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Syrie : c’est reparti comme en 14 ?

Par Denis Collin • Internationale • Jeudi 29/08/2013 • 1 commentaire  • Lu 2120 fois • Version imprimable


Ainsi les USA s’apprêtent-ils à « punir » Bachar el Assad et son régime ; l’information selon laquelle les populations civiles auraient été victimes d’armes chimiques aurait vaincu les dernières réticences qui empêchaient les Occidentaux d’intervenir contre le régime de Damas. Comme d’habitude, le gouvernement « socialiste », petit doigt sur la couture du pantalon, emboîte le pas. Et d’ores et déjà toute l’opinion « humanitaire » semble s’apprêter à soutenir les « bombardements à visage humain » que l’on nous annonce. Ainsi le site Media Part d’Edwy Plenel a fait campagne pour une intervention occidentale, même s’il est beaucoup plus réticent face à l’option d’une intervention militaire imminente.

L’histoire se répète toujours deux fois … Le scénario 2003 en Irak semble se rejouer ici. Avec quelques différences dont celle-ci : ce n’est plus Chirac qui dirige la France mais Hollande et donc les USA n’ont aucune raison de craindre l’opposition française à leur nouvelle entreprise de gendarmes du monde.

Essayons d’y voir plus clair. Le plus simple est évidemment de rappeler que le régime d’El Assad est haïssable et que, si la commission d’enquête de l’ONU confirme les informations sur l’utilisation des gaz, nous serions face à un crime d’État et d’un crime de guerre des plus horribles. Que le peuple syrien révolté renverse ce régime et juge ses dirigeants, on ne peut que le souhaiter. Mais une fois ces constats établis qui relèvent seulement de la morale la plus élémentaire, faut-il en déduire que l’armée des USA et les armées de leurs alliés soient habilitées pour intervenir ? Évidemment non ! Pour qu’un État ait le droit d’intervenir dans les affaires d’un autre État, il faut pour cela qu’il y ait justement un droit. Le seul droit international existant en la matière est celui de l’ONU. Il faudrait donc à tout le moins que les armées qui se proposent de « punir » El Assad aient reçu mandat du conseil de sécurité de l’ONU. Comme le Conseil de sécurité ne donne pas ce mandat, ce sont les USA et leurs alliés qui s’érigent en juges internationaux et en bras armés de cette bizarre justice que chacun se croit autorisé à rendre. Du point de vue même dont se placent les dirigeants américains et français – celui de la « communauté internationale » – leur action n’aura donc aucune légitimité. Mais, comme toujours, les pires forfaits se drapent dans le manteau de la vertu.

Dans une conférence faite lors d’une université d’été du GIPRI (Genève), j’avais l’occasion de préciser les raisons qui interdisent de confondre droit et indignation morale :

 « Le cas plus complexe est celui d’un régime qui viole de manière manifeste les droits de l’homme les plus élémentaires. Un tel régime est évidemment condamnable moralement et politiquement (on peut faire des discours contre lui, prendre des mesures de rétorsion diplomatiques ou commerciales). Mais on ne trouvera aucun principe juridique auquel tous les États pourraient souscrire qui autorise par exemple une intervention armée pour renverser un régime que l’on estime tyrannique. Kant répond ainsi à cette question : la conduite scandaleuse d’un particulier n’autorise pas la police à se saisir de lui dès lors qu’il a causé de tort à personne. Il en va de même en ce qui concerne les peuples, qui sont les citoyens de la société internationale.

À ma connaissance, personne n’avait proposé une intervention militaire sous couvert de l’ONU pour renverser le régime de l’apartheid. La position de respect du principe de non-intervention peut sembler moralement difficile à tenir. Un individu qui en regarde en autre se faire tuer ou martyriser se place dans la position du délinquant qui n’a pas portée assistance à une personne en danger. Mais cette position qui consiste à transposer ce qui vaut sur le plus individuel au plan des rapports entre nations est sans fondement. Le droit international ne dispose pas d’une force propre pour être mis en œuvre, précisément parce qu’il n’y a pas d’État mondial et s’il y avait un État mondial, ce ne serait plus une question de droit international.

