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L'Italie la pire et la meilleure Italie

Des partouzes d'Arcore à la lutte de classes et à la réforme intellectuelle et morale

Par Denis Collin • Internationale • Samedi 22/01/2011 • 1 commentaire  • Lu 2102 fois • Version imprimable


Les rebondissements de l’affaire Ruby semblent avoir placé « le Premier » (ministre) italien dans une situation de plus en plus embarrassante. Les mœurs bas-empire étalées au grand jour, la corruption de mineure encouragée d’en haut … et souvent soutenue d’en bas, tout cela sent très fort la fin de règne. Mais rien n’est joué. Car si politiquement, Berlusconi est très affaibli, pour l’heure cela n’a que peu d’influence sur sa cote dans l’opinion publique et sur ses perspectives électorales en cas d’élections anticipées. Le « Corriere della Sera » publie une étude intéressante sur les sondages d’opinion qui montre que les turpitudes berlusconiennes, les orgies d’Arcore, etc., ne font pratiquement pas osciller le sismographe sondagier.

Les données IPSOS que le professeur Paolo Natale publie sur Europa, témoignent en effet que si « plus de 70% de l’opinion publique » ne considère pas le Cavaliere comme une victime de la persécution judiciaire et en « censure » le comportement, elle n’entend pas pour autant « le punir ». Le scandale, en somme, « ne fait pas pression sur le niveau de confiance que le gouvernement et la majorité ont de la part des Italiens. » Les électeurs sont « encore disposés à soutenir » le Cavaliere, une attitude qui, selon le professeur à la Statale de Milan, est due au « manque d’une alternative crédible. »

On ne peut mieux dire les choses. Au-delà des scandales, il y a encore un gouvernement et une majorité. En face, rien. Ou presque. Le PD ultime produit de la décomposition du PCI est un ectoplasme. Ses dirigeants s’effraient s’ils voient les masses répondre à leur appel (comme à Rome récemment). Incapables de proposer une stratégie, ils s’occupent à divers jeux byzantins au sein d’un parti pour savoir qui sera khalife à la place du khalife. Mais ils n’ont rien à opposer (mis à part quelques vagues considérations morales) à la politique berlusconienne. On a pu le mesurer tragiquement lors du référendum de la FIAT Mirafiore où le PD a apporté son soutien (critique !) à Marchionne contre la FIOM, le syndicat des métallos de la CGIL (dont les dirigeants sont pourtant, le plus souvent, très proches du PD).  

Le « Corriere » remarque encore que les parties de « bunga-bunga » ont surtout choqué l’électorat catholique et féminin … mais c’est celui qui reste pourtant le plus stable quand on revient aux questions concernant la confiance politique. On remarquera que l’Église a cherché jusqu’au bout à protéger « le Premier » : impitoyable pour les péchés véniels des pauvres, B. XVI est d’une indulgence infinie pour les vices des puissants. Il est vrai que Berlusconi pourrait bien raviver le souvenir d’Alexandre Borgia, pape fameux en son temps et à côté de qui Berlusconi n’est qu’un enfant de chœur. ,

Le seul moment où les sondages ont nettement varié, poursuit le journaliste du « Corriere », à l’occasion du conflit entre la Fiat et la Fiom. Ce conflit a provoqué une « baisse sensible » de la confiance envers le PD avec un transfert de deux points environ vers Nichi Vendola !

« Ces problèmes sont ceux qui tiennent au cœur des citoyens », selon Alessandra Ghisleri di Euromedia research, « C’est sur ces thèmes que se confrontent les travailleurs, divisés entre l’affirmation de certains droits et le désir de jouir d’une meilleure situation économique. »

La relative passivité de l’opinion peut encore s’expliquer autrement. Le « Corriere » souligne les désillusions après la période du « Tangentopoli » (l’opération « mains propres » lancées en 1992 par le juge Di Pietro). Les Italiens ne croient plus à la « révolution judiciaire ». On ne peut pas le leur reprocher. L’opération « mains propres » a liquidé la « première république » qui, toute corrompue qu’elle fût, préservait l’État social, et les formes politiques issues de la libération. Et la situation relative des ouvriers italiens – dont le niveau de vie était proche de celui des Français – s’est sérieusement dégradée depuis cette époque.

