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« Intransigeants », « opportunistes », et caméléons

Par René Merle • Actualités • Jeudi 31/07/2008 • 0 commentaires  • Lu 1695 fois • Version imprimable


La récente analyse de Denis Collin (24 juillet), « Social-sarkozysme, un nouveau pas est accompli » [1], se termine par une interrogation stimulante sur le ralliement massif au sarkozysme des membres de la garde rapprochée de Mitterand.

 

S’agit-il d’une nouveauté radicale ou d’un avatar ordinaire des reniements successifs qui ourlent la trame de nos modernes Républiques ? (Reniements hélas voués aux oubliettes de l’Histoire)...

Interrogation donc, qui m’a renvoyé à mon département du Var, parce que la donne nationale s’éclaire aussi par les situations locales, mais surtout parce que si, dans ce département à la conscience communaliste affirmée, le « personnel » politique « de base » fut longtemps pleinement local, députés et sénateurs, au contraire, furent souvent des « pointures » nationales, « parachutées » pour une élection sans risques dans ce département fidèle aux idées de la démocratie avancée (fidèle, mais, comme le dit la chanson, je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître). C’est dire que les déviations d’engagements de ces élus, au plan national, étaient d’autant plus ressenties dans la chambre d’échos départementale.

Je relisais récemment quelques feuilles volantes d’un fruste chansonnier populaire, Garcin, publiées en en 1880-81, sous le titre de Muse républicaine et anti-cléricale, et largement diffusées dans le Var rural. Feuilles bilingues, utilisant ces deux débris du latin, le français et le provençal, que, quoique ferme défenseur de l’État-Nation [2], je pratique également, par héritage et par plaisir.

L’un de ces textes, en vers provençaux (je m’empresse de traduire), se termine ainsi :

« Intransigeants frères socialistes, il ne faut pas tarder pour écrire notre nom, c’est le moment, il faut dresser notre liste, et au scrutin notre nom retentira. Nous ferons flotter notre noble bannière, en lettres d’or notre nom briller, l’obscurité deviendra la lumière, quand nous n’aurons plus d’homme caméléons ».

Ce qui en clair signifiait pour les populations républicaines du Haut-Var, massivement dressées contre le coup d’État en décembre 1851 [3], mais quelque peu désorientées depuis :

« En 1848, vous avez acclamé le jeune Émile Ollivier, commissaire du gouvernement provisoire dans le Var. En 1857, vous avez su qu’il ne voulait pas se cantonner dans une opposition stérile. L’Empire étant en place, et bien en place, disait-il, il fallait le faire évoluer de l’intérieur... Vous l’avez cru et l’avez choisi comme votre député en 1869... Son réalisme vous a convaincu, plus que les discours enflammés de l’avocat Clément Laurier, « l’intransigeant » radical que depuis Paris Gambetta vous avait dépêché comme candidat, auréolé de ses courageux engagements pour la défense des républicains à la fin de l’Empire. Vous avez vu alors Ollivier, devenu le chef du gouvernement, orienter l’Empire dans un sens semi-parlementaire, vous l’avez suivi quand il vous a demandé de voter OUI au référendum-plébiscite de 1870. Vous connaissez la suite, la guerre acceptée par lui « d’un cœur léger », la chute de l’Empire... Vous vous êtes alors ressaisis, vous avez salué le nouveau préfet républicain, Cotte, un des chefs de votre insurrection de 1851, vous avez approuvé son attitude favorable aux communes de Marseille, puis de Paris. Une fois Cotte destitué par Thiers, vous avez témoigné de votre républicanisme avancé en choisissant comme député celui que vous aviez refusé en 69, « l’intransigeant », le « rouge » Laurier... Pour le voir, trois ans après, se ranger du côté de la pire réaction, soutenir le pouvoir conservateur jusqu’à refuser l’amendement Wallon... »

Ainsi, en quelques années, dans cette rude période de redécouverte de la démocratie politique, les électeurs républicains varois avaient pu faire directement l’expérience de trois tendances que les générations suivantes retrouveront directement de façon récurrente :

- l’entrisme personnel (Ollivier), puis organisationnel (Tiers-Parti) justifié par le « réalisme » politique : rejoindre le camp de l’adversaire pour infléchir sa politique ;
- le radicalisme « intransigeant », tel que le présentaient en 1869 Gambetta (le fameux « programme de Belleville », Clémenceau et Laurier ;
- la brusque trahison personnelle (Laurier), dans le ralliement total à l’adversaire et la haine proclamée pour les idéaux jadis défendus.

