociales sous condition de ressources programme presque toujours leur disparition pour tous.

Plus que les questions financières, la remise en cause de l’universalité comme principe engage la société sur une voie radicalement opposée de celle qui jusque-là, tant bien que mal, était pratiquée. Lorsque la France était « à genoux », au sortir de la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’il n’y avait plus un sou dans les caisses, le programme du Conseil national de la résistance avait l’ambition précisément de mettre en place un modèle social qui depuis des années est rogné et défait[4]. Il s’agissait alors de faire prévaloir des principes de solidarité interprofessionnelle et intergénérationnelle dans l’organisation des principaux régimes sociaux. Il s’agissait d’ouvrir des droits pour tous les citoyens basés sur les mêmes calculs, signe d’appartenance et d’attachement à la même communauté, à la même nation. La différence de patrimoine personnel n’entrait alors pas en ligne de compte. Comment et pourquoi ce qui était possible hier dans une situation exceptionnellement dramatique ne le serait plus aujourd’hui alors que la France n’a jamais été aussi riche ?

Il s’agit d’un choix politique, et de rien d’autre. La sécurité sociale illustre bien cette réalité. Lorsque François Hollande propose aux partenaires sociaux son pacte de responsabilité, c’est l’existence même de la sécurité sociale qui est menacée. « Moins de charge sur le travail » veut le Président. « Banco » répond le patron du MEDEF, Pierre Gattaz qui dicte la marche à suivre. « Il y a deux pistes qui pèsent sur le travail de manière absurde », indique le responsable du Medef avant de préciser : « la famille et le maladie ». Le président socialiste surenchérit : « La Sécurité sociale doit en terminer avec les abus et les excès… La direction est tracée à la grande satisfaction des compagnies d’assurance et des fonds de pension qui lorgnent sur les milliards de la santé. La remise en cause de l’universalité au nom de l’équité ou encore de l’égalitarisme socialiste revient à une forme de discrimination positive sociale. Cela revient à mettre en place une politique de ciblage des conditions d’accès au service public ou au revenu de transfert auxquels tous les citoyens par définition n’auraient donc plus droit. Cette politique est pour le moins paradoxale. Elle se drape dans les bons sentiments, partant des inégalités qui existent entre catégories de la population. Mais ses remèdes ne combattent pas le mal à la racine. La lutte n’est pas engagée contre la pauvreté et ses causes, mais uniquement pour réduire l’écart qui existe entre différents groupes …

Nous vivons un paradoxe étrange : jamais donc un pouvoir n’aura été aussi faible, jamais le régime n’aura connu une accumulation des ingrédients qui en définissent le pourrissement et la crise comme la cinquième république ces derniers temps –scandales financiers, crise des institutions, crise politique au sommet- et jamais dans un consensus parfait de toutes les forces qui aspirent à gouverner les contre réformes ne se sont à ce point additionnées.

Il n’y aurait donc aucune limite à la politique gouvernementale qui en accord avec l’Union Européenne s’exerce au nom de la chasse aux déficits. Il n’y aurait aucun frein ? C’est alors que l’affaire de l’écotaxe livre ses leçons… et pourrait bien donner des idées.

Les leçons « Ecotaxe ».


L’Ecotaxe, qui pourtant était le fer de lance du « Grenelle de l’environnement » de Nicolas Sarkozy et qui était repris dans un premier temps par les gouvernements qui se sont succédé sous François Hollande en signe d’attachement aux préoccupations écologiques, vient d’être abandonné.

Après une entrevue de quelques heures avec les responsables des organisations de transporteurs routiers, Ségolène Royal a expliqué la décision gouvernementale. En substance, « l’Ecotaxe aurait entrainé plus de suppressions d’emplois que de créations et de plus aurait été très compliquée à mettre en œuvre… Un ministre doit être pragmatique. Ce n’est pas une reculade mais une décision de bon sens ». A supposer que les raisons évoquées soient réelles, la prise de conscience gouvernementale est bien tardive. Le différentiel d’emplois comme les difficultés à mettre en œuvre la mesure pouvaient être appréciés il y a déjà des mois…

La raison pourrait donc être ailleurs. Dans le climat de faiblesse du gouvernement Valls et avec lui du régime tout entier, nul ne voulait –à l’UMP comme au PS- prendre le risque d’une paralysie du pays que menaçaient de mettre en œuvre les transporteurs routiers. C’est face à la menace brandie par les organisations de routiers que le gouvernement a reculé, craignant sans doute d’être directement menacé et avec lui la 5ème république très sérieusement ébranlée.
  • Une première leçon s’impose donc : la crise politique et sociale sont telles que la menace d’une révolte sociale passant par le blocage du pays peut aujourd’hui faire reculer l’exécutif dans sa volonté de mettre en œuvre sa politique calquée sur les désidératas de l’Union Européenne.
Mais avec l’abandon de l’Ecotaxe, Ségolène Royal est contrainte de répondre aux questions qui concernent les finances, et notamment sur deux plans : l’indemnisation de l’entreprise italienne qui avait mis en place les portiques et qui était chargée de récolter la taxe, tache qui lui était dévolue par le gouvernement Fillon sous Nicolas Sarkozy, et le manque à gagner pour les recettes de l’état. On évoque 800 millions, 900 millions, voire un milliard ou plus d’euros. 

Comment faire ?

Place à l’imagination, aux mesures techniques en lieu et place du politique ! La ministre Ségolène Royal suggère de taxer les compagnies autoroutières. Mais le ministre Sapin la rappelle à l’ordre : impossible si pas de compensation, donc d’augmentation du prix du péage… La ministre Royal botte en touche sur l’augmentation du Diesel qui risquerait de la renvoyer à la case départ avec les camionneurs… Bref, un véritable casse tête. 

Pourtant des mesures seraient envisageables. Elles pourraient concerner le refus de toute injonction de l’Union Européenne concernant les amendes pour abandon d’Ecotaxe, le refus de toute amende à verser à l’entreprises des portiques et surtout le refus de laisser s’enrichir encore et encore sur le dos des contribuables des actionnaires qui ont bénéficié de la privatisation des autoroutes, bradés à l’époque par les gouvernements de Nicolas Sarkozy.

  • Une seconde leçon pourrait donc être tirée de cette affaire Ecotaxe : la nationalisation des sociétés telles les autoroutes par exemple qui permettent à quelques actionnaires privés de se gaver sur le dos de la collectivité. Une nationalisation sans rachat puisque la somme a déjà été encaissé au centuple en dividende.
 
Nationaliser ?
Quelle grossièreté !
Quel vilain mot !

« D’autant que c’est interdit par l’Europe » a rappelé la ministre.

Mais que cherche donc Ségolène Royal ?
Elle voudrait démontrer la nécessité de rompre avec l’Union Européenne, pourrait-elle mieux faire ?

 
 
Jacques Cotta
Le 10 octobre 2014 
 


[1] Voir l’article du « dans Le Monde diplomatique, l’article » de Serge Halimi :, « Défendre les prestations sociales contre l’équité », décembre 2010. 

[2] Respectivement dans Le Figaro (18/11/2010) et sur Europe 1 (4/11/2010).

[3] Parlons net, France Info, 7 mai 2010.

[4] « En 1944, la France est à genoux, 74 départements ont servi de champs de bataille, la production industrielle ne représente que 29 % du niveau de 1929. Les recettes fiscales couvrent à peine 30 % des dépenses publiques, la dette nationale a quadruplé. Une foison de billets pourchasse la pénurie de produits. ». La France au lendemain de la guerre.

 

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