Si les Italiens sont « désillusionnés de la saison des toges », le rêve berlusconien, lui aussi est fini. Mais c’est le manque d’alternative qui « le rend inattaquable, même si on ne sait pas pour combien de temps encore ». Des signaux sérieux cependant existent : pour la première fois, les ventes des supermarchés ont baissé de 1,8%. Ce sont encore les réalités économiques et sociales qui dicteront le calendrier et non les manchettes scandaleuses.

La situation italienne doit nous conduire à plusieurs réflexions qui vont au-delà de l’Italie et qui pourraient, « mutatis mutandis » nous concerner directement.

La première est qu’une politique de pure dénonciation ne sert à rien. On l’a vu en 2007 : Sarkozy a subi un pilonnage assez extraordinaire de toute une partie de la presse et cela ne l’a pas empêché d’être élu confortablement avec une très participation. La psychiatrisation de son cas, les plaisanteries douteuses sur sa taille, les tourments de sa vie sentimentales, son goût de l’argent, rien de tout cela n’a joué électoralement. La gauche a perdu une « élection imperdable » faute de présenter une alternative crédible. Et on peut craindre – bien que la situation soit bien meilleure qu’en Italie – que la gauche française toute à ses petits jeux déconnectés des réalités ne permette à l’actuel président de retourner la situation en sa faveur. En France comme en Italie, la question sociale est au premier rang des préoccupations. Quand Bersani, le chef du Pd soutient Marchionne dans la liquidation des droits des ouvriers de la Fiat, il consolide Berlusconi. Quand certains socialistes, du directeur du FMI à un notable essonnien, font du Sarkozy sur les retraites ou sur le temps de travail, ils soutiennent Sarkozy et œuvrent à sa réélection.

Mais ces préoccupations immédiates ne doivent pas nous faire oublier une autre dimension qui est morale. Berlusconi dit Vendola est à la fois l’agent et le produit d’un système. En effet, Berlusconi a exploité mais n’a pas inventé la télé-réalité, l’exhibition des jeunes filles, la prostitution légale dans le showbiz. Il y a des millions de téléspectateurs qui suivent ces émissions répugnantes, des familles qui poussent leurs filles à faire des castings pour paraître à la télé, et obtenir peut-être ensuite des appartements dans les quartiers de luxe. Dans L’Unita, Claudio Fava met en cause « le silence des pères pour les nuits d’Arcore », ces pères « un peu proxénètes » qui introduisent leurs filles dans « l’antre du dragon ». Et Fava de comparer les mœurs berlusconiennes à mœurs ancestrales, notamment en Sicile et qu’il résume ainsi :

« Si une fille te plaisait et que tu ne lui plaisais pas, tu avais deux voies : ou tu te résignais, ou tu la prenais. Tu la séquestrais, tu la violais, tu l’épousais. Selon la loi de l’époque, le mariage réparait tout crime : c’était l’amour qui triomphait, c’était le bon sens de la famille et patience si pour y arriver on devait passer sur le corps et sur la dignité d’une femme.

Fava situe le grand tournant au milieu des années 60 quand une jeune fille courageuse, Franca Viola a refusé obstinément de subir la loi d’un petit mafieux local et qu’elle a reçu le soutien de son père, Bernardo, un ouvrier a demi-analphabète, que n'ont pas fait céder les promesses de richesses d’un mariage à un fils de famille aisée au patronyme qui pesait lourd. Acte d’amour autant que de courage conclut Claudio Fava. Pourquoi n’a-t-on pas vu des Bernardo Viola d’aujourd’hui se dresser contre le système corrupteur de la télé-réalité et le piège qu’elle représente pour toutes les jolies « ragazzine » ? Parce qu’au fond le système de la marchandise spectaculaire défait impitoyablement tous les liens les plus sacrés et transforme les humains et d’abord les jeunes filles et les jeunes femmes en marchandises (voir à ce sujet « Il corpo delle donne », un film terrible sur la télé Berlusconi).

