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A propos du vote au Sénat sur la loi Peillon

Par Vincent Présumey • École • Jeudi 30/05/2013 • 1 commentaire  • Lu 2379 fois • Version imprimable


Les sénateurs du Front de Gauche ont estimé devoir voter pour la loi Peillon ce 29 mai au Sénat, après que les députés Front de Gauche se soient abstenus. Ce vote prépare clairement un vote Pour au final à l’Assemblée. Pour le gouvernement Ayrault, ceci serait une victoire politique de premier plan, le Front de Gauche ayant voté contre les principales lois qui déterminent la politique économique et sociale du gouvernement, à savoir la ratification du TSCG et la conversion en loi de l’accord MEDEF-CFDT du 11 janvier. Ainsi, la politique de ce gouvernement serait mauvaise en matière économique et sociale, mais, mystérieusement, mériterait approbation s’agissant de l’Education nationale et de l’organisation des services publics …

Un argument souvent avancé en faveur de la loi Peillon est que, malgré ce que l’on considère comme ses insuffisances ou ses dangers, elle fixerait une programmation de la hausse des moyens et créations de postes. Toutefois, les chiffres donnés dans le texte figurant en annexe du projet de loi, d’une part sont loin de compenser les suppressions opérées pendant la période Sarkozy (pour ne pas remonter plus haut), et se situent dans le cadre d’une politique de non progression des effectifs publics impliquant des ponctions aggravées dans les autres ministères ; d’autre part ces indications ne figurent pas dans le texte de la loi proprement dit, mais dans le document annexe sur « la programmation des moyens et les orientations », qui équivaut à l’exposé des motifs de la loi. En toute rigueur constitutionnelle, on ne peut pas affirmer que les engagements en matière de création de postes indiqués dans ce document annexe ont force de loi. La pression européenne à la « réduction des dépenses publiques » et l’aggravation quasi quotidienne des annonces gouvernementales en la matière permettent de douter fortement de la possibilité, en dehors d’une rupture politique et économique avec les contraintes capitalistes codifiées au niveau européen, de tenir ces engagements, pourtant fortement invoqués pour justifier le vote de cette loi.

De plus, ce document annexe, comme l’ensemble du texte de la loi, se situent clairement dans une philosophie générale qui, loin de rompre avec les contre-réformes des années antérieures, les prolonge . Est ainsi reprise la théorie, datant de la loi Fillon de 2005, du « socle commun », clairement introduit alors comme la traduction de l’exigence patronale, au niveau européen, de remplacement de la formation générale et de l‘évaluation nationale des connaissances, par un ensemble a minima d‘items requis pour être « employable », le supplément culturel et citoyen n’étant, implicitement, pas dû à l’ensemble des jeunes. On nous dit que le fait qu’on l’appelle désormais « socle commun de connaissances, de compétences et de culture » devrait nous rassurer, mais très franchement ceci est fumeux. Le contenu précis du dit socle, de même que le contenu de la formation dispensée aux futurs professeurs dans les ESPE, sont renvoyés, par un arbitraire typique de la V° république, à des décrets ministériels ! 

Cette logique est confirmée par le peu qui est indiqué dans le texte de loi sur le lycée général, dont la mission ne relèverait précisément pas du «socle commun», mais du cycle « Bac moins 3-Bac plus 3 », lycée général et licence universitaire étant considérés comme liés, en sus du socle commun réservé à la masse. Le « socle commun » est en effet affirmé comme le but du collège, par contre le lycée doit « assurer une continuité entre le socle commun de connaissances, de compétences et de culture et les licences universitaires, STS, IUT ou CPGE ». Ceci explique que la loi Peillon ne prévoit rien sur le lycée général, c’est-à-dire cautionne la poursuite de la mise en œuvre de la réforme du lycée de Chatel et Sarkozy, aux effets destructeurs. Nettement, la mission centrale du service public de l’éducation est donc ramenée au socle commun pour tous, le lycée étant un supplément chargé de faire le lien avec le post-Bac, ce qui renvoie à une conception sous-jacente rétrograde qui fixerait la fin de la mission éducative de la République commune à tous à l’âge de 16 ans et à la fin du collège !

