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L'Union européenne ou le canard sans tête

Par Denis Collin • Internationale • Samedi 11/04/2009 • 4 commentaires  • Lu 2908 fois • Version imprimable


La crise a mis en évidence une réalité que peinent à reconnaître la plupart des commentateurs et des dirigeants politiques : l’UE n’existe plus ! Entendons-nous : l’UE comme système d’institutions politiques, comme machine à produire des règlements, directives et autres remontrances existe toujours. Barroso, l’ineffable Barroso, le nullissime Barroso est toujours en place et on annonce sa reconduction par l’accord du PPE et du PSE, la « grande coalition » de la « droite » et de la « gauche » qui domine le pseudo-parlement de Strasbourg (nommé ainsi car il se réunit la moitié du temps à Bruxelles). Mais l’UE comme projet politique un tant soit peu consistant, comme projet fédérateur des libéraux, des sociaux-démocrates et des démocrates chrétiens, cette « Europe »-là est morte. Les canards à qui on a coupé la tête peuvent encore courir quelque temps. L’UE est un canard sans tête.

Depuis que la crise est ouverte, en effet, l’UE a fait preuve de son impuissance totale. Elle n’a pris aucune décision, n’a pas été capable d’élaborer une stratégie de lutte contre la récession et le chômage. La présidence française a été une opération de « com », réussie nous dit-on, essentiellement grâce à la complaisance d’une presse aux ordres toujours prête à faire des communiqués issus de l’Élysée la vérité du jour. Mais pour les questions sérieuses, la présidence Sarkozy a été un bide total. N’en accusons pas Sarkozy : il a tenté de donner le change, mais face à la crise il a dû constater, comme tout le monde, que les seules réalités existantes restent les États-nations qui agissent chacun selon son propre naturel et se moquent comme d’une guigne des déclarations « européennes » aussi creuses que prétentieuses. Aux propositions d’action concertée du président français, « Jedem seine Scheisse », répond Angela Merkel avec la franchise et le sens du réel qui la caractérise. Et depuis, rien ne s’est passé. Chaque pays a pris ses dispositions, sauvé « ses » banques, multiplié les déficits et enterré la discipline budgétaire de Maastricht sans le moindre remord. Trichet, de temps à autre, fait de timides objections, mais il obtempère. Les prêts aux banques du gouvernement français, sa politique de renflouement de l’automobile, sont de la création monétaire sauvage : à Paris on fait tourner la planche à euros en faisant comme si la BCE n’existait pas ! Et Berlin en fait autant. Londres qui n’est pas tenu pas la discipline de l’euro fait bande à part. Les pays d’Europe centrale et orientale, bons élèves d’hier sont virtuellement en faillite et passent sous la tutelle du FMI qui impose, comme d’habitude, ses fameux « plans de stabilisation » directement inspirés des médications des charlatans brocardés par Molière : saignons, saignons ! Sous l’autorité de Strauss-Kahn, représentant archétypique de cette véritable droite impitoyable qu’est devenue la social-démocratie, on impose les réductions d’effectifs dans la fonction publique et les baisses des salaires des fonctionnaires. Strauss-Kahn en disciple de Laval.

De temps en temps on réunit un « G » quelque chose : un petit spectacle un peu ridicule où l’on additionne les mesures des uns et des autres qu’on fait passer pour une politique commune. Mais ni Sarkozy, ni Brown, ni Merkel, ni Berlusconi ne font autre chose que de tenter de sauver les meubles chacun de leur côté. Les réunions internationales qui comptent ne se tiennent pas entre ceux-là. C’est le « G20 », parce qu’il se tient sous direction américaine et parce que là on a pris une vraie orientation : renflouement du système bancaire et tenter de continuer comme avant. Tout le reste et notamment le soi-disant triomphe des idées franco-allemandes n’est que de l’esbroufe destinée à alimenter la machine à propagande.

La deuxième réunion importante, c’est le sommet de l’OTAN et là encore il s’agit de réaffirmer le « leadership » des USA. La seule « Europe » existant réellement est l’OTAN. C’est évident pour quiconque réfléchit un peu à ce qu’est la politique en tant que séparation des affaires intérieures et affaires étrangères, délimitation des amis et ennemis. Depuis Maastricht (1992) est entériné le fait que la défense commune de l’Europe est l’OTAN (qui réduit d’ailleurs la prétendue neutralité de la Suède ou de l’Autriche à une pétition de principes). Quand la Tchéquie et la Pologne se sont portées candidates pour accueillir le nouveau bouclier antimissile américain, elles ont ouvertement proclamé que l’Europe n’était pas leur affaire – sauf pour le libre échange et les subventions. Entre la russophilie traditionnelle de la France et la russophobie (bien compréhensible historiquement) de la Pologne, il n’est guère de ligne commune possible.

