Où tout cela nous mènera-t-il ? Déjà plombé par la crise financière et la cynique désinvolture de ses auteurs récidivistes, le climat général s’est encore alourdi en deux jours. En effet, l’indignation suscitée de toute part par l’ahurissante qualification en coupe du monde de football de l’équipe de France dépasse de loin les considérations strictement sportives. Et pour cause. Et d’autant que cet événement médiatique fut encadré quasi simultanément par deux événements politiques obéissant aux mêmes ressorts combinatoires : la confirmation de la réforme des collectivités territoriales par le président de la république et la nomination du président du conseil de l’Europe et de son représentant pour les affaires étrangères.
L’affaire de la coupe du monde n’est pas une affaire Thierry Henry. Ce qui suscite écoeurement et révolte n’est pas le geste malheureux du joueur mais la réaction des instances footbalistiques. Celle du sélectionneur pourrait n’être qu’anecdotique. La morgue de Raymond Domenech est connue de tous. Mais elle s’ajoute aux réactions des représentants de la fédération française et de la FIFA. Leurs manifestations de satisfaction, leurs congratulations dès la fin du match avaient un désagréable parfum d’intérêt bien compris et leurs réponses hautaines aux journalistes exhalaient l’immunité.
Dans les deux jours qui suivirent, ces messieurs eurent beau jeu de se réfugier derrière l’omnipotence de la FIFA et ses règles gravées, semble-t-il, jusqu’à la fin des temps : « La FIFA a pris une décision qui était conforme à ses règlements et ses statuts et je ne vois pas comment deux fédérations pourraient s’exonérer de cette décision pour faire un match qui n’aurait pas de valeur légale puisqu’il ne serait pas validé par l’organisateur » (Jean-Pierre Escalettes, président de la FFF, à propos de l’éventualité de rejouer le match). Certes, mais jamais une instance internationale, quelle qu’elle soit, ne changera ses règles si ses membres ou, au moins, quelques uns d’entre eux ne le lui en font la demande !... Mais il y a peu de chances qu’ils le fassent quand on les entend asséner des contre-vérités (parfois contradictoires) pour justifier le statu quo : « Les joueurs étaient très, très, très, très motivés… Sur 12 matchs, je crois qu’on mérite d’y aller… Raymond Domenech a mis en place un staff performant… La performance sportive n’a pas été extraordinaire mais on y est ! (en coupe du monde) ... » (Noël Le Graët, vice-président de la FFF). TF1 et ADIDAS ne contrediront sûrement pas (ni le successeur du principal sponsor de la fédération : NIKE qui doit prendre la place d’ADIDAS pour la saison 2011-18 à raison de 42,66 millions d’euros par an). Quand à Raymond Domenech, il se contentera de 862.000 euros pour avoir qualifié son équipe.
Même morgue de la part de Nicolas Sarkozy envers les maires, allant jusqu’à traiter de « singes » ceux qui osent contester le démantèlement des services publics et précisant : « Moi, j'ai promis que je ne remplacerai pas un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite mais si vous, les collectivités locales, vous en créez un de plus sur deux, comment on peut s'en sortir, c'est le même pays ». Et, tout comme nos dirigeants footbalistiques, le président de la République justifie sa privatisation du territoire par les règles supranationales : « Alors que le monde est face à la globalisation, la France ne peut pas rester immobile. Elle ne peut pas être la seule en Europe à taxer les entreprises. »
Là aussi, les lois d’airain du village global sont censées clore un débat recouvrant les intérêts bien compris du chef de l’Etat et de ses soutiens (directeurs de cliniques privées, opérateurs, transporteurs, la liste serait longue…).
Et comme un ironique couronnement à cette semaine de négation des peuples et du débat démocratique, les instances européennes si souvent invoquées se sont dotées de deux têtes qui, paraît-il, leur manquaient : un président et un « haut représentant pour les affaires étrangères ». Elus par qui et pour faire quoi ? Tous ces gens se rendent-ils compte du spectacle qu’ils donnent à leurs concitoyens et des conséquences qui en adviendront tôt ou tard ? On ne peut qu’en douter quand on entend monsieur Van Rompuy (répondant à une question sur ses intentions en tant que président) qu’il « attendait, à présent, avec impatience le premier coup de fil » du président Obama… Du Stade de France à Bruxelles en passant par l’Elysée, les maîtres de l’Europe ont donné aux peuples le spectacle d’une folle semaine faite d’arrangements, de mépris et de coupure grandissante avec la réalité. Où tout cela nous mènera-t-il ?
Pierre Delvaux
Le 21 novembre 2009