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Guérini, Marseille et notre siècle

Par Jean-Paul Damaggio • Actualités • Mercredi 09/03/2011 • 0 commentaires  • Lu 2479 fois • Version imprimable


Pourquoi les commentateurs politiques passent-ils toujours d’une présentation abstraite de la mondialisation à une évocation folklorique du local ? Et en France, quoi de plus folklorique que Marseille ? C’est ainsi que la famille Guérini, usant de la « fierté » locale, peut retourner à son profit, comme Bernard Tapie hier, ce qui ailleurs passe pour de l’escroquerie pure et simple. Malheureusement, depuis des années, en divers lieux et pour divers partis, électrices et électeurs n’ont pas hésité à réélire des politiciens condamnés ! Alors ?

Marseille

Tout le monde sait que la fédération PS de Marseille n’est que la partie visible d’un iceberg volumineux incapable de fondre sous le coup des chaleurs de l’actualité. En conséquence, épiloguer sur la part politicienne du rapport Montebourg sert de masque supplémentaire à l’analyse de fond d'un pant de la mondialisation : qu’est-ce que la corruption aujourd’hui, à Marseille, en France et dans le monde ? Puisqu’il s’agit du parti socialiste certains se penchent sur la différence de traitement, par la direction du parti, entre le cas Georges Frêche et celui des Guérini, sans se demander s’il ne s’agit pas de deux situations peu semblables. J’ose prétendre, sans défendre un seul instant Georges Frêche, que le clientélisme, le népotisme appartiennent à la vieille France alors que Marseille, depuis longtemps annonce le futur du pays. Dans un débat télé, un connaisseur de Marseille a lâché le nom de Sabiani et des années 30. Qui a pu saisir la référence ? Seuls les lecteurs du polar de René Merle, Treize reste raide[i][i], qui avait donné lieu à un article de ce dernier dans Libération (14-04-1998), ont pu comprendre comment, du fascisme des années 30 au vote FN des années 90, une tendance lourde circule dans les rues de la ville. René Merle indiquait alors : « Aujourd’hui l’épisode sabianiste est presque oublié. Mais on peut se souvenir que ce fascisme méridional a voulu capter le radicalisme social d’origine populaire, récupérer la protestation contre l’injustice sociale. » Douze ans après, ce propos n’est-il pas prémonitoire ?

Suis-je loin des Guérini ? Du mythe du « midi rouge » ?

La corruption se divise en deux éléments : les corrupteurs (qu’on oublie) et les corrompus (qu’il faudrait plaindre). Le système mafieux n’est pas l’effet du PS, mais le PS étant dominant dans les Bouches du Rhône, le système existant a investi le PS. Si le RPR hier, ou l’UMP aujourd’hui, avait été dominant (comme dans d’autres villes de la région PACA) c’est ce parti qui aurait croisé les corrupteurs (ne parlons pas ici du cas de Nice).

Notre siècle

Pourquoi, partout dans le monde, les peuples s’insurgent contre les corrupteurs, sans pouvoir imposer leur volonté ? Comment expliquer que de Caracas à Moscou, de Marseille à Tunis, de Rome à Managua, les pouvoirs soient face au même problème, qu’ils usent ou combattent, mais qui les ronge de toute façon, la corruption ? S’agit-il d’une perte générale de morale ? L’histoire est connue : en Italie, une opération « main propre » au cours des années 90, a obligé le socialiste Craxi à fuir chez son copain Ben Ali, qui vient à son tour d’être victime d’une opération main propre, pendant que l’Italie « nouvelle » est dirigée par un homme aux mains encore plus sales que celles de ses prédécesseurs ! Je ne rappelle pas cet événement pour signaler que la révolution tunisienne (ou d’autres) est vouée à l’échec, mais pour insister sur les tendances de fond de notre siècle. Elles sont de trois ordres qui s’autoalimentent et toutes visent à mettre à mal les vestiges issus de la révolution française : la montée en puissance de l’économie parallèle (au grand désarroi du capitalisme producteur), l’émergence d’extrême-droite diverses (et cette diversité en fait la force), le retour des féodaux contre les aristocraties établies. Les Guérini sont des féodaux qui peuvent faire de Martine Aubry leur vassale (ce n’était pas le cas de Frêche) ; leur stratégie alimente l’extrême-droite (qui se donne des airs de pureté) ; la dite extrême-droite use des vestiges de la démocratie pour tuer la démocratie ! La boucle est bouclée et les pendus sont légions.

Les Arabes

René Merle rappelait dans l’article de Libération « la vieille tradition de droite extrême, régionaliste, royaliste, maurassienne, vive par exemple dans la Vendée provençale rhodanienne ». L’écart entre les positions de Mistral et celles des félibres rouges, surtout de l’Hérault, n’est pas qu’anecdotique. Dans cette tradition, il y a le rejet de l’Arabe. Les révolutions tunisiennes puis égyptiennes auraient pu changer la donne en montrant un visage nouveau de ces peuples, mais le miroir qu’elles renvoient des complicités des dirigeants européens avec les dictatures (je n’ai pas écrit avec la facilité coutumière, occidentaux) écrase encore plus nos mœurs officielles. Après avoir été à la source de milliers d’émigrés, la Tunisie va-t-elle nous donner des leçons de démocratie ?

Marseille est le sismographe de toute cette mutation, lieu de la crise profonde à travers son port, son industrie, lieu au cœur de la méditerranée, doté en plus en France d’une fonction a-parisienne en tant que seconde ville du pays ! Montebourg ne fera que passer, l’iceberg lui, continuera son chemin. J’aimerais tant qu’il soit sondé minutieusement, l’iceberg !

09-03-2011 Jean-Paul Damaggio



[i][i] Treize reste raide, René Merle, 1997, Gallimard, 237 pages


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