Cette situation est évidemment très problématique. Un peuple peut s’autoriser à intervenir dans les affaires intérieures d’un autre et en assumer tous les risques, et peut-être même aura-t-il politiquement raison, mais je ne crois pas que cela puisse être garanti par un droit. Pour faire une analogie, Kant a sans doute raison quand il dit qu’aucune loi ne peut garantir le droit de désobéir à la loi, mais il reste qu’il faut parfois savoir désobéir à la loi et assumer ses responsabilités politiques. L’idée des partisans du droit d’ingérence (qui serait fondé sur un devoir d’ingérence), c’est au fond l’idée de résoudre toute la politique internationale à une série de mécanismes procéduraux. C’est une idée du droit international proprement délirante et dont l’application supprimerait purement et simplement l’idée même de liberté.

Un droit international raisonnable est nécessairement limité. Il ne peut réellement être efficace que dans un domaine : garantir la libre possibilité pour chaque peuple de se gouverner comme il l’entend, bref d’être « maître chez soi ». Exiger plus, c’est autoriser n’importe quel État assez fort, ou n’importe quelle coalition temporaire d’États à imposer sa loi, c’est-à-dire la primauté de ses intérêts.

La « politique morale » n’est ainsi qu’une opération de brouillage idéologique qui légitime le droit du plus fort. » (D. Collin, Entre morale, droit et politique, une justice internationale est-elle possible ?)

Les questions de principe étant rappelées, il faut tenant entrer dans le détail. Voyons les accusateurs principaux qui veulent monter une expédition punitive contre le régime de Bachar El Assad.

Au premier chef nous trouvons les USA, particulièrement mal placés pour donner des leçons de morale démocratique. Nous allons commémorer dans quelques jours le triste quarantième anniversaire du sanglant coup d’État militaire de Pinochet fomenté par le département d’État américain avec à sa tête un futur prix Nobel de la paix, Henry Kissinger. Dans le sang, la démocratie chilienne et son président légal Allende étaient piétinés par les « juges » et les shérifs qui se prétendent les garants de la moralité et de la démocratie. Au Vietnam, les mêmes USA se sont rendus tristement célèbres par l’utilisation d’une arme chimique terrible, « l’agent orange », produit par la firme Monsanto. Aujourd’hui encore, près de quarante ans après la fin de la guerre, « l’agent orange » continue de tuer, ainsi que le Monde, encore récemment, s’en faisait l’écho. Après le renversement du régime du shah et la révolution iranienne, les USA ont soutenu Saddam Hussein dans sa guerre contre le régime de Khomeiny. Une guerre particulièrement atroce où le « boucher de Bagdad » a employé tous les moyens, notamment les gaz, contre les Iraniens et contre les Kurdes irakiens. Ces gaz lui avaient déjà été aimablement fournis par les Allemands (le gaz, depuis la première guerre mondiale, en passant par Auschwitz, est une spécialité d’outre-Rhin …) Quelques années plus tard, le grand ami de l’Occident devenait l’homme à abattre. Et deux guerres (1991 et 2003) furent déclenchées au nom du droit et de la morale, en vue de remodeler le Moyen-Orient selon les vues américaines.

Outre les USA et leurs vassaux de la « vieille Europe », il faut compter aussi, au rang des professeurs de morale, les monarchies pétrolières qui soutiennent financièrement les groupements islamistes et tout ce qui permettra d’augmenter l’influence sunnite dans la région. L’Arabie Saoudite, le Qatar et quelques autres États aussi sympathiques font partie de la ligue de ceux qui réclament des bombardements humanitaires.

