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L’empire du mensonge

Par Denis Collin • Actualités • Jeudi 02/06/2016 • 5 commentaires  • Lu 3142 fois • Version imprimable


Pour qui écoute avec attention radios et télévisions, lit les journaux « mainstream » ou prête attention aux déclarations des gouvernants, il y a quelque chose de très frappant : le recours systématique au mensonge. On sait depuis longtemps que l’exercice du pouvoir ne va pas sans recours au mensonge, mais aujourd’hui il s’agit de toute autre chose.

 

Hannah Arendt montre l’essence du mensonge totalitaire tel qu’il s’est développé au cours du XXe siècle. Le mensonge totalitaire repose sur la négation de certains faits et l’invention d’autres faits. On pouvait croire que « les faits sont têtus ». Arendt rapporte ceci :

Durant les années vingt, Clemenceau, peu avant sa mort, se trouvait engagé dans une conversation amicale avec un représentant de la république de Weimar au sujet des responsabilités quant au déclenchement de la Première Guerre Mondiale. On demanda à Clemenceau : « À votre avis, qu’est-ce que les historiens du futur penseront de ce problème embarrassant et controversé ? » Il répondit : « Ça, je n’en sais rien, mais ce dont je suis sûr, c’est qu’ils ne diront pas que la Belgique a envahi l’Allemagne. »

Il n’est pas certain que Clemenceau ait vraiment raison. Même les « données élémentaires et brutales de ce genre » ont été mises en cause par le système stalinien. Les livres d’histoire ont effacé purement et simplement Trotski de l’histoire soviétique, comme s’il n’avait pas été l’organisateur et le chef de l’Armée Rouge et aussi le vainqueur assurant la victoire du système soviétique sur les armées « blanches ». Les photographies officielles ont été truquées pour faire disparaître non seulement Trotski mais aussi bientôt tous les compagnons de Lénine au fur et à mesure qu’ils tombaient en disgrâce. Le Winston Smith de 1984 n’est donc pas une pure invention de George Orwell. Orwell (qui fut un temps proche des trotskistes, pendant la guerre d’Espagne) a trouvé son modèle tout prêt dans les trucages du système stalinien.

Évidemment, nous ne sommes pas dans le monde de l’Union Soviétique stalinienne, ce pays du « mensonge déconcertant » selon le mot d’Anton Ciliga. Mais il y a quelque chose qui y ressemble de près. La novlangue bureaucratique de l’Union Européen et des autres instances de la « gouvernance » internationale présente de nombreuses analogies avec la novlangue du monde de 1984. Ainsi le « plan de sauvetage » de la Grèce n’est rien d’autre qu’un plan pour couler les Grecs et rayer ce pays, comme nation indépendante, de la carte de l’Europe. En violant la volonté populaire qu’il avait pourtant sollicitée par la voie référendaire, Tsipras s’est fait le lieutenant zélé de cette infamie. L’exemple grec est tout à fait significatif. Il montre que le mot « démocratie » ne signifie plus « pouvoir du peuple » mais pouvoir de l’oligarchie imposant les lois du « marché libre », c’est-à-dire du marché entièrement soumis aux exigences du capital financier et des grandes institutions bancaires. Les gouvernements réactionnaires (y compris sociaux-démocrates) font de la « sécurité » un de leurs thèmes favoris, mais ils s’acharnent à organiser l’insécurité en détruisant toute trace de la sécurité de l’emploi et en s’attaquant à la sécurité sociale. Dans les discours de ces gens « sécurité » veut donc bien dire « insécurité ». La réforme du collège voulue par Mme Vallaud-Belkacem se présente comme une réforme qui n’a d’autre but que de mettre un terme aux discriminations et promouvoir la « réussite des élèves ». L’examen de cette réforme montre qu’il n’en est rien. Il s’agit de porter un nouveau coup à l’école de la république, de dégrader le contenu de l’instruction et de promouvoir indirectement un enseignement privé réservé aux plus riches. La baisse des exigences sur les disciplines fondamentales et l’invention d’enseignements gadgets expriment le mépris de classe de ces gens : le latin pour les enfants des banlieues, vous n’y pensez pas ! Ce serait donner de la confiture à des cochons. Voilà ce qu’il y a derrière la sollicitude feinte de ces gens.