Dans les rudes années 1871-1877, où monarchistes et conservateurs, détenteurs du pouvoir, durent progressivement baisser pavillon, jusqu’à accepter la formule républicaine, puis, non sans mal, la défaite électorale, les électeurs républicains avaient pu voir les « intransigeants » mettre de l’eau dans leur vin, et accepter bien des concession en rupture avec leur programme initial : mieux valait, disaient-ils, obtenir une république imparfaite que pas de république du tout. Et, dès la victoire obtenue (1878-80), une partie des « intransigeants », adoptant officiellement l’étiquette d’ « opportunistes », rompaient avec les exigences radicales pour s’en tenir à un réformisme prudent, mais tenace. Dans le Var comme ailleurs, cet éclatement sera haineux.

L’appel que lance alors Garcin dans ses frustes chansons, c’est celui que venait de lancer Blanqui dans son ultime tournée dans le Var. Regrouper à la gauche de la gauche, et dans l’autonomie absolue à l’égard des républicains bourgeois et petits-bourgeois, les forces populaires éparses qui gardaient au cœur l’espérance de la vraie République démocratique et sociale. « Socialistes »... Il n’est pas question ici d’entrer dans l’histoire des Troisième et Quatrième Républiques, et de ses péripéties varoises. Bornons-nous à signaler que la majorité des républicains du département continuèrent dans un premier temps à voter pour les radicaux « intransigeants, élisant en 1885 un des plus prestigieux parachutés, Clémenceau. Mais que les premiers socialistes varois se jetèrent effectivement dans la bataille, faisant élire peu après le général de la Commune, Cluseret, sous l’étiquette de « socialiste révolutionnaire »... Clémenceau dont on connaît l’évolution dans les vingt années suivantes, jusqu’à devenir comme sénateur (du Var) pilier de l’institution qu’il dénonçait véhémentement dans sa jeunesse... Cluseret qui baignera bientôt sa défense des « petits » dans une violente idéologie xénophobe, antisémite et antidreyfusarde... Cependant que tenacement, les socialistes « de terrain », confrontés aux réalités de la gestion municipale, allaient gagner la confiance de la majorité des électeurs jusqu’à obtenir une hégémonie absolue aux législatives du début du vingtième siècle...

Le cycle recommencera après la guerre de 14, quand anarchistes et communistes déborderont sur sa gauche un parti socialiste institutionnalisé, et que nombre de socialistes varois, à l’initiative d’un autre « parachuté », Renaudel, élu du Var depuis 1914, rallieront en 1933 le courant "néo-socialiste" de Déat et le Parti socialiste de France, nouvel avatar du « réalisme réformiste » en rupture avec les positions de la SFIO. Cependant que l’ex-maire de Toulon, Escartefigue, d’abord anarchiste, puis socialiste, puis clémenciste, sera réélu comme candidat de la droite « nationale » et flirtera avec la droite extrême.

Le survol des périodes suivantes, élargi à la proche situation marseillaise (Sabiani, passé du comunisme au social-fascisme de Doriot !) pourrait faire l’objet d’un long et peut-être nécessaire article (4]. Mais la donne ne changerait pas. Nous retrouvons toujours, à côté des fidélités confirmées, et bientôt face à elles, soit des positions dites « réalistes » d’acceptation du système et de participation à ce système pour l’infléchir, soit des trahisons personnelles encore plus déshonorées par la haine qu’elles portent aux camarades d’antan. Mais aucun des « réalistes », et encore moins aucun des traitres ne se serait hasardé à dire : « je n’ai pas changé ». Au contraire, ils s’efforcent en permanence de justifier leur mutation par une offensive idéologique tenace, qui se veut cohérente.

Rien de tel aujourd’hui, et c’est probablement en cela que réside la nouveauté absolue. L’épisode le plus stupéfiant se situant pendant la dernière campagne électorale ! On passe d’un camp à l’autre sans même chercher à se justifier par un souci de « réalisme » et d’efficacité. En définitive, ces transfuges nous donnent la clé du secret : on passe d’un camp à l’autre parce qu’on ne change pas de camp. Issus pour la plupart des mêmes filières de formation et de formatage, partageant la même vision sur la société et son évolution que ceux qu’ils vont rejoindre, ils laissent sans s’émouvoir les idéologues de la droite dure vaticiner. Leur conviction est faite que l’avenir est à la gestion « loyale » du capitalisme moderne, et à la récompense existentielle qu’ils en attendent. Ils avaient surfé sur la vague « de gauche » pour mettre leur compétence et leur appétit de pouvoir au service du Monarque. Le Monarque change : le Roi est mort, vive le Roi... Pour eux, on ne change pas de camp, puisqu’il n’y a qu’un camp.

[1] http://www.la-sociale.net/article.p...

[2] Cf. René Merle, « Constitution européenne, Toni Negri et le OUI ethique », http://www.rene-merle.com/article.p...

[3] cf. le site http://www.1851.fr

[4] J’ai pu mesurer, après la publication de mon roman noir « Treize reste raide », qui traite de cet épisode sabianiste, combien ce rappel gênait alors que fleurissait, dans une déversement de bons sentiments, une image consensuelle de Marseille...

René MERLE


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