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Par Jacques Cotta
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• Mardi 15/04/2014
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Les nominations d’hommes de gauche par la droite ou de droite par la gauche en dit long sur le faux clivage, artificiellement entretenu, notamment en période électorale pour se disputer les « voitures de fonction », entre la gauche et la droite. C’est Nicolas Sarkozy qui avait innové à grande échelle, au risque à l’époque de se mettre une partie de sa majorité à dos. Ainsi, dés 2007, une série de vieux mitterrandistes, de caciques du PS, se sont retrouvés propulsés à des postes de pouvoir. Nageant dans les eaux troubles de la 5ème république, certains sont ainsi passés de la gauche à la droite, de la droite à la gauche, avec des allers-retours qui en disent long sur la teneur des convictions. Le rappel de quelques unes de ces trajectoires, dont certaines sont décrites par le menu dans « l’Imposteur », est éloquent. Il y a eu Didier Migaud « socialiste » remarqué au sein de l’assemblée nationale à la tête de la commission des finances propulsé par Nicolas Sarkozy à la présidence de la cour des comptes. Au nom de la « bonne gestion », Didier Migaud s’est fait le chantre des coupes dans les budgets publics, les services publics ou encore les effectifs de fonctionnaires… Il y a eu Michel Charasse, l’ancien ministre mitterrandien et sénateur du Puy-de-Dôme nommé par Nicolas Sarkozy au conseil constitutionnel. Ou encore Jack Lang devenu successivement membre du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions,« émissaire spécial du Président de la République Nicolas Sarkozy»à Cuba, puis en Corée du Nord, puis conseiller spécial pour les questions juridiques liées à la piraterie au large de la Somalie auprès du secrétaire général de l'ONU, avant de revenir dans le giron et de soutenir à la primaire socialiste François Hollande une fois les frasques de DSK dans une chambre d’hôtel new yorkais révélées au grand jour. DSK d’ailleurs nommé à la tête du FMI là encore sur proposition de Nicolas Sarkozy lorsque Jacques Attali, l’ancien conseiller de Mitterrand, adepte dés 83 de la rigueur, était désigné à la tête d’une commission censée délivrer la bonne parole gestionnaire… « A la soupe » diront certains… Les exemples se suivent, se ressemblent, se répètent. Ainsi avec Bernard Kouchner ancien ministre socialiste devenu ministre sarkozyste des affaires étrangères, Fadela Amara, ancienne responsable de « ni pute ni soumise » propulsée Secrétaire d'État auprès de la ministre du Logement, chargée de la Politique de la ville, Jean marie Bockel maire socialiste de Mulhouse, Secrétaire d'État auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé de la Coopération et de la Francophonie, ou encore et surtout Eric Besson Secrétaire d'Etat chargé de la Prospective et de l'Evaluation des politiques publiques puis ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire qui ira jusqu’à un poste au secrétariat général de l’UMP, après avoir été la « tête pensante » de la candidature de Ségolène Royal contre celui qui deviendrait son patron. Il y a eu aussi, côté paillettes, Frederic Mitterrand nommé ministre de la Culture et de la Communication. Il y a eu Martin Hirsch, passé entre autre sous Sarkozy d’Emmaüs au haut commissariat aux solidarités actives contre la pauvreté avant d’appeler opportunément à voter Hollande en 2012 pour prendre la tête de l’assistance publique – hopitaux de paris à compter de 2103. Ou encore Jean pierre Jouyet secrétaire d’état sous Nicolas Sarkozy aux affaires européennes qui boucle la boucle.
Dans les allers retours dont ces serviteurs de l’état -et accessoirement serviteurs d’eux-mêmes- ont le secret, Jean Pierre Jouyet vient de connaitre une nouvelle promotion en prenant le poste clé de secrétaire général de l’Elysée. L’homme vaut le détour. Il connaît François Hollande de longue date. Ils étaient condisciples à l'Ecole nationale d'administration, tous deux sortis de la promotion Voltaire. Mais Jouyet est aussi un proche de Manuel Valls qu’il a connu à Matignon du temps de Lionel Jospin. Lorsque l’un était directeur adjoint du cabinet, l’autre en était le porte parole. Cet ancien président de l’autorité des marchés financiers est également très proche d'Emmanuel Macron, l'un des deux secrétaires généraux adjoints de l'Elysée, qui sera donc son collaborateur direct. Jean-Pierre Jouyet représente à lui seul la détermination politique de François Hollande qui affirmait pour être élu « mon ennemi est la finance », et qui depuis n’a de cesse de servir les exigences du Medef incarnées par le fameux pacte de compétitivité, les intérêts du capital au détriment du travail.
