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Genève 2: Gagner la paix en Syrie

Par Gabriel Galice • Internationale • Mardi 28/05/2013 • 0 commentaires  • Lu 1943 fois • Version imprimable


En connaisseur, Georges Clemenceau aurait dit: « Nous avons gagné la guerre, et non sans peine ; maintenant, il va falloir gagner la paix, et ça sera peut-être le plus difficile. » Les suites du Traité de Versailles lui auront donné raison.

Le conflit syrien réunit plusieurs ingrédients explosifs, irréductibles au seul soulèvement d’un peuple contre une dictature.  Il appelle une grille de lecture empruntant davantage à la complexité selon Edgar Morin qu’à la lutte du bien et du mal selon Manès (ou George W. Bush). L’émotion devant les massacres ou exactions (pas tous imputables au régime) ne dispense pas de la réflexion, différente du réflexe.  Le sensationnalisme des images court-circuite la pensée ; certains en usent et en abusent.
 
Le goût de l’immédiateté prédispose à l’amnésie. L’histoire et la géographie pèsent sur tout conflit. La Syrie (officiellement République arabe syrienne) est l’héritière de ce qui fut un grand pays. En 1920, sous le mandat français de la Société des Nations, furent créés quatre Etats : Le Grand Liban, Damas, Alep et l’Etat des Alaouites, auxquels s’ajouta ensuite l’Etat des Druzes. Nul n’évoque le projet de « Grand Moyen Orient », formulé par le Président Bush en 2003, année du lancement de la guerre contre l’Irak. Il sera remanié pour être adopté au Sommet du G8 de Sea Island sous le nom de « Partenariat pour le Progrès et un avenir commun avec le Moyen Orient élargi et l’Afrique du Nord », puis discuté au Sommet de l’OTAN, en 2004. Cela nous rappelle qu’une Révolution est toujours la rencontre entre une insurrection et un  - généralement plusieurs - projet. Les révoltes arabes sont le début de révolutions qui déboucheront sur plusieurs issues possibles, dont toutes ne garantissent pas (l’Iran, la Tunisie, la Libye, l’Egypte nous en instruisent)  le pouvoir du peuple, la liberté. La démocratie ne se réduit pas à l’élection, elle s’identifie avec la conquête par le peuple de ses droits et libertés, y compris contre les castes, clans, factions, qui parlent en son nom (pour son bien, il va de soi).
 
Démêler l’écheveau syrien revient à repérer d’abord les forces internes et externes. A l’intérieur s’opposent, comme ailleurs, des forces aux visées politiques opposées. De l’extérieur agissent plusieurs forces. L’axe « chiite » Damas - Téhéran en est une, des Etats arabes « sunnites » (convergents et concurrents) en est une série d’autres, la vision « occidentale », OTANienne,  (comportant des nuances) en est une troisième, la posture défensive de la Russie et de la Chine, relativement proches géographiquement, en est une quatrième.
 
Dans un deuxième temps, il faut identifier les intérêts majeurs des protagonistes, sélectionner les possibles, arbitrer. Ainsi, les Russes veulent savoir ce que deviendra leur base navale de Tartous, précisément située dans la région de Lattaquié, zone d’influence alaouite du clan Assad. La diplomatie n’est ni une potion magique, ni un gadget ; elle est l’art de composer avec les rapports de forces, de pousser aux négociations, de proposer des concessions, de faire des paris enfin. La volonté politique et l’art des diplomates permettent d’harmoniser peu ou prou les forces et projets contradictoires afin d’aboutir à un compromis.
Ceux qui préconisent l’intensification militaire au prétexte que la diplomatie n’a pas réussi négligent le fait que les affrontements n’ont dégagé ni vainqueur ni vaincu et que la militarisation accrue ferait davantage de victimes, surtout parmi les civils. Ils méconnaissent l’antique sentence de Pindare (-518 - -438 avant J.C.), popularisée et latinisée par Erasme en 1515 : « dulce bellum inexpertis » (la guerre est douce à ceux qui ne l’ont pas pratiquée)

Gagner la paix est un long processus, a fortiori dans un cas complexe comme la Syrie, où s’opposent des intérêts et des projets aussi forts qu’opposés.

Jean-Jacques Rousseau nous en avertit : « Quoique ces deux mots de guerre et de paix paraissent exactement corrélatifs, le second renferme une signification beaucoup plus étendue, attendu qu’on peut interrompre et troubler la paix en plusieurs manières sans aller jusqu’à la guerre. » (Principes du droit de la guerre) Et aussi : « Prouver que la Paix est en général préférable à la guerre, c’est ne rien dire à celui qui croit avoir des raisons de préférer la guerre à la Paix ; et lui montrer les moyens d’établir une paix durable, ce n’est que l’exciter à s’y opposer » (Projet de paix perpétuelle).
Il est plus raisonnable de faire confiance aux négociations des diplomates qu’à la violence des  troupes régulières, semi régulières ou irrégulières, de quelque bord qu’elles soient.

Genève 2 est un chantier, un pari et un espoir.
 

* Coauteur (avec Christophe Miqueu) du livre, Penser la République, la guerre et la paix sur les traces de Jean-Jacques Rousseau, Gabriel Galice est vice-président du GIPRI (Institut International de Recherches pour la Paix à Genève)


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