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Peuple, Amériques et lutte des classes

Par Jean-Paul Damaggio • Internationale • Jeudi 09/04/2009 • 1 commentaire  • Lu 2004 fois • Version imprimable


A relire, sur ce site, mes informations sur l’actualité américaines (au sens large) et les réactions suscitées, je constate qu’il y a souvent des références au peuple qui peuvent paraître contradictoires au fil des jours. Sans entrer dans une théorisation approfondie qui serait utile, je voudrais m’expliquer sur ce point. La succession de victoires électorales de la gauche tendrait à démontrer à beaucoup de personne, et y compris des Français qui ne cessent de se défier des élections, que là-bas au moins, la conscience du peuple est telle que les gauches peuvent enfin gagner, après s’être égarées pour quelques-unes dans de vaines luttes armées (sans rien lire d’ailleurs de très clair sur l’analyse de cette période).

En France, parfois les mêmes personnes passent du jour au lendemain du mépris envers le peuple (abruti par le sport par exemple) à son idéalisation (quand il est loin surtout), en conséquence il est parfois difficile de savoir ce que chacun met derrière le mot.

Quand je parle du peuple cubain sous contrôle du pouvoir actuel, je ne répète pas l’erreur de ceux qui parlaient hier du peuple russe sous contrôle des staliniens. Le peuple cubain a une histoire révolutionnaire antérieure à Fidel Castro, qui lui a permis d’obtenir, avant la France, le droit de vote pour les femmes puis il a fait la révolution castriste. Aujourd’hui, les évolutions du système en place peuvent-elles lui éviter les sirènes de la société capitaliste, comme ce fut le cas dans le bloc de l’est ?

Quand je parle du peuple du Salvador qui fait la fête, là aussi j’établis une distance entre lui et son représentant élu. Suis je victime d’un autre lieu commun : le bon peuple face aux mauvais dirigeants ?

A Paco Ignacio Taibo II le Mexicain, que j’écoutais dernièrement à Toulouse (compte-rendu sur le site des éditions la brochure), et qui vient d’écrire un livre sur un héros populaire, Pancho Vila, quelqu’un lui demanda : « quand un peuple pourra-t-il prendre son destin en main directement, sans en passer par des héros ? » Il répondit ce que je réponds moi-même depuis longtemps : la question n’est pas celle du représentant ou pas, du peuple, car celui-ci est indispensable à l’unité et l’action populaire, mais celle de sa fonction. Pancho Vila est une figure du passé qui symbolise un courage et une détermination qu’avec d’autres, il nous faudrait retrouver, et non celle d’un Dieu qu’il faudrait invoquer. Je suis d’accord avec Serge Gomond, dans un de ses articles, où il condamne la verticalité des forces de gauche, mais je précise que toute représentation n’induit pas la verticalité (Jaurès est un exemple).

Bref, le peuple sous ma plume est le peuple qui lutte, qui se donne des dirigeants pour imposer ses revendications, mais il lutte contre qui ? Plus que contre les capitalistes, contre cette part du peuple sociologique soumise aux logiques de l’idéologie dominante et qui vole au secours de ses oppresseurs. En conséquence, le peuple en lutte doit gagner la conscience du peuple sociologique et pour ce faire, les élections peuvent lui servir de caisse de résonance, de baromètre du rapport des forces, et l’analyse des dites élections peut éclairer la suite des luttes.

Si le terme de capitalisme est revenu en force dans les médias ainsi que la présence ouvrière au rythme des fermetures d’usines, il n’en est pas de même de celui de lutte des classes, ce qui ne me surprend pas. Aux Amériques les victoires électorales sont souvent, vues de France, des victoires biaisées car on donne le nom du président mais rarement celui du rapport des forces au sein de l’assemblée législative. La victoire d’Allende, de par le système électoral, fut une victoire par défaut qui s’est consolidée pendant son mandat, mais qui n’était pas majoritaire. La victoire de Lula fut du même ordre, réalité que Lula utilise pour justifier sa politique modérée, nécessitant l’alliance avec le centre.

Nous pourrions donc en déduire qu’aujourd’hui, le peuple en lutte trouve plus facilement un « chef » national pour le représenter, que des chefs locaux. Tout comme il fallait analyser hier les mérites ou non de la lutte armée, il faudrait analyser aujourd’hui ce décalage qui n’est pas anodin. Il correspond à une médiatisation et une désorganisation de nos sociétés, deux phénomènes qui vont ensemble : l’absence d’organisations globales réelles, solides (syndicales, politiques), qui conduisent à l’émiettement des associations (regroupées trop vite sous le terme global de mouvement social ou pire de société civile), permet aux médias de jouer un rôle fédérateur tout en laissant chacun isolé devant son écran télé ou d’ordinateur. Les victoires présidentielles de « la gauche » deviennent donc aussi des manifestations d’une forme de soumission nouvelle aux forces dominantes quand la dite « gauche » ne sait se trouver qu’une personnalité nationale fédératrice ! Soumission, surtout si les élus de la dite gauche n’entreprennent rien pour changer la forme du paysage médiatique ! Merci de ne pas me faire dire ce que je n’ai pas dit : peu friand de la politique du pire jugée par certains plus pédagogique pour le peuple, je préfère les victoires de la « gauche » à celles de la droite (celle d’Obama à celle de Mac Cain) mais je ne m’arrête pas pour autant aux lustres médiatiques de tels succès tompeurs.