Dans l’Imposteur, alors que Jouyet ne marquait donc pas encore officiellement de son empreinte l’équipe élyséenne, je soulignais le contenu politique illustré par ces amitiés et ces fausses oppositions de circonstance :
« (…) Des chefs d’entreprise dont les représentants reçoivent en réalité cinq sur cinq le message présidentiel d’autant qu’ils sont rassérénés par l’entourage proche du président à l’Elysée. Emmanuel Macron, secrétaire général adjoint de l’Elysée qui a la haute main sur l’économie, le social et l’Europe est loué, adulé, admiré par une pléiade de grands patrons. Il rassure par sa seule présence les « inquiets » qui auraient pu prendre au mot le candidat Hollande lorsqu’il déclarait « la finance est mon ennemi ». Car la finance, Macron, l’ancien banquier d’affaires chez Rothschild connaît. A peine introduit dans la banque par Serge Weinberg [1], « socialiste » très proche de François Pinault, il devient banquier associé, conseille Lagardère pour la vente de ses magazines internationaux ou encore la société Atos pour le rachat de Siemens IT, permet via son entregent à la banque d’être de la partie dans le rachat par Nestlé de la division nutrition de Pfizer pour un montant de 9 milliards d’euros. Les qualificatifs ne manquent pas. Macron est « notre relai, notre porte d’entrée auprès du président », que « j’ai vu chez Rothschild », qui va « rassurer tout le monde » se lâche Stéphane Richard, l’ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde [2], PDG de France Télécom Orange [3]. Agé de seulement 34 ans, Emmanuel Macron est l’œil du président sur les dossiers économiques et financiers. Il succède à François Pérol –lui aussi un ancien de chez Rothschild- et Xavier Musca qui remplissaient ses fonctions sous Nicolas Sarkozy. 34 ans et déjà le fonctionnement propre aux politiques. Ses « portraitistes [4] » sont unanimes. Il est « chaleureux », apparemment « décontracté », affiche un sourire « franc et amical », fait croire à l’interlocuteur qu’il est « son meilleur ami et le centre de son attention », s’attire des compliments sans retenu, du camp « adverse » notamment, de son prédécesseur du temps de Sarkozy comme de l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy, Jean Pierre Jouyet, par ailleurs ami proche de François Hollande, qui facilita le rapprochement entre les deux hommes. Emmanuel Macron connait François Hollande qui lui « apparaissait comme le meilleur candidat capable d’apaiser et de rassembler les français » depuis 2005. Il est un des maitres d’œuvre du projet « hollandien ». Il a coordonné le groupe « d’économistes de la Rotonde [5] », « fait appel à de jeunes technos pour trouver les points de compromis et faire la synthèse [6] ». L’exercice n’est pas une première. Déjà en 2007 il utilisait les mêmes recettes dans la commission de l’ancien conseiller de françois Mitterrand, Jacques Attali, célèbre pour les 316 mesures contenues dans le rapport à destination de Nicolas Sarkozy et qui pour les plus importantes sont aujourd’hui mises en œuvre à travers « la compétitivité », « la réduction de la dépense publique », « l’alignement sur les impératifs de Bruxelles », « la réforme des retraites »… En fait, la nomination d’Emmanuel Macron au poste clé qu’il occupe à l’Elysée indique bien l’orientation hollandienne. Entre les deux hommes les rapports comme les points d’accord sont étroits.
-C’est ça le « socialisme de l’offre » ? Je demande dans le bureau du sénateur socialiste qui m’accueille[7].
-Nous sommes dans la continuité et pas dans le changement. Les déçus ne savent pas qui est Hollande. Ils restent sur le discours du Bourget, un très beau discours, mais comme disait Edgar Faure, qui n’engage que ceux qui l’entendent. En fait Hollande est un ancien deloriste, un ancien Rocardien…
-Pour lui la gauche, c’était un véhicule. En sortant de l’ENA, il aurait pu prendre le véhicule de la droite. Comme d’autres d’ailleurs [8].
-Si aux municipales on peut éviter l’effondrement, au bout, nous risquons la déroute[9]…
Vision prémonitoire ? »
Jacques Cotta
Le 15 avril 2014
[1] Voir « Riches et presque décomplexés » de Jacques Cotta, Editions Arthème Fayard, 2008 ou encore le documentaire « dans le secret du patronat », de jacques Cotta et Pascal Martin, France 2, 2001.
[3] Des louanges partagées par le staff proche de Stéphane Richard, dont Bruno Mettling, directeur des ressources humaines du Groupe Orange, que j’ai eu l’occasion de rencontrer à l’occasion d’un colloque « Télécoms du futur, un défi économique et social » le 14 juin 2013.
[4] Voir notamment « Elysée : Emmanuel Macron, l’ex-banquier qui murmure à l’oreille de François Hollande » de Corinne Lhaïk, l’Express, 15 mai 2013.
[5] Du nom de la brasserie, quartier Montparnasse, où ils se réunissaient régulièrement.
[6] L’économiste Philippe Aghion cité par David Bensoussan, Challenge du 4 septembre 2012.
[7] Jean Pierre Michel, sénateur.
[8] Malek Boutih député de l’Essonne.
[9] Jacques Valax, député.
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