C’est donc tout naturellement qu’Obama a pu « s’ingérer » brutalement dans les « affaires européennes » en réclamant l’intégration de la Turquie à l’UE. La Turquie, en effet, est un des piliers de l’OTAN et un allié sûr d’Israël dans cette région. Les Turcs sont musulmans comme la majorité des Arabes et comme les Iraniens, mais cette communauté religieuse n’a aucune réalité : les Turcs ne sont ni Arabes ni Perses, ils sont Turcs et tout cela montre une fois de plus que les idéologies et les affichages religieux ne peuvent effacer les réalités historiques sur la longue durée. Donc Obama, chef militaire de l’Europe, se sent autorisé à exiger que son allié turc intègre les instances de l’UE. Rien de plus normal. Ceux qui s’en étonnent devraient réfléchir à deux fois.

L’UE supranationale, contrepoids à la puissance américaine n’est donc qu’un mythe. Il est parfaitement vain d’espérer la réformer « de l’intérieur ». Peureusement les gouvernements d’Europe font bloc derrière l’ami américain pour tenter de prendre place dans le nouveau champ des relations internationales que laisse entrevoir la poussée des nouvelles puissances capitalistes – tant en Asie qu’en Amérique Latine. Les voiles idéologiques déchirés, ne reste que la réalité des forces étatiques et du bon vieux « concert des nations ». Réfléchir à partir de cette réalité, dessiner de nouvelles perspectives, internationalistes, c’est-à-dire fondées sur l’association de nations libres, il n’y a rien de plus urgent aujourd’hui.


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Commentaires

par bquentin le Samedi 11/04/2009 à 13:57

Mis à part le titre j'ai lu les cygnes noirs de l'article et retenu entre autre ceci "...L’UE est un canard sans tête..."
Le vilain petit canard ?
Un oiseau sans tête se nomme aussi paupiette de v... mais je n'irais pas plus loin dans la reprise animalière avec la citation ancienne d'un CDC caractérisant certains habitants de la planète Europe, Europe, Europe... et ses cabris au lait et je n'ai sous la main ni éléphanteaux ni ours solides ni lions ni singes ni rois et lois de La Jungle ni l'enfant Mowglie "ni ni" déclaration politique ni etc. en stock mais voici que ci-dessous nagent en eau trouble ou claire de beaux canards et canardeaux si blancs...   


Moins d'Europe et plus d'oncle Sam? par c_berthier le Samedi 11/04/2009 à 14:33

Bons arguments! Qui permettent d'aller au delà de la réflexion.
Sous le prétexte que l'UE n'existerait plus, il ne faudrait pas abandonner, au moins d'ici le 7 juin,  la campagne "noniste" de dénonciation :
- de toutes les mesures, directives et autres traités dont l'acharnement libéral et peu démocratique se pare du drapeau bleu étoilé,
- de la lourdeur et du coût de toutes les institutions construites au nom de l'Europe, des lobbies qui les entourent.
Il est de plus en plus difficile de masquer que:
- le déferlement de la crise approfondit la fragmentation du marché mondial et le chacun-pour-soit des cartels et groupes industriels et financiers, ce que les media aux ordres stigmatisent comme une montée des "nationalismes" et des "égoïsmes" à la mesure des énormes masses de capitaux et de crédits sans contrepartie tangibles et rassurantes pour les "investisseurs".
- les USA montent aux fronts économiques et militaires à mesure que l'Europe se révèle être une machine à illusions pour ses peuples et la pluspart des enteprises pour les passer à la moulinette de la concurrence pure et dure, de l'appauvrissement de presque tous au profit de quelques-uns.
- la "relance" américaine n'est que l'obligation pour tous les états d'accepter les dettes américaines, sans en demander le remboursement, sans réserves et sans assurances, des dollars de pacotille en paiement des minerais, produits et du travail bien réels venant de tous les autres pays. 
- Pas étonnant que la social-démocratie ait accepté avec enthousiasme ces nouvelles prébendes et dénoncé la "timidité" et les "tergiversations" des droites européennes qui préfèrent le bon argent et ne souhaitent pas partager avec cet oncle Sam impécunieux et prédateur.


par babelouest le Dimanche 12/04/2009 à 15:16

En raison de sa position géographique, la France pourrait jouer un rôle décisif, à condition de mettre aux orties dans l'ordre le gouvernement actuel et tous ses avatars éventuels, les traités européens depuis 1970 et même avant, sa participation même minime dans l'OTAN et tous les autres traités plus ou moins parallèles et plus ou moins convergents avec les autres pays européens. Elle peut garder l'euro, pour faire des économies. Bien isolé de toute contrainte, il ne peut pas faire de mal.