La bataille engagée autour de la loi El Khomry a permis d’atteindre des sommets. Non seulement la prétendue « simplification » du Code du travail se traduit par un nouveau gonflement du Code du travail – le texte transmis au Sénat comporte 219 pages dont 130 pour le seul titre II – mais surtout nous avons une loi qui proclame qu’elle n’est pas la loi puisque l’article 2 est entièrement consacré aux moyens de contourner la loi. La suppression des garanties de la loi s’intitule « loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s ». Passons sur ce débile « actif-ve-s » imposé par un pseudo-féminisme et adopté contre toutes les règles de la grammaire par un gouvernement qui veut montrer, contrairement à l’adage selon lequel Caesar non superat grammaticos, qu’il est plus fort que César et décide même de la grammaire. Ce qu’on y appelle « nouveaux droits », ce sont les droits des entreprises d’imposer aux « actif-ve-s » des dérogations à la loi : augmentation de la journée de travail, augmentation des contraintes et baisse de la rémunération des heures supplémentaires. On sait bien ce qui est en cause : les entreprises pouvaient toujours négocier des accords plus favorables aux travailleurs que la loi ou les accords de branche. La nouvelle loi prévoit donc la suppression du « principe de faveur » et donc l’imposition d’accords d’entreprise moins favorables que la loi et les accords de branche. Ça n’empêche pas le gouvernement et son chien de Berger de la CFDT de parler de démocratie dans l’entreprise. Cette « démocratie » celle des patrons qui se trouvent ainsi les seuls détenteurs d’un pouvoir qui n’a plus aucune contrepartie – c’est la généralisation de l’accord « SMART », travailler plus pour gagner moins.

Mais ce mensonge organisé ne s’arrête pas au contenu du texte. Mme El Khomry, qui, comme Jeanne d’Arc, doit entendre des voix affirme qu’elle entend « la majorité silencieuse » qui est favorable à la loi, alors que grèves, manifestations et sondages d’opinion confirment que l’immense majorité des citoyens de ce pays rejettent la loi (un récent sondage ne trouve que 13 % de sondés favorables à cette loi) et que même la très modérée CFE-CGC demande le retrait de la loi. Les médias nous abreuvent de titres-chocs sur la CGT qui bloque le pays ; Gattaz traite la CGT de terroriste et Franz-Olivier Giesbert ose écrire dans Le Point que la France est menacée par deux dangers : Daech et la CGT. L’opération de propagande est parfaitement claire : le refus de la loi El Khomry, c’est uniquement les sectaires de la CGT – les moustaches de Martinez sont là pour faire peur et pour un peu les journaux qui ne survivent que sur fonds publics n’hésiteraient pas à lui mettre le couteau entre les dents. Et comme par hasard on ne parle plus des autres syndicats (SUD et FO). Le pompon a été atteint sur les transports. Après les déclarations de Vidalies selon lesquelles les transporteurs routiers ne seraient pas touchés par la baisse éventuelle des heures supplémentaires, tous les médias y sont allés de leur couplet (rédigé à Matignon) disant que FO Transports levait son mot d’ordre. Or, au même moment se tenait le congrès de la fédération FO des transports qui non seulement votait à l’unanimité la poursuite du mouvement et annonçait le blocage site par site de l’Euro 2016 ! Contrairement à ce que pensait Clemenceau, aujourd’hui, dans la « démocratie » qui est la nôtre, on pourrait dire que c’est la Belgique qui a envahi l’Allemagne en 1914 !

Le monde que construit l’empire politico-médiatique est donc un monde fictif. Le mensonge sur les faits commence à devenir la règle. Or ce mensonge sur les faits largement connus est typique des méthodes totalitaires. Hannah Arendt rappelait que :

Même dans l’Allemagne hitlérienne et la Russie stalinienne, il était plus dangereux de parler des camps de concentration et d’extermination, dont l’existence n’était pas un secret, que d’avoir et d’exprimer les vues « hérétiques » sur l’antisémitisme, le racisme et le communisme.

Nous ne sommes pas dans un système totalitaire au sens de Arendt. Mais certaines des méthodes le sont. C’est encore Hannah Arendt qui affirmait que les méthodes de la propagande totalitaire venaient de la « réclame », c’est-à-dire des publicitaires. La toute-puissance du « marketing » et de la « com » est mise au service non seulement de la vente de camelote marchande mais aussi au service de la camelote politique.