En ce qui concerne les accusés, on rappellera qu’ils figuraient jusqu’à peu encore parmi les amis des USA. Pendant la seconde guerre d’Irak, en 2003, la Syrie (tout comme l’Iran) ont tout fait pour laisser les Américains installer à Bagdad un régime chiite. La Syrie a même été assez complaisante pour permettre à la CIA d’installer des prisons clandestines permettant le stockage des membres présumés d’Al Qaïda en partance pour Guantanamo. Ce rappel devrait suffire pour déciller les groupes « marxistes » ou « anti-impérialistes » qui voient en Bachar un héros de la résistance à l’impérialisme. Le régime syrien bénéficie du soutien diplomatique et économique de la Chine et de la Russie, deux pays assez mal placés pour donner des leçons de défense du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et qui, dans cette affaire, défendent leurs intérêts diplomatiques et quelques moyens de pression dans leurs rapports avec les USA.

On pourrait renvoyer dos-à-dos tous ces coquins. Mais cela ne suffit pas. Il faut essayer de comprendre la situation actuelle dans toute sa complexité. Commençons par nous demander pourquoi Bachar El Assad n’a pas connu le sort de Ben Ali et de Moubarak. À cela il y a une explication qu’il faut bien redonner : les Syriens ne forment pas un peuple uni contre son dictateur. Les Alaouites, les chiites, les Kurdes ou les chrétiens, quels que soient leurs sentiment envers les tyrans de Damas, n’ont le plus souvent aucune envie de voir arriver au pouvoir une coalition dominées par les sunnites et où les salafistes et autres amis d’Al Qaïda joueraient un rôle très actif. Les « démocrates » syriens risqueraient fort, dans ce cas, de jouer simplement les idiots utiles. C’est là le point de départ. L’évolution de la situation en Égypte et en Tunisie a également brisé le mythe des « printemps arabes » : loin de l’unanimisme des débuts, les mouvements à la pointe de ces « printemps » se sont violemment divisé jusqu’à l’affrontement extraordinaire de la deuxième révolution égyptienne, celle de juin 2013, qui a chassé les « Frères musulmans » (grands alliés des USA et de l’Arabie Saoudite) et contraint l’armée à reprendre directement les affaires en main, non pour défendre la révolution mais pour la bloquer et empêcher que la liquidation des islamistes ne soit le prélude à la liquidation de tout le système politico-économique de l’Égypte, fondement  des privilèges d’une armée qui contrôle directement entre 15 et 20% de l’économie.

La question sous-jacente à tout cela est finalement assez simple. Sous couvert d’anti-occidentalisme, l’Islam – et principalement l’Islam sunnite – agit comme un excellent agent d’influence du capital mondial. L’AKP en Turquie est le parti des patrons et des investisseurs et toute la classe dominante a fait bloc derrière Erdogan au moment des affrontements de la place Taksim à Istanbul. Les Frères musulmans en Égypte étaient la carte de rechange des USA face à un Moubarak discrédité et impuissant. En Lybie, c’est l’intervention militaire directe des Occidentaux qui a chassé Kadhafi et tenté de mettre sur pied un pouvoir islamiste moins fantasque que celui de l’homme qui avait planté sa tente à Paris à l’invitation de Sarkozy.  En Syrie, les USA (et leurs alliés) ont d’abord misé sur un scénario à l’égyptienne et ils misent plutôt maintenant sur un scénario à la libyenne. Mais il s’agit surtout de réaffirmer le pouvoir de l’impérialisme US et de ses filiales dans cette région, notamment  face à la Russie de Poutine qui craint comme la peste les mouvements islamistes qui pourraient prendre le contrôle des ex-républiques soviétiques de sa frontière sud.

Donc, si on doit souhaiter que Bachar El Assad et sa clique soient un jour jugés et punis, ce ne pourra être que par le peuple syrien et non par les dirigeants impérialistes qui sont les principaux fauteurs de trouble et les soutiens fermes de tous les régimes tyranniques et corrompus de cette région. C’est pourquoi on doit s’opposer à toute intervention militaire et au premier chef, pour nous, à toute intervention militaire française et à tout soutien français à l’intervention américaine.

 

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Commentaires

par Anonyme le Mardi 03/09/2013 à 10:26

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