Alors, il suffit de décider de contrôler tous les transports de fret passant en transit sur son territoire, par la route, par le train, par la voie fluviale et même par la Manche et le Pas de Calais, sur notre domaine maritime. Une sorte de remake du coup de Poitiers pour les magnétoscopes, à une autre échelle. Il sera peut-être nécessaire de recruter provisoirement des douaniers supplémentaires, qui seront reversés ensuite dans les autres administrations prises à la gorge au niveau main d'oeuvre.

Ce sera une monnaie d'échange pour éradiquer cette pseudo-Europe de la finance, ce valet des Etats-Unis qu'est devenu de plus en plus notre micro-continent. Il ne s'agit pas de s'attaquer de front aux States, mais de leur dire : "Amis, mais concurrents et surtout différents". Je pense qu'un ami réaliste vaut mieux qu'un esclave, pour Uncle Sam. Si Obama était encore au pouvoir à l'époque de ce "coup d'Etat", il le comprendrait aisément. Pour les Neocons, qui n'ont pas disparu pour autant bien entendu, c'est un tout autre challenge.

A nous, Français, de convaincre les citoyens des autres pays européens de la possibilité d'un New Deal, à la condition pour eux de chasser leurs dirigeants actuels et ceux qui pourraient les remplacer afin que rien ne change.

C'est une utopie ? Oui, car elle peut sordidement capoter sur des prises de position annexes comme le choix religieux ou la conservation du putois comme source de biodiversité. Mais si des personnes intelligentes, et surtout au-dessus des préjugés, prennent en main l'avenir de nos contrées, le monde tout entier peut en être changé.


lu ce papier intéressant sur Politis par Serge_Gomond le Dimanche 26/04/2009 à 15:47

Européennes : la grève des urnes se dessine

par Michel Soudais

Gros émoi chez les bien-pensants, qui pensent d’ailleurs moins qu’ils ne sont politiquement corrects : une abstention record menace, paraît-il, les élections européennes ! Elle pourrait atteindre 66%, à en croire un sondage Eurobaromètre réalisé dans 27 Etats membres. À ce niveau, ce ne serait plus de l’abstention mais une grève des urnes.

Le journal de Laurent Joffrin, le premier, a lancé l’alerte. Sans attendre la fin de la trêve du week-end pascal, son correspondant à Bruxelles a dévoilé les principaux résultats de cette enquête d’opinion lundi avant même sa publication officielle. Depuis la panique gagne tous les sites eurobéats. Au point que Bruno Lemaire, notre sous-ministre aux Affaires européennes, en était réduit mardi matin à recourir à la méthode coué pour rassurer les auditeurs de France inter. Ce crâne d’œuf qui a succédé au « « « socialiste » » » Jean-Pierre Jouyet, parti se préserver de la vie chère à la présidence de l’Autorité des marchés financiers, espère qu’il n’y aura pas 66% d’abstention. Mais les moyens envisagés et les arguments mis en avant laissent songeur. A l’entendre, c’est aux partis politiques de convaincre de l’importance de cette élection dont il réduit l’enjeu au fait de savoir si l’on aura ou non une Europe forte.

C’est le rôle des partis de montrer l’enjeu.

On peut être surdiplômé et avoir les idées courtes. A la décharge de notre petit secrétaire d’Etat, notons toutefois que les renseignements fournis par l’Eurobaromètre sur les motivations de cette (possible) abstention restent à la surface de la réflexion des électeurs. Les raisons de leur désintérêt rapportées par Jean-Michel Quatremer sont d’abord :
 l’ignorance du rôle des députés européens (64 %) et des affaires européennes (59 %) ;
 le sentiment que leur vote ne changera strictement rien (62%) ;
 le sentiment encore que le Parlement ne s’occupe pas de la vie de tous les jours (55%) ;
 l’opposition à la construction communautaire (20%).

Comme lors d’une précédente enquête qui avait donné lieu, l’an dernier, à une journée d’étude à Bruxelles que j’avais relatée sur ce blog, (http://www.pour-politis.org/spip.php?article505"), les sondeurs et leurs commanditaires (la commission ou le Parlement européen) s’aveuglent en imaginant que le désengagement des électeurs ne serait dû qu’à leur ignorance et au désintérêt des médias pour la politique européenne.

