Après la révolution de février 1848 il y a eu les républicains de la veille et ceux du lendemain qui ont eu le culot de se montrer les plus favorables au suffrage universel masculin dont finalement ils tirèrent tout le profit possible.
Avec les gilets jaunes quelques-uns du premier jour sont rentrés à la maison contents des miettes obtenues, et vu les espoirs déçus (ils comptaient sur un blocage des routiers), ou l’évolution du mouvement. Y compris quelques figures du départ ont beaucoup appris et les revendications ont évolué de manière à la fois logique et surprenante. Car personne n’imaginait au départ la persévérance des gilets jaunes et en marchant certains ont repris espoir dans la lutte sociale.
Depuis janvier les insultes médiatiques n’ont pas cessé et en même temps les vendeurs de pommade se sont mis à l’œuvre. Là aussi c’est logique : pour soigner les plaies comment refuser un peu de pommade. En Tarn-et-Garonne nous avons des personnalités marquantes comme la présidente du groupe PS qui s’active pour un référendum sur l’ISF, la dirigeante nationale du Parti radical qui comprend les gilets jaunes tout en refusant la violence, des figures des Républicains (sénateur et maire) qui proposent leurs services, une dirigeante locale du PCF devenue gilet jaune après avoir expliqué, avec tant d’autres, le 17 novembre : «Le mouvement est récupéré par l’extrême-droite. Moi, je n’ai pas vocation de me retrouver aux côtés de l’extrême-droite sur des revendications». Mais peut-être l’extrême-droite a-t-elle quitté le mouvement ? En fait le mouvement a bousculé les clivages classiques et ce phénomène mérite toute notre attention car il a valeur générale.
Si vous avez deux citoyens totalement favorables à une autre répartition des richesses, l’un qui vote LR et l’autre qui vote EELV (deux étiquettes parmi d’autres) ils découvrent que leur position politique devient secondaire par rapport à leur solidarité de base !
En partie c’est la question des rouges-bruns que je combats fermement car il s’agit là non de citoyens confrontés à leur vie, mais d’idéologues qui construisent des chimères sur cette solidarité de base. Oui un électeur FN et un électeur LFI ou PCF peuvent se retrouver d’accord mais pas pour en arriver à désigner comme solution la confusion à la Soral !
Oui, mais que va-t-il se passer au moment des Européennes ? A mes yeux, pour le moment les gilets jaunes doivent continuer à se vivre comme contre-pouvoir, à s’organiser sur cette base, organisation que je trouve lente à se mettre en place car la forme est à inventer, donc aux Européennes chacun va de son côté, mais le mouvement suit son tracé.
Globalement il s’oppose aux tentatives diverses de création d’une liste gilets jaunes qui ont le mérite de distinguer ceux qui sont gilets jaunes pour s’en servir et ceux pour les servir. On a eu par exemple «l’opération gilets jaunes libres» lancée par le JDD afin de fabriquer des interlocuteurs au gouvernement. Elle a duré une semaine puis chacun de membres a repris sa propre course aux places. Dans ma région Benjamin Cauchy hésite entre la liste Debout la France ! et celle des Républicains. Il lui suffit de négocier un poste éligible.
Le mouvement gilets jaunes libère des énergies car il libère les esprits des carcans que chacun s’imposait et cette liberté nouvelle peut s’investir dans l’inconnu à construire. Bien sûr comme tout phénomène il comporte ses dangers et ses exploits.
Le grand débat lancé par Macron peut se retourner contre lui à condition de sortir des fameuses cases mises au point par les médias : vous participez ou vous ne participez pas ? Il peut permettre se sortir de l’entre soi qui guette parfois le mouvement pour se retourner vers la société toute entière. Depuis le début le mouvement indispose les gens établis car il brise des barrières mais il ne faut pas qu’au bout d’un moment le gilet jaune devienne à son tour une barrière entre les bons qui le portent et les mauvais qui le vomissent. C’est là l’objet d’une autre réflexion.
Jean-Paul Damaggio