Strictement aucun de ces graves dangers n’est à ce jour modifié par le texte adopté au Sénat. La modification qui serait décisive, et qui a justifié le vote Pour des sénateurs Front de Gauche, est la suivante : l’article 18, qui introduit le pouvoir régional dans la mise en place de la carte des formations professionnelles, serait modifié de manière paraît-il capitale. Jugeons sur le texte.

Le premier paragraphe adopté à l’Assemblée était :

Chaque année, après concertation avec les branches professionnelles et les organisations syndicales représentatives des employeurs et des salariés concernés, la région recense par ordre de priorité les ouvertures et les fermetures qu’elle estime nécessaires de sections de formation professionnelle initiale dans les établissements d’enseignement du second degré, les établissements relevant des articles L. 811-1 et L. 813-1 du code rural et de la pêche maritime et les établissements relevant du ministre chargé des sports. Les autorités académiques établissent également un état des besoins de formation professionnelle initiale.

Le texte adopté au Sénat devient :
Chaque année les autorités académiques recensent par ordre de priorité les ouvertures et fermetures qu’elles estiment nécessaires de sections de formation professionnelle initiale dans les établissements d’enseignement du second degré, les établissements relevant des articles L. 811-1 et L. 813-1 du code rural et de la pêche maritime et les établissements relevant du ministre chargé des sports. Parallèlement, la région, après concertation avec les branches professionnelles et les organisations syndicales professionnelles des employeurs et des salariés concernés, procède au même classement.

Mauvaise blague ? La différence subtile est la suivante : entre la première phrase et la seconde, la Région et les autorités académiques ont été intervertis. Mais dans les deux cas, la région et le rectorat, la première après « concertation » (pas le rectorat ? ), dressent conjointement la liste des fermetures et ouvertures des filières et sections. Poursuivons. La version Assemblée nationale disait ensuite :

Chaque année, la région arrête la carte régionale des formations professionnelles initiales, conformément aux choix retenus par la convention mentionnée au deuxième alinéa du présent article et aux décisions d’ouverture et de fermeture de formations par l’apprentissage qu’elle aura prises.
Cette carte est mise en œuvre par la région et par l’État dans l’exercice de leurs compétences respectives, notamment celles qui résultent de l’article L. 211-2 du présent code et de l’article L. 814-2 du code rural et de la pêche maritime. Elle est communiquée aux organismes et services participant au service public de l’orientation. Les autorités académiques mettent en œuvre les ouvertures et fermetures de sections de formation professionnelle initiale sous statut scolaire en fonction des moyens disponibles et conformément au classement par ordre de priorité mentionné au deuxième alinéa du présent article.

Ce qui devient dans la version sénatoriale :

Dans le cadre de la convention annuelle prévue au IV de l’article L. 214-13 du présent code, signée par les autorités académiques et la région, celles-ci procèdent au classement par ordre de priorité des ouvertures et fermetures de sections de formation professionnelle initiale, en fonction des moyens disponibles.
Chaque année, après accord du recteur, la région arrête la carte régionale des formations professionnelles initiales, conformément aux choix retenus par la convention mentionnée au deuxième alinéa du présent article et aux décisions d’ouverture et de fermeture de formations par l’apprentissage qu’elle aura prises.
Cette carte est mise en oeuvre par la région et par l’État dans l’exercice de leurs compétences respectives, notamment celles qui résultent de l’article L. 211-2 du présent code et de l’article L. 814-2 du code rural et de la pêche maritime. Elle est communiquée aux organismes et services participant au service public de l’orientation. Les autorités académiques mettent en oeuvre les ouvertures et fermetures de sections de formation professionnelle initiale sous statut scolaire en fonction des moyens disponibles et conformément au classement par ordre de priorité mentionné au deuxième alinéa du présent article. 