D’abord parce que l’abstention croissante aux élections européennes est révélatrice d’une crise politique. Depuis 1979, date de la première élection de cette institution au suffrage universel, la participation électorale n’a cessé de décliner jusqu’à devenir préoccupante, il y a une dizaine d’années déjà, en passant sous la barre des 50%.
 

En trente ans, à chaque élection ou presque, le Parlement européen a vu croître ses attributions et donc le pouvoir de ses élus. Comment se fait-il que le renforcement du parlement dans les institutions européennes s’accompagne d’une désaffection des électeurs ? A cette question, je ne vois de réponses que politiques. Soit les électeurs se rendent compte par eux-mêmes que l’accroissement des pouvoirs de leurs élus n’est pas aussi déterminant qu’on veut leur faire croire. Soit ils estiment que leurs représentants ne les représentent plus, une fois élus à Strasbourg.

Cette dernière hypothèse s’est considérablement renforcée ces quatre dernières années avec le bras d’honneur adressé par les élites européennes (j’y inclus la grande majorité des eurodéputés) aux peuples français, néerlandais et irlandais. Les deux premiers, consultés par référendum, ont rejeté le traité constitutionnel européen et se sont vus imposer en retour un traité de Lisbonne qui n’en est que la copie. Les derniers ayant à leur tour dit non à ce texte de remplacement sont sommés de revoter. Difficile, après ça, de croire encore en une démocratie européenne.

Et ce ne sont pas les propos de Bruno Lemaire qui convaincront les électeurs d’aller aux urnes. Car, interrogé sur ces deux points, le petit soldat de Nicolas Sarkozy a botté en touche.

Bruno Lemaire : Le non-respect du vote des peuples dans les référendums n’a rien à voir.

Comme tous les responsables européens, M. Lemaire fait mine de déplorer l’abstention mais s’en accommode. Comment peut-il croire un instant que les partis politiques qui, dans l’hémicycle européen, font bien souvent le contraire des discours qu’ils tiennent dans l’hexagone (c’est le cas de l’UMP, du MoDem, du PS mais aussi des Verts, ce que je ne manquerai pas de rappeler, preuves à l’appui, d’ici au 7 juin) seraient capables de remobiliser des électeurs de plus en plus tentés par la grève du vote en raison de leur comportement ?

L’abstention n’est pourtant pas la solution. Et puisqu’il faut justifier l’utilité de glisser un bulletin dans l’urne, j’en donnerai ici seulement deux (bonnes) raisons.

Il y a une semaine, le Medef organisait autour du président de sa Commission Europe, Jérôme Bédier, par ailleurs président de la Fédération du Commerce et de la Distribution un petit déjeuner de presse autour de l’idée que « L’élection de 2009 au Parlement européen est une occasion à ne pas manquer ». Si le Medef le dit, il n’y a pas de raison de lui laisser le champ libre. C’est déjà une première motivation.

Quelles que soient les déficiences démocratiques indéniables des institutions européennes [1], le Parlement européen est encore la seule institution européenne démocratique puisque élue au suffrage universel des peuples qui composent l’Union européenne. Sans être extraordinaires, ses pouvoirs ne sont pas minces et si nos eurodéputés n’en usent que rarement, c’est moins l’institution qui est en cause que leurs choix politiques (ou leur couardise). Il importe donc, c’est la deuxième raison de ne pas s’abstenir, que les citoyens en désaccord avec les décisions prises par les députés européens usent de la seule arme dont ils disposent, le bulletin de vote, pour changer leurs représentants et mettre à leur place des élus plus à leur goût. Des députés qui ne se contenteront pas de dire que le Parlement européen a peu ou pas assez de pouvoirs pour s’excuser de ne rien pouvoir faire contre l’allongement de la durée du travail, les délocalisations, la mise en concurrence des travailleurs européens, le démantèlement des services publics, ou le réchauffement climatique. Mais qui sont prêts à user de tous les moyens que leurs accordent ce « peu » et ce « pas assez » pour rompre, par leur action et par leurs votes, avec la logique libérale qui imprime toutes les décisions de l’Union européenne.


Notes

[1] L’internaute curieux peut consulter à ce sujet le texte d’une conférence, « L’Europe contre ses peuples », que j’ai prononcée devant l’Université populaire et républicaine de Marseille, fin 2007.



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