De toujours, je suis hostile aux institutions de la Ve République, mais si je fais l’effort de ma placer du point de vue des défenseurs de ces institutions – c’est-à-dire l’immense majorité des partis officiels – le référendum sur la loi serait évidemment la solution de sortie de crise qui s’impose. . Valls affirme que la loi est adoptée démocratiquement (il nomme le 49-3 une forme de démocratie…) et ses opposants affirment que la majorité lui est hostile. Laissons donc les urnes parler ! Comme De Gaulle l’a fait en 1969 sur sa réforme constitutionnelle.
Dans l’histoire de la Ve république, le référendum a une place spéciale : il vise à redonner la parole au peuple, par-delà les partis et les organismes intermédiaires. Il procédait de cette idée gaulliste selon laquelle la prééminence du président de la république reposait sur cette rencontre d’un homme et de la nation. Le président est l’homme de la nation ! Inutile de redire ici en quoi les véritables républicains se sont opposés à cette conception bonapartiste de la « démocratie » qui fait de chaque élection un plébiscite. Il reste que, dans l’esprit du fondateur de la Ve République, le référendum comme toutes les autres élections (locales ou législatives) devait confirmer (ou non) la solidité de ce rapport de l’homme providentiel à la nation. Quand De Gaulle déclara : « ce n’est pas à mon âge que je vais commencer une carrière de dictateur », il était parfaitement de bonne foi. Ou, à la rigueur, c’est dans le sens romain du terme qu’on aurait pu parler de dictature. On a beaucoup reproché à De Gaulle d’intervenir à la veille de chaque élection sur le thème « moi ou le chaos ». C’est qu’en effet il considérait chaque élection comme un référendum pour ou contre lui. Il restait bien dans le gaullisme originel un élément démocratique (mais non républicain).
Depuis De Gaulle, la tradition du référendum s’est perdue, si on excepte l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun ou le statut de la Nouvelle-Calédonie. C’est la question européenne qui l’a remis à l’ordre du jour. En 1992, avec le référendum sur le traité de Maastricht, le vent du boulet est passé près : malgré le soutien de la quasi unanimité des « grands partis » et des médias, le « oui » n’a recueilli que 52 % des voix. En 2005, le référendum sur le TCE aboutit à la défaite cinglante du pouvoir en place (et de tous les éditocrates). Mais, à la différence de son illustre prédécesseur, Jacques Chirac ne démissionna pas et laissa à son successeur, Nicolas Sarkozy, le soin de faire passer par le congrès ce que le peuple avait rejeté. Dans ce déni flagrant de démocratie, rappelons que M. Sarkozy avait reçu le soutien empressé du PS et notamment de M. Hollande. De même, l’habitude a été prise depuis longtemps qu’un président qui perd toutes les élections intermédiaires peut continuer à gouverner comme avant. Après De Gaulle, les présidents de la république se moquent comme d’une guigne de la confiance du peuple.
Ajoutons qu’il restait dans la Ve République un garde-fou parlementaire : l’élection de l’Assemblée Nationale pouvait en cours de mandat venir contredire le président. En 1967, où il n’avait gardé la majorité que d’un seul siège, De Gaulle avait menacé de démissionner s’il perdait la majorité. En 1986 Mitterrand a perdu la majorité et l’a perdue à nouveau en 1993 et dans les deux cas, il a cohabité avec une majorité hostile, inaugurant un exercice semi-parlementaire de la constitution de 1958. Chirac l’a suivi dans cette voie après l’élection de 1997 et la victoire de la gauche dirigée par Jospin. Ce deuxième aspect des pratiques des institutions confirmait que la constitution de 1958 était une constitution « semi-bonapartiste et semi parlementaire » – le « parlementarisme » de cette constitution étant l’œuvre de Michel Debré plus que celle du général De Gaulle. Mais en 2002, Jospin et Chirac se sont entendus pour éliminer cette éventuellement d’une « parlementarisation » de l’exercice institutionnel par le raccourcissement à 5 ans du mandat du président et l’inversion du calendrier électoral garantissant que l’élection des députés se ferait dans la foulée de la présidentielle, garantissant de fait au président une majorité à sa botte et faisant plus que jamais du Parlement un parlement-croupion.
Enfin, la soumission au traité de Lisbonne a transféré une partie des pouvoirs des représentants légaux du pays à la bureaucratie de l’UE éliminant ce qui avait fait la gloire du gaullisme, la défense de la souveraineté de la nation.
Bref, de la Ve République, on a gardé le pire en éliminant tous les éventuels contrepoids. On voit mal Hollande organiser un référendum qu’il serait certain de perdre. On le voit mal dissoudre l’Assemblée et perdre également toute majorité. Les commentateurs attitrés s’en prennent à la CGT (et aux syndicats de classe en général) pour les accuser du blocage. Mais il est hors de question pour eux de reconnaître que ce qui bloque, c’est tout simplement la Constitution et que la crise que nous vivons est sans doute la plus grave crise qu’ait connue la Ve République. Une majorité parlementaire qui perd régulièrement des membres, un exécutif discrédité à un point inimaginable, et un mouvement social qui ne veut pas rendre les armes en dépit des coups de menton des chefs de l’exécutif. Avec une « bonne volonté » bien contestable, les dirigeants des grandes centrales ont fait savoir qu’une suspension de la loi et la reprise du « dialogue social » leur conviendraient. Mais même cette issue semble bouchée : le patron de Hollande, le fraudeur en chef Juncker a fait savoir que la loi El Khomry était vraiment le minimum de ce qu’exigeait Bruxelles.
Ceux qui pestent contre le « blocage du pays » devraient commencer par réfléchir à tout cela. S’ils étaient de bonne foi, ils devraient reconnaître que nous devons réformer radicalement nos institutions et revenir à un régime parlementaire. Mais parmi tous les faiseurs d’opinion, rares sont ceux qui sont de bonne foi et encore plus rares ceux qui sont encore capables de réfléchir. Jupiter, dit-on, rend fous ceux qu’il veut perdre.