Après la dissolution du Pace de Varsovie, les Occidentalistes ont renforcé l’OTAN dont ils ont étendu la compétence à la planète entière. Ses bases entourent la Russie au prétexte de contenir l’Iran. En 2003, année de l’attaque de l’Irak, G W Bush a mis la conquête du « Grand Moyen-Orient » (du Maghreb à l’Afghanistan) à l’ordre du jour. Rebaptisé « Partenariat pour le progrès et un avenir commun », il sera amendé par le G8 et l’OTAN. Les « Révolutions arabes » sont la résultante de deux processus : des révoltes populaires et civiques d’une part, l’avancée des ambitions occidentale et islamiste, attisant les feux, d’autre part. La double offensive islamiste et occidentaliste place les autres (dont les Russes et les Chinois) dans la défensive. Depuis 1971, Moscou et Damas ont signé un accord permettant à la flotte russe de stationner à Tartous, seule base navale qu’ils aient à l’étranger. En 2011, l’intervention militaire en Libye a basculé de la « responsabilité de protéger » au renversement du régime, au grand dam des Russes et des Chinois, qui avaient avalisé l’opération.
Pour qui veut bien élargir sa vision de la situation, il est notoire que les djihadistes syriens ont, eux aussi, commis des exactions et peut-être même utilisé des armes chimiques, selon Carla Del Ponte (« Couper aux spin-docteurs le chemin de la guerre » dans Horizons et Débats http://www.horizons-et-debats.ch/index.php?id=3953 et aussi « Qui utilise du gaz toxique en Syrie ? » http://www.horizons-et-debats.ch/index.php?id=3976). Il est loisible de disserter sur les bonnes et les mauvaises armes. Les Etats-Unis ont utilisé à Falloujah du phosphore blanc et des bombes à fragmentations, l’arme atomique au Japon, l’agent orange au Vietnam et les drones en Afghanistan, en toute impunité.
Les frappes à distance feraient des victimes civiles. Le Qatar et l’Arabie Saoudite, qui arment des djihadistes syriens, poussent les Occidentaux à l’intervention musclée, escomptant, là comme ailleurs, profiter du chaos pour installer un régime islamiste sunnite.
Russes, Chinois, Iraniens réagiront d’une manière ou d’une autre pour contenir la double avancée islamiste et occidentaliste. La « punition » invoquée par Obama et Hollande est plus digne d’un surveillant dans une cour d’école que d’un chef d’Etat.
Ni les raisons invoquées du droit à la guerre, ni les conditions du droit de la guerre n’autorisent à condamner unilatéralement le régime syrien, les Russes et d’autres.
Le droit d’après-guerre est plus incertain encore. Les parrains des belligérants se disputeraient leurs zones d’influence au travers des protagonistes indigènes du conflit syrien. La « guerre par procuration » est une loi du genre. Ce qui semble impossible aujourd’hui autour d’une table de négociations serait aussi improbable qu’instable après des frappes occidentales. Les dirigeants politiques et les commentateurs formatés seraient avisés de relire Max Weber. L’éthique de conviction ne saurait estomper l’éthique de responsabilité, qui consiste à anticiper les conséquences des décisions prises. Faire le contraire au nom de l’indignation témoigne au mieux de naïveté, au pire de cynisme pour dissimuler d’inavouables projets de conquête.
La seule question est de savoir si le partage du pouvoir et des zones d’influence se fera par la diplomatie ou par la guerre. Ceux qui privilégient la solution militaire font le pari d’un bénéfice plus grand pour un changement des rapports de force dans la région et dans le monde. Les habillages humanitaires ne sont que poudre aux yeux.
Richard Labévière remarque justement que le drame syrien illustre la thèse d’Alain Joxe sur « les guerres de l’empire global ». Il s’agit de « promouvoir des démocraties corrompues et policières comme systèmes locaux de l’ordre financier néolibéral, quitte à s’accommoder avec des partis islamistes conservateurs, mais nullement hostiles aux avantages, pour les riches, de ces systèmes. »
Le peuple syrien est le grand perdant, il risque fort de continuer à souffrir de tous ses protecteurs intéressés, de tous bords.
* Gabriel Galice est vice-président de L’Institut International de Recherches pour la Paix à Genève (GIPRI). Il est l’auteur (avec Christophe Miqueu) de Penser la République, la guerre et la paix sur les traces de Jean-Jacques Rousseau (Slatkine 2012)