Comment tout cela a été rendu possible, comment ce mépris de la vérité a pu se propager, cela demanderait de longs développements dans lequel le « relativisme » pseudo-nietzschéen des tenants de la « French Theory » et des diverses formes du gauchisme culturel jouent un rôle très particulier. La brutalité des classes dominantes, en tout cas, s’accompagne d’une tentative de destruction des règles de base de la morale ordinaire et le développement tentaculaire de l’empire du mensonge ne doit pas être pris à la légère, comme un simple phénomène superficiel. Il s’agit au contraire de l’expression particulièrement violente de l’état du capitalisme aujourd’hui.


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Commentaires

phrase et anti-phrase par berthierch le Lundi 06/06/2016 à 11:49

Denis écrit : "Nous ne sommes pas dans un système totalitaire au sens de Arendt. Mais certaines des méthodes le sont. C’est encore Hannah Arendt qui affirmait que les méthodes de la propagande totalitaire venaient de la « réclame », c’est-à-dire des publicitaires. La toute-puissance du « marketing » et de la « com » est mise au service non seulement de la vente de camelote marchande mais aussi au service de la camelote politique."
...Et de la camelote philosophique! A force de restrictions mentales, le message devient incompréhensible au delà d'un cercle d'initiés. C'est curieux comment les meilleures plumes se croient obligées de répondre par avance à leurs contradicteurs...leur rendant ainsi un service gratuit. Il n'y a pas que le papier qui accepte tout; la pensée sans projet ou volonté est pire qu'un couteau sans lame, c'est un couteau à deux lames et sans manche. Par ou s'en servir? Des deux cotés il blesse.
Si "philosopher, c'est apprendre à mourir", il s'agit d'un message à soi-même et pas d'une recommandation pour tout un chacun. 
Parlons et écrivons clair. Sans entrechat sophistiqués de la pensée. Oui les media, grands ou petits, obéissent à des doxa médiatiques totalitaires dont le but est d'obscurcir la volonté de toutes les composantes du peuple, à commencer par les plus instruites. Une partie des fruits du travail et de l'activité humaine est retournée contre le peuple pour en obscurcir la conscience, faire diversion, fragmenter la volonté et les propositions de changement, corrompre les organisations et partis et "élites" médiatisées à la condition qu'ils s'expriment, désorganisent et organisent en faveur du systeme.
L'Etat opprime et la loi triche. Au maximum du totalitarisme possible.
C'est ce contre quoi, l'organisation du peuple ( de l'Espece) est indispendable à sa survie.


Re: phrase et anti-phrase par la-sociale le Lundi 06/06/2016 à 12:00

Tout ça pour ça? Les phrases vengeresses mais approximatives, voire complètement fausses, ne font rien avancer. Si nous sommes dans un régime totalitaire au sens classique, alors le totalitarisme ce n'est pas bien terrible se dira le lecteur ordinaire. Au fait, Berthier, c'est quoi ton projet avec couteau et lame?
DC