Le hasard me fait travailler pour le moment sur la notoriété d’Olympe de Gouges aux Amériques. A ma grande surprise, je découvre articles, livres, peintures, pièces de théâtre d’un mouvement féministe que je savais pourtant vigoureux. Autant de documents qui ont leurs limites mais aussi leurs mérites : les femmes font-elles partie du peuple aux yeux de nos amoureux français de l’Amérique latine de gauche ? Je pourrais aisément démontrer que ce n’est pas le cas !

Olympe de Gouges, dans les 500 pages de ses écrits politiques qui commencent par une « Lettre au peuple » (1), se pose donc la question du peuple, et bien sûr celle des femmes dans le peuple. Elle n’idéalise ni l’un ni les autres : elle écrit pour éclairer le peuple dont elle sait qu’une partie est soumise, et elle s’étonne que les femmes fassent si peu. Quand elle rêve à des rues de Paris propres, elle, avec d’autres à travers l’histoire de l’hygiène, affrontent autant le peuple que le système ambiant ! Elle constate simplement que la révolution, sous prétexte d’avoir déjà un lourd travail à accomplir en matière politique et sociale, renvoie à plus tard les revendications des femmes pourtant en pointe dans la lutte, surtout en octobre 1789, et elle se pose donc la question : si les pouvoirs des hommes avancent sans ceux des femmes, la révolution n’est-elle pas trahie ?

Aux Amériques, dans la lutte des classes actuelle, les forces de gauche préfèrent combattre le grand Satan US que de mener au sein du peuple sociologique la bataille pour les droits de tous et toutes. Ne me faites pas écrire ce que je n’ai pas écrit : le poids des USA est immense et désastreux sur des pays pillés, mais ce n’est pas lui qui empêche la révolution féministe. Dans cette trilogie, peuple, luttes des classes, Amériques, cherchez les droits des femmes et vous verrez jusqu’à quel point l’idéologie dominante recule au sein du peuple ! La postérité d’Olympe de Gouges, c’est pour aider les féministes à éviter les pièges de cette historie classique. J’ajoute un seul exemple : en Bolivie après la stratégie du « capitalisme andin » chère au vice-président, voilà que revient celle du «socialisme andin millénaire» qui, comme chacun sait, ouvrit aux femmes les chemins de leur libération…

09-03-2009 Jean-Paul Damaggio

Note
1 ) http://www.rene-merle.com/article.php3?id_article=566 et le livre est évoqué à la catégorie olympe de gouges sur le site http://la-brochure.over-blog.com




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Commentaires

par Serge_Gomond le Vendredi 10/04/2009 à 16:44

J.P. Damaggio écrit : «... Le peuple cubain a une histoire révolutionnaire antérieure à Fidel Castro, qui lui a permis d’obtenir, avant la France, le droit de vote pour les femmes puis il a fait la révolution castriste. Aujourd’hui, les évolutions du système en place peuvent-elles lui éviter les sirènes de la société capitaliste, comme ce fut le cas dans le bloc de l’est ? ... » et «... un héros populaire, Pancho Vila, quelqu’un lui demanda : « quand un peuple pourra-t-il prendre son destin en main directement, sans en passer par des héros ? » Il répondit ce que je réponds moi-même depuis longtemps : la question n’est pas celle du représentant ou pas, du peuple, car celui-ci est indispensable à l’unité et l’action populaire, mais celle de sa fonction.»

Tous les peuples ont une histoire antérieure à celles de périodes dictatoriales.

Le peuple s’est fait dérobé sa souveraineté au profit d’un représentant (1), (représentant de son groupe politique ou d’intérêts, ou parfois les deux) monarque républicain (2), quand ce n’est pas un dictature molle (voir : Commission et commissaires européens). Il est bon de préciser qu’il s’agit de démocratie bourgeoise calquée sur un système économico-politique, et où la démocratie populaire n’a pas voix au chapitre (en quelque sorte une dictature économique, car si on ôte du discours dominant toute la rhétorique en faveur de ce système, dont le fameux slogan T.I.N.A., cher à Reagan et Thatcher, on ne perçoit pas trop dans ce type de discours, (l’éloge de l’instauration d’une Gouvernance mondiale-localisée et relayée par les "monarques" locaux qui organise la mise en place à leur sauce) d'espace pour la démocratie populaire, et ce discours n’est pas autre chose qu’un ordre* mondial (ou mondialisé) recouvert d’un voile couvrant sa nature réelle et qui lui donne une apparence démocratique. (*dans tous les sens du terme)

 

(1) représentant ? pas si sûr, car là aussi il s’agit d’un stratagème rhétorique, il s’est hissé au plus haut, à l’aide de tromperies de toutes sortes, plus ou moins avouables, et les mandats électifs dont ils sont porteurs (lui, celles et ceux qu’il aura coopté quand il obtient le titre et la place de chef, patron, "the big boss", président etc.), ne devaient en faire que de simples délégués, c-à-d, qu’ils devaient représenter l’intérêt du peuple souverain et agir en son nom dans l’intérêt général ; on peut dire que c’est loin d’être le cas ! 

Il n'y a pas de "fonction" autre (que ce soit pour le peuple ou que ce soit pour sa "représentation", les élus ; les autres ne sont que des usurpateurs et des parasites) que celle qui est décrite dans ces quelques lignes, le reste n'est que du verbiage. Quant à prendre un exemple, prenons, s'il vous plait, celui de la Commune de Paris, cela aurait peut-être une meilleure correspondance, non ? 
  

(2) grâce à des stratagèmes parfois grossiers, parfois simplistes, et à un système  politico-électoraliste mis en place par eux pour les servir (la soit-disant alternance n’a pas d’autre fonction que de donner crédit à cette opposition factice).



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