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L’impératrice défait le reître

Lettre bernoise 60

Par Gabriel Galice •  • Samedi 28/09/2013 • 2 commentaires  • Lu 2011 fois • Version imprimable


Cher Klaus,
Les augures le savaient : l’Impératrice Merkel déferait le reître Steinbrück. L’incertitude portait sur l’ampleur de la victoire ; elle est écrasante, atténuée par le mode de scrutin et les particularités régionales d’un Etat fédéral. La CDU-CSU obtient 41,5% et 311 sièges au Bundestag, le SPD 25,7% et 192 sièges, Die Linke (réunissant des dissidents de gauche du SPD et d’anciens communistes de la RDA) 8,6% et 64 sièges, les verts 8,4% et 63 sièges.  Les deux grands partis progressent et les petits partis régressent, à l’exception de la nouvelle formation des milieux d’affaires hostile à l’euro, « Alternative pour l’Allemagne », qui, avec 4,7%, frôle la barre des 5% qui lui aurait permis d’entrer au Bundestag. Angela Merkel et Peer Steinbrück ont en commun d’être nés à Hambourg. De surcroît, de 2005 à 2009, il a été le conciliant ministre des finances de la chancelière dans le gouvernement de grande coalition entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates.
La force tranquille de l’impératrice terrasse les foucades du « pont de pierre »,  le patronyme écorché de Steinbrück en français. L’étonnant, cher Klaus, est que la social-démocratie allemande se soit choisi un si mauvais chef de cavalerie, qui, en amateur de westerns, se flatta de mettre en déroute ces indiens de Suisses dans le différend fiscal entre nos deux nations. Dans un pays riche où les pauvres ne manquent pas, où la flexibilité du travail est la règle, les sociaux-démocrates n’ont pas craint de choisir pour héraut un millionnaire, ancien administrateur de Thyssenkrupp,  prêchant à prix d’or (1,25 millions d’€) la bonne parole de l’orthodoxie financière devant des cénacles choisis. Le truculent Steinbruck n’hésita pas à traiter de clowns deux dirigeants politiques italiens, ni à imputer le manque de ferveur européenne de Merkel à son passé est-allemand, ni, pour couronner le tout, à se faire photographier faisant un doigt d’honneur (Stinkefinger, ou « doigt puant » en allemand). De tels dérapages lui ont aliéné des voix populaires, féminines, est-allemandes, d’autres encore.

L’Impératrice est une physicienne. Face à l’énergumène Steinbrück, elle fit montre d’une grande puissance : la force d’inertie. Nonobstant un positionnement tactique « à gauche » n’abusant pas grand monde, le vacarme du candidat social-démocrate visait à faire oublier le peu de différences essentielles avec la chancelière chrétienne-démocrate sortante, qui s’offrit le luxe de quelques semblants progressistes. Angela se montra inébranlable, patriotiquement allemande, savourant même, in petto, l’impopularité dont l’étranger la gratifiait. Par conviction autant que par souci de ne pas laisser le champ libre au nouveau parti eurosceptique « Alternative pour l’Allemagne », elle mania la physique des forces, neutralisant l’européisme des uns par l’euroscepticisme des autres.
Tout cela est-il l’essentiel ? L’inédit ? D’autres signes, cher Klaus, méritent l’attention, dont la disparition à la chambre basse du parti libéral (FDP), le désamour des intellectuels pour la politique officielle. La victoire d’Angela Merkel atteste de l’inertie politique allemande adossée à son isomorphisme aux tendances de l’économie mondialisée. L’industrie allemande fournit en bien d’équipement et en produit de consommation de luxe les pays émergents et leurs classes  dominantes. Devançant la France, l’Allemagne est aussi devenue le troisième fournisseur d’armes conventionnelles de la planète, sans compter quelques suspicions de ventes de substances chimiques pouvant servir à la fabrication d’armes illicites.
Tout va très bien, Madame l’Impératrice. L’impéritie de vos rivaux, au-dedans et au-dehors, vous met en valeur, leur exubérance fait ressortir votre sobriété, dont vos costumes sont la marque. Avec talent, vous feignez de ne pas assumer l’hégémonie d’une Europe que vous prenez pourtant la peine de dominer. Rien n’interdit de penser que vous avez gardé quelques souvenances de vos cours de matérialisme dialectique, de votre pratique de la retenue, apprise par votre père, pasteur luthérien, et par le régime communiste.
Vous allez continuer à exporter chez nous vos médecins, vos cadres d’entreprises, vos ouvriers qualifiés, et à faire venir en Allemagne des informaticiens indiens ou des personnels turcs et français, qualifiés ou non. Le déficit démographique sera traité plus tard. La fabrique des bébés, leur accueil en crèches, les facilités accordées aux femmes au travail s’avèrent moins faciles que la production de Mercedes et de Porsche destinées à l’exportation. Sur ce point de la fabrication des bébés, vos voisins français sont imbattables, prenez-en de la graine.
L’Allemagne ne veut pas dominer par la guerre, ni même s’associer aux ingérences chères à tant de dirigeants occidentaux. Elle laisse cette tocade aux fanfarons Français, qui en déduisent naïvement qu’elle refuse le leadership. Elle prolonge l’indéfectible alliance avec les Etats-Unis, confortée, elle ne manqua pas de le faire remarquer aux détracteurs qui lui reprochèrent se complaisance pour l’espionnage informatique de l’Oncle Sam, par ses prédécesseurs sociaux-démocrates. L’Allemagne paya sa part dans la première guerre du Golfe sans se souiller les mains. Autant que faire se peut, elle livre la guerre par procuration.
Cher Klaus, le sourire d’Angela, sa retenue, n’enlèvent rien à la suprématie allemande. Le modèle européen, l’euro, l’économie mondiale, lui vont comme un gant.
Le déséquilibre politique que crée la prépotence allemande est et sera une source d’instabilité. Il appartiendrait à ses voisins de prendre les mesures de rééquilibrage nécessaires. On ne voit guère qu’ils en prennent le chemin, nonobstant leurs rodomontades.
Ton Guillaume tel qu’il te semble : admiratif de l’impératrice, inquiet de l’empire.
 