Re: phrase et anti-phrase par berthierch le Mercredi 15/06/2016 à 19:36

Cher camarade Denis Collin, 
Merci de ton apostrophe! 
Je regrette de n'y pouvoir répondre plus complètement, à cause des événements militants dans lesquels nous sommes plongés. Mais je n'y manquerai pas car elle permet d'aborder une part de ce qui rend les débouchés politiques "compliqués" à entrevoir.
Ce hiatus entre nous a, selon moi, son origine dans la distance croissante entre les process physiques, techniques, scientifiques, vitaux et concrets qui permettent encore à l'Humanité de survivre à 7 milliards et la gigantesque et coûteuse machine construite par l'oligarchie/la classe dominante pour garder le pouvoir et s'approprier une part croissante du produit de l'activité humaine, in fine par la violence, la faim,la corruption, les charlatans en tous genres, etc.
Ainsi, pour prendre la France et sans négliger la part essentielle de ce qui résulte de ses relations internationales de tous types - et donc de celles de son peuple-pour-faire-simple,  la part du travail humain de tous types qui revient concrètement à la grande majorité de la population pour survivre, s'adapter, se reproduire, concrètement, etc, décroît constamment au profit des frais de fonctionnement, d'entretien, de répression, de financement, etc du système. 
Une telle évolution a toujours et partout débouché sur des luttes sociales les plus dures.
Je n'oublie pas les frais de formation, corruption, etc. Pour ma part, j'ai suivi le parcours de l'ancien Pdt des départements de France qui,  à mesure que se précisait la perspective de la disparition des assemblées départementales élues et de leurs "compétences générales" oubliait ses propres propositions de résistance et de revendication à l'égard de l'Etat et des personnels...jusqu'à disparaitre politiquement avec son parti..
Je crains que, sous les pressions de tous types sur les maires, leurs adjoints et conseillers ne puissent, sans mobiliser leurs électeurs - ou etre mobilisés par eux, de gré ou de force - faire effectivement obstacle à l'achèvement des lois territoires. D'ou le mot d'ordre d'assemblées communales ( et pas seulement "citoyennes").
Une autre question ne me semble pas attirer assez l'attention des partisans d'une société nouvelle, c'est la diminution de la part de celles et ceux qui disposent de l'expérience concrète de la production des biens et des services utiles et de l'insertion dans le producteur collectif des biens et services pour la majorité de la population.
C'est cette insertion dans un producteur collectif qui fonde la capacité de la classe ouvriere jusque dans les compétences des paysans, ingénieurs, soignants et architectes ( et ) à conquérir et à construire une société nouvelle. Pas celle des philosophes, bureaucrates, publicistes, consultants, media, en tous genres..
Ce n'est pas qu'une question de productivité. J'ai observé il y a des dizaines d'années en Amérique latine l'incapacité de l'industrie américaine d'entretenir les usines qu'elle avait construites. A fortiori de les améliorer. ainsi, les usines sidérurgiques européennes ont été démontées et remontées en Chine...notamment. Leurs ouvriers et ingénieurs ne sont plus là! C'est le cas d'une grande partie des industries et infrastructures aux USA et peuple américain est bien charitable de ne pas s'être révolté et d'avoir, à ce jour, accepté de  s'enfoncer dans le sous développement et la destruction de ses infrastructures, villes, services publics. et de santé.
Je ne suis pas loin de penser que la stérilité politique de nos petites et grandes "élites", leur acceptation des institutions du "coup d'etat permanent" résultent de leur attachement aux prébendes qu'elles leur verse...pour l'instant. 
Alors: "que philosopher, c'est apprendre à mourrir", comme le disait Michel de Montaigne?


phrase et anti-phrase par berthierch le Lundi 06/06/2016 à 11:50

Denis écrit : "Nous ne sommes pas dans un système totalitaire au sens de Arendt. Mais certaines des méthodes le sont. C’est encore Hannah Arendt qui affirmait que les méthodes de la propagande totalitaire venaient de la « réclame », c’est-à-dire des publicitaires. La toute-puissance du « marketing » et de la « com » est mise au service non seulement de la vente de camelote marchande mais aussi au service de la camelote politique."
...Et de la camelote philosophique! A force de restrictions mentales, le message devient incompréhensible au delà d'un cercle d'initiés. C'est curieux comment les meilleures plumes se croient obligées de répondre par avance à leurs contradicteurs...leur rendant ainsi un service gratuit. Il n'y a pas que le papier qui accepte tout; la pensée sans projet ou volonté est pire qu'un couteau sans lame, c'est un couteau à deux lames et sans manche. Par ou s'en servir? Des deux cotés il blesse.
Si "philosopher, c'est apprendre à mourir", il s'agit d'un message à soi-même et pas d'une recommandation pour tout un chacun. 
Parlons et écrivons clair. Sans entrechat sophistiqués de la pensée. Oui les media, grands ou petits, obéissent à des doxa médiatiques totalitaires dont le but est d'obscurcir la volonté de toutes les composantes du peuple, à commencer par les plus instruites. Une partie des fruits du travail et de l'activité humaine est retournée contre le peuple pour en obscurcir la conscience, faire diversion, fragmenter la volonté et les propositions de changement, corrompre les organisations et partis et "élites" médiatisées à la condition qu'ils s'expriment, désorganisent et organisent en faveur du systeme.
L'Etat opprime et la loi triche. Au maximum du totalitarisme possible.
C'est ce contre quoi, l'organisation du peuple ( de l'Espece) est indispensable à sa survie.


il y a les grands, mais n'oublions pas les petits par berthierch le Lundi 06/06/2016 à 12:04

Dans la politique des sommets de l'Etat et de l'oligarchie je n'oublie pas les petits. Avec le soin de la ménagere qui pourchasse les moutons jusque sous les meubles et les tapis, la moindre tendance, le moinde parti, la moindre association est soumise à influence, diversion et intrusion sur les sujets les plus divers, people, cuturels, cultuels et autres. cela vaut pour les appareils syndicaux et politiques sommés de faire le menage en leurs rangs par la seduction ou la repression à l'encotre de celles et ceux qui regimbent...même dans ce qu'il est convenu d'appeler la gauche de la gauche. 



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