L’amoralisme hédoniste post-soixante-huitard, la prétendue « révolution sexuelle » loin d’être des machines de guerre révolutionnaire contre le vieux monde, étaient en plein accord avec les besoins du capitalisme, comme d’ailleurs Pasolini l’avait pressenti et dit dans les dernières années de sa vie. Gramsci, dans l’un de ses textes consacrés à Machiavel, soutient la nécessité d’une « réforme intellectuelle et morale, ce qui ensuite signifie créer le terrain pour un ultérieur développement de la volonté collective nationale-populaire vers l’achèvement d’une forme supérieure et totale de civilisation moderne. » Nous sommes devant la même question et évidemment le journaliste du « Corriere della Sera », honorable journal bourgeois ne pouvait parler en ces termes…

Nichi Vendola, qui tente prendre la tête de l’opposition centre-gauche pour les prochaines élections, semble l’avoir compris. Dénonçant « l’Italie la pire, celle qui est à l’intérieur du Palais Chigi » (le palais du premier ministre), Vendola a fait de « Il y a une Italie meilleure » son slogan. Cette Italie meilleure, il va la chercher dans les manifestations des ouvriers, dans les colloques intellectuels, dans la lutte écologiste et dans la défense des familles. Réussira-t-il son pari. Ce n’est pas certain. Une partie de la presse démocrate US le compare à Obama – ce qui n’est pas forcément un très bon présage – mais il dit quelque chose de profondément juste : il faut redonner confiance en soi au peuple, soutenir tout ce qui est positif, s’appuyer sur le mouvement réel, refuser les polémiques stériles et les agressions verbales. Et se placer résolument dans un cadre unitaire. Cette politique porte ses premiers effets et fait peur aux caciques du PD qui ne veulent déjà plus entendre parler de primaires ouvertes et cherchent un accord (perdant d’avance) avec Fini et les rescapés de la DC. Là encore on voit bien similitudes et différences entre l’Italie et la France.


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Commentaires

Sottogoverno par quent1 le Mercredi 26/01/2011 à 17:16

J’ai lu et juste extrait ceci « ..La relative passivité de l’opinion peut encore s’expliquer autrement. Le « Corriere » souligne les désillusions après la période du « Tangentopoli » (l’opération « mains propres » lancées en 1992 par le juge Di Pietro). Les Italiens ne croient plus à la « révolution judiciaire »... ».

Nos meilleures années ? 1992 oui mais aussi 1964 et cet an là ce n’est pas si vieux ? Né en novembre 1929, un jeune et grand écrivain qui n’est pas italien, qui est toujours vivant, qui écrit toujours et qui, en 1985, avait été primé par un prix littéraire prestigieux, prix ni français ni italien, en 1964 écrivait ou décrivait une meilleure idée de l’Italie, des façades médiatiques, du théâtre opérationnel de la justice, de l'Opéra du gouvernail gouvernemental et surtout du peuple je cite se  "faisant une sorte de charade de la société qui le domine. Et cette société, cette domination n’est pas une invention, mais un fait, le gouvernement derrière le gouvernement, donc un gouvernement contre le peuple, un gouvernement invisible, une sorte de maffia légalisée, une macabre parodie de l’Etat qui n’est que l’organe d’exécution de gens qui se tiennent dans l’ombre.."
Son livre traduit en français en 1967 et dont je n’ai posé que cet extrait, bien qu’il y en ait d’autres tout aussi révélateurs, vient de ressortir en janvier 2011, j’aurais pu le nommer ce grand auteur ayant tant de cordes à son arc de même que j’aurais pu citer le titre de son ouvrage réimprimé mais ne l’ai pas fait, si par hasard sur le pont des Arts un commentaire ultérieur de lecteur-s le demandait j’y répondrais bien sûr sans hésiter.
Confraternidad de la Garduña, omerta, camorra, Guapperia, et cætera y sont cités dans l’une des 8 nouvelles - pas toutes italiennes - composant ce livre 1964-1967-2011



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