Les affrontements en Lybie mettent en jeu des moyens inégaux. D’un côté l’aviation du dictateur, ses chars, ses mercenaires… De l’autre une partie du peuple armé en tout et pour tout de kalachnikovs, ou d’armes prises dans les dépôts de villes occupées, montées à la va-vite sur des « pick-up » ou véhicules de fortunes…. Au rythme actuel, nul ne peut dire combien de temps la révolte populaire pourra encore tenir. Alors une question se pose : quelle aide apporter au peuple libyen ? Et comment le faire alors qu’il subit les bombes et les obus dans les villes qu’il occupe encore, acculé dans ses derniers retranchements ? Droit d'ingérence ou devoir de solidarité?
Bernard Henri Levy transmuté en émissaire d’occasion, Bernard Kouchner en conseiller diplomatique du gouvernement français à la « ramasse »… A entendre l’ancien ministre des affaires étrangères, la Libye redonnerait du tonus aux thèses sur le droit d’ingérence des grandes puissances, au nom du combat contre les assassinats en règle commis à l’encontre du peuple qui se soulève.
Droit d'ingérence?
Nul ne peut soutenir le fameux « droit d’ingérence » conçu comme la possibilité des puissants, notamment de l’OTAN et des Etats-Unis, d’aller dicter leur loi comme bon leur semble, sous quelque prétexte que ce soit, contre la souveraineté des pays dont la politique pourrait leur déplaire. Mais la question libyenne relève-t-elle de ce cas de figure ?
Depuis Benghazi, lieu où est concentré le contre pouvoir à celui du colonel Kadhafi, l’opposition libyenne elle-même s’adresse à la communauté internationale, et formule une demande précise. Elle appelle à l’instauration d’une « zone d’exclusion aérienne », c'est-à-dire la garantie que les bombardements organisés par l’armée du dictateur ne pourront se poursuivre. Elle demande que les mesures ainsi prises interdisent également le vol des hélicoptères qui permettent le transport des mercenaires payés par le régime.
Il n’est pas question là de droit d’ingérence, et l’utilisation du terme même, marqué par les précédents irakiens ou yougoslaves, pollue le débat. Nulle ingérence, juste soutien logistique au peuple engagé dans un combat sans merci pour la démocratie, contre la dictature du clan Kadhafi. Voilà ce dont il s’agit ! Voila l’urgence de l’heure, la demande formulée par les populations engagées contre la dictature.
L’adoption par l’ONU d’une résolution pour « une zone d’exclusion aérienne » coince par l’opposition actuelle de la Chine et de la Russie, tous deux membres du conseil permanent. La première verrait dans l’adoption d’une telle résolution la possibilité demain d’un regard de l’institution internationale sur la situation tibétaine, la seconde sur la Tchétchénie. Ainsi donc c’est au nom de la possibilité de « massacrer à huit clos » qu’il faudrait aujourd’hui respecter le droit de Kadhafi d’agir avec les moyens qu’il met en œuvre et qui à ce rythme risquent fort d’aboutir à l’anéantissement des espoirs du peuple libyen.
Une question politique!
La question militaire, l’attitude à adopter aujourd’hui, est évidemment une question politique. Une fois de plus, le précédent irakien est là pour nous le rappeler. Le « droit d’ingérence » qui intéresse les grandes puissances est plus celui qu’elles pourraient avoir sur le futur gouvernement, ses choix, les intérêts –pétroliers notamment- qu’elles pourraient en tirer. Les bons sentiments proclamés aujourd’hui ne sont évidemment pas sans arrière pensée pour demain. Le combat pour la démocratie, pour la liberté des peuples à décider de leur avenir et des affaires qui les concernent, ne sauraient transiger avec leur totale souveraineté. La souveraineté des peuples ne peut tolérer l’ingérence de puissances extérieures avides de profits.
Le droit du peuple libyen à décider de son avenir, une fois le dictateur renversé, doit donc être absolu, sans aucune intervention de quiconque. Mais pour avoir la possibilité d’exercer ce droit, il faut aujourd’hui pouvoir se défaire du dictateur et du régime. Et pour cela, la résistance ne s’y trompe pas, poussant un cri d’alarme de plus en plus insistant au fur et à mesure que le temps passe, sachant que ses capacités de résistance et d’offensive sont liées au temps.
Dans ce contexte, la loi votée à l’assemblée générale des nations unies en 2005 qui interdit à un état de tuer sa propre population, de commettre à son encontre des crimes contre l’humanité ou le crime de génocide, cette loi qui s’appuie sur « la responsabilité de protéger », ne devrait-elle pas permettre d’en finir avec les bombardements du colonel Kadhafi ?
N’y-a-t-il pas nécessité d’encourager l’aide qui pourrait aujourd’hui être apportée au peuple pour lui permettre de gagner son indépendance, condition d’imposer le respect de sa souveraineté ? N’y a-t-il pas une certaine indécence à tergiverser pour répondre aux demandes de la résistance libyenne alors que le temps est un facteur décisif et joue contre le combat engagé pour la libération du peuple libyen ?
Jacques Cotta
le 9 mars 2011
La frontière entre ingérence et protection reste à tracer. Certains préconisent une demande explicite d'intervention de la Ligue arabe et de l'Union africaine. Ce serait une condition nécessaire mais insuffisante. L'intervention militaire extérieure attiserait la guerre civile. Pour ma part, je ne sais trop ce que recouvre la désignation d'opposition ou de résistance en Libye.
Les diplomaties ne sont pas inactives et restent la voie à privilégier, juridiquement, politiquement.
Gabriel Galice