Berne, le 23 septembre 2013

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Commentaires

L'allemagne n'est pas ou vous croyez! par berthierch le Vendredi 04/10/2013 à 12:06

Chers Camarades, 
Parfois, je soumets un texte politique à l'epreuve du tract d'une page et sans verso!.
Celui que l'on laisse sur une table, sur le trottoir et que l'on ramasse ou distribue.
Car qui peut etre certain que le lecteur prendra le temps de lire plus qu'un tract...et encore a condition qu'il soit bien presenté, aéré et en caracteres assez gros.?
Critiquer notre époque et son inculture ne mene à rien.
Dans le meilleur des cas, à se gendarmer de sa propre inaction.
La grande vertu d'un tract est qu'il contraint le scripteur à ecrire en peu de mots ce qu'il veut au grand nombre et à repondre aux questions Quoi? Ou? Quand, Comment et pourquoi?
Sinon: poubelle!
Ce texte sur les elections allemandes ne passe pas l'epreuve du tract.
Et en plus, il est faux.
L'essentiel est que la disparition federale du Fdp et l'echec d'Alternativ fuer Deutschland contraignent Merkel à rechercher un accord durable avec le SPD et/ou les Verts et meme avec Die Linke qui montre chaque jour qu'au niveau municipal, il n'a pas de frontiere à droite, notamment dans l'ex-DDR.
Or, si la bonne volonté des Verts et de Die Linke qui a perdu des voix s'avere chaque jour plus evidente, le SPD, qui lui a progressé, affronte une poussée de sa base salariée qui ne veut pas revivre une autre grande coalition permettant au gouvernement de relancer une nouvelle offensive anti-sociale du type de celle entreprise par Hollande en france ou Monti en Italie.
   Enfin, dans la verite diplomatique, il est faux que l'allemagne soit le porte parole des usa. Pour l'heure, c'est plutot Hollande qui tente de jouer le role de serre file en europe au profit des usa et notamment vis a vis de l'Allemagne. Voir l'affaire Syrienne.
Toute la politique des USA au moyenne orient, en Asie et en Asie centrale peut etre decodée comme un "containment " de la puissance economique industrielle et financiere croissante de l'allemagne.
Ayant travaillé un temps pour une entreprise allemande, je peux vous certifier que c'est ainsi qu'est décodée la politique americaine dans les milieux industriels de l'ex République fédérale et depuis au moins 30 ans. Et c'est aussi ainsi qu'il faut decoder l'affaire Mittal-Goldman-Sachs contre le cartel europeen de l'acier a l'epoque concentré autour de Thyssen et Arcelor.
AZlors de grace, restons independants des grands media et du Huffington-post-LeMonde.


Re: L'allemagne n'est pas ou vous croyez! (Réponse de Gabriel Galice) par la-sociale le Vendredi 04/10/2013 à 16:01

L'insulte est rarement l'argument de l'intelligence, le semblant d'argument d'autorité (avoir travaillé pour une entreprise allemande) ne vaut guère mieux.

 

Mon texte s'appuie sur plusieurs décennies d’observation. Des arguments sont développés dans mon Livre "Du Peule-Nation", nourri de références consistantes. Je pourrai les indiquer en cas de besoin.

 

Royaume-Uni, Allemagne et France rivalisent dans l'alliance avec les Etats-Unis. Madame Thatcher déplora le fait que les Etats-Unis aient joué la carte allemande après l'unification. Les guerres balkaniques en sont l'illustration, au double profit de l'Allemagne et des Etats-Unis, malgré la propagande anti-serbe (au-delà antislave) primaire. Avec Hollande, on atteint un sommet atlantiste en effet. L'Allemagne a en effet une traditionnelle politique moyen-orientale, envers l'Irak avant-hier, envers la Syrie hier. De là à parler d'un "containment" US, il y a matière à discussion. Que les alliés soient aussi adversaires, ce n'est pas nouveau.

 

Le SPD n'a pas besoin d'une alliance avec la droite pour mener une politique libérale et pro-américaine. Les gouvernements Schröder-Fischer ont montré de quoi ils étaient capables, à l'intérieur et à l'extérieur.

Nous verrons le résultat de la poussée des salariés que vous évoquez. En attendant, Steinbrück représentait la droite du SPD et sa candidature fut calamiteuse. Les Verts sont partagés entre une tendance de gauche et une aile libérale bobo. D'ailleurs on trouve une politique moins atlantiste, plus eurasienne, moins russophobe, dans les rangs de la CDU-CSU même.

L'affaire de la complicité allemande dans l'espionnage informatique des Etats-Unis est éloquente.

 

Je lis de moins en moins le Monde et jamais le Hunfington Post. Je doute que vous lisiez Horizons et débats, excellent hebdo suisse d'inspiration démo-chrétienne, ou, pour la France, Bastille-République-Nation. Mes arguments recoupent ceux que j'y lis. Je regarde les chaînes allemandes et je lis occasionnellement Die Zeit.

 

En résumé, l'Allemagne est trop intelligemment, économiquement, impériale pour être aussi grossièrement sous-impérialiste et militariste que la France d'Hollande.

 
 
Le 4 octobre 2013 12:06, 



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