En résumé, la région décidait seule dans la première version, elle décide conjointement avec le recteur dans la seconde version. Il y aurait là le retrait des « mesures de régionalisation de l’école », selon des déclarations attribuées dans la presse aux sénateurs Front de Gauche. De qui se moque t’on ? Il est absolument clair que la Région demeure, dans la version du Sénat, maître d’œuvre de la carte des formations : présenter l’accord du recteur comme la garantie suprême est une bien piètre consolation. Dans la décentralisation telle qu’elle s’opère sous la V° république, le pouvoir des barons régionaux, d’une part, et celui des missi dominici régaliens que sont le préfet de région et le recteur, d’autre part, n’ont pas vocation à se neutraliser, mais à s’exercer ensemble -contre les services publics et l’égalité des citoyens devant la loi, devant l’impôt, devant l’accès au service public et au plan de la laïcité. Recteurs et préfets ne sont pas les garants de l’égalité républicaine mais les agents du pouvoir central. Il y a quelque chose de lamentable dans cette manière de se réjouir du maintien d’un pouvoir rectoral, soi-disant contrepoids à celui du président de Région. Surtout dans notre région, où l’on voit en ce moment même ce duo, Monsieur et Madame, faire les pitres contre les personnels et les élèves du lycée de Romagnat, et où l’on voit, avec la fermeture de l’ancien lycée agricole de Lapalisse, le pouvoir du président de Région faire avaliser tous ses choix par le ministère concerné et par la DRAF.
Le rétablissement du service public, national et laïque passe par l’élimination du pouvoir régional sur la carte des formations et sur les Centres d’Information et d’Orientation, condition nécessaire d’une démocratisation réelle de la fonction publique d’Etat dont doit relever l’éducation. Le chemin pris par la loi Peillon est l’inverse : il est réactionnaire et rétrograde.
Par ailleurs, nous notons qu’en ce qui concerne les conseils école-collège, le texte sénatorial aggrave celui de l’Assemblée nationale en introduisant une référence aux Projets Educatifs Territoriaux, qui par ce biais concerneraient aussi le collège, renforçant au passage sa « primarisation » dans l’esprit du « socle commun ». D’ores et déjà, les PET, instaurés par décret, s’annoncent comme une machine de guerre contre le caractère national de l’école primaire et les statuts des personnels, permettant sous l’égide des collectivités locales d’organiser l’ingérence des associations, voire des écoles privées sous contrat, dans l’organisation du temps périscolaire et par là scolaire, ayant vocation à « s’ouvrir, selon le choix de la ou des collectivités intéressées, à l’ensemble des temps scolaire, périscolaire et extrascolaire, de l’école maternelle au lycée … ». Ce passage extraordinaire est tiré de la circulaire de M. Peillon du 23 mars 2013 : pendant que les sénateurs s’amusent, ou qu’on amuse les sénateurs, avec l’évocation de l’aile protectrice des braves recteurs contre le pouvoir régional, le gouvernement légifère sans le dire, c’est la V° République ! Et le texte du Sénat rentre clairement dans ce cadre.¨

Passons sur la dernière trouvaille, qui consiste à « expérimenter » le droit des parents d’avoir « le dernier mot » en matière d’orientation. Démagogie pure qui ne règle rien nulle part.

Les choses sont claires : les députés et sénateurs Front de Gauche doivent voter CONTRE une loi tout aussi réactionnaire parce qu’elle dit que par ses silences que remplissent décrets et circulaires. Il y a de la cohérence de toute notre orientation politique de défense des droits sociaux. Voter Pour, c’est cautionner tout ce qui s’annonce avec le III° acte de la décentralisation et c’est, surtout, se priver des moyens de lutter contre ce qui se passe d’ores et déjà. Il est temps de comprendre que l’on ne peut pas accompagner en critiquant et en amendant une politique qui irait quand même dans le bon sens, que cette politique est, elle, en cohérence parfaite avec le TSCG et l’ANI du 11 janvier et doit être combattue avec eux.


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Commentaires

oui, vincent : on nous enfume par berthierch le Vendredi 31/05/2013 à 23:32

merci de tes explications et honte au petit jeu de cache cache auxquels se livrent les elus.
que vont ils mettre dans leurs programmes electoraux en 2014 aux municipales et aux europeennes.
ces institutions corrompent les moins corrompus!



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