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La course vers l'abîme

Comment de toutes parts on conspire pour la guerre

Par Denis Collin • Internationale • Jeudi 27/07/2006 • 0 commentaires  • Lu 1372 fois • Version imprimable


L’engrenage des bombardements et des massacres s’est remis en marche au Proche-Orient. Prenant prétexte de l’enlèvement d’un soldat israélien à Gaza, le gouvernement de Tel-Aviv (un gouvernement de « centre-gauche » selon la nomenclature en vigueur ici) a déclenché une offensive militaire d’envergure contre Gaza. Le scénario du pire se mettait en route.

L’enlèvement de deux soldats par le Hezbollah marque le début d’une nouvelle guerre. Israël, sous prétexte d’en finir avec le Hezbollah attaque Beyrouth, détruit les installations sanitaires, les routes, l’aéroport, bombarde des entrepôts d’alimentation. Les USA soutiennent évidemment Tel-Aviv qui ne s’est pas engagé dans cette nouvelle campagne terroriste sans l’aval complet des maîtres de la Maison-Blanche. L’Union européenne se tait : logique, politiquement ce club libre-échangiste est une filiale des USA. La France fait mine de faire entendre sa différence ... en se portant au premier rang de l’aide humanitaire ! Mais Sarkozy, comme toujours, donne la position des classes dominantes : soutien inconditionnel à Israël.

Vers la guerre totale ?

Désormais la marche à la guerre totale est enclenchée. La conférence internationale tenue à Rome le 26 juillet a donné un feu vert à Israël. Condolezza Rice reparle du « nouveau Moyen-Orient ». C’est bien de cela qu’il s’agit : une nouvelle phase dans la tentative de remodeler toute la région conformément aux objectifs états-uniens. La première phase, l’invasion de l’Irak a précipité ce pays dans le chaos. Depuis le début de l’attaque contre le Liban, la « guerre civile » en Irak a fait bien plus de victimes que les bombardements israéliens ou les roquettes du Hezbollah. Mais qu’à cela ne tienne. Il faut, coûte que coûte, continuer dans l’horreur. L’invasion terrestre du Liban est à l’ordre du jour et Israël se prépare à raser purement et simplement les localités soupçonnées d’être des bastions du Hezbollah.

Il n’y a évidemment aucun rapport de proportion entre le prétexte du conflit et la « riposte » israélienne. De toute façon, cette offensive était prête depuis longtemps. N’en manquait que le prétexte ou la provocation. La guerre contre le Liban fait partie du plan américain pour modifier la situation géopolitique de la région et assurer complètement la maîtrise des ressources pétrolières. Ce plan américain peut paraître fou et il l’est : les chefs bushistes de la diplomatie américaine sont un mélange d’obsédés du dollar, dépourvus de tout sens moral, et de fanatiques religieux de la pire espèce. Mais pour l’heure, ils dirigent les USA et n’y rencontrent aucune opposition politique organisée : les démocrates, fondamentalement, partagent les options stratégiques de Bush (Mme Clinton n’est pas la dernière qui, lorsqu’elle critique Bush, lui reproche surtout d’être trop mou). Sur l’arène internationale, l’UE n’a aucune existence réelle. Barroso est un agent d’influence de Washington - un reclassement assez classique chez nombre d’anciens maoïstes. Les députés de droite polonais font des prières pour faire tomber la pluie. Les Français vaquent à leurs petites occupations.

Il n’est pas utile d’entrer dans le détail des évènements. Bien que la canicule soit son sujet de prédilection, la télévision ne peut pas faire comme si rien ne se passait du côté de Beyrouth. Le spectacle de la désolation des populations civiles désespère ou met en rage. Il est cependant urgent de chercher à comprendre, en sortant autant que possible des discours « langue de bois » qu’on entend un peu partout.

L’État d’Israël en question

Le gouvernement israélien qui relance la guerre n’est pas un gouvernement de droite partisan du « grand Israël ». La coalition au pouvoir unit les anciens du Likhoud qui ont scissionné précisément parce qu’ils pensaient nécessaire de faire des concessions territoriales aux Palestiniens et les travaillistes dont la direction avait été rénovée après l’accession au poste dirigeant de l’ancien responsable de la centrale syndicale. Ce gouvernement est constitué de gens qui, sous des formes différentes, ont fait campagne pour la paix et ont été élus dans ce but.

Pourquoi les évènements ont-ils pris cette tournure tragique ? Tout simplement parce que l’État d’Israël est et n’est pas un État comme les autres ! C’est un État comme les autres, ni meilleur ni pire que bien des États - surtout ceux de la région. Les libertés de base des citoyens y sont plutôt mieux respectées que chez ses voisins. Mais en même temps, c’est un État de colonie [1] qui s’apparente beaucoup à ce qu’étaient les États-Unis au XVIIIe et XIXe siècles, ou à un moindre degré à l’Australie. Tous les États sont plus ou moins nés de la violence et parfois de l’occupation brutale par une puissance étrangère - l’Europe en sait quelque chose. Et il serait vain de se perdre en spéculations sur la légitimité de ces violences ou sur le sens de l’histoire. Mais dans l’État de colonie il y a autre chose : il exige l’expulsion des populations existantes et leur anéantissement. Les États-Unis ont éliminé pratiquement les premiers habitants, les Indiens, considérés comme des « bêtes sauvages » et non comme des hommes. La mythologie sioniste, depuis Herzl, considère la Palestine comme « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Alors que les Français en Algérie voulaient se soumettre les Algériens - par exemple pour en faire de la main d’œuvre sur les exploitations agricoles - les Palestiniens sont, à l’origine réputés ne pas exister. Ce déni du réel est la source de la violence inhérente à ce type d’État, violence qui se conjugue généralement avec des institutions démocratiques, à destination seulement du « Herrenvolk », du peuple des maîtres. Le citoyen non membre de la classe dominante, états-unien hier, israélien aujourd’hui est soumis à une double contrainte qui littéralement fait perdre tout bon sens. D’un côté, il est un salarié exploité comme les autres, dont le mode de vie et les intérêts de classe le pousseraient du côté des populations opprimées et chassées de leur terre. D’un autre côté, il se sent membre de la nation élue et fait bloc avec ses exploiteurs. Cette contradiction est explosive et mine aussi la stabilité des gouvernements pour qui la fuite en avant expansionniste et guerrière apparaît comme la meilleure solution. Pour comprendre ce qu’est Israël, on peut donc se reporter à la naissance des États-Unis [2] à cette différence que le territoire étriqué d’Israël et la faible population susceptible d’y émigrer, ainsi que la puissance du nombre des pays voisins rend ses chances d’un succès comparable aux États-Unis bien minces !

Enfin, pour les raisons qu’on vient d’indiquer, Israël ne peut survivre qu’en obéissant étroitement aux ordres des puissances impérialistes, principalement les USA. Son indépendance est quasi nulle, à la fois financièrement et militairement. Quand l’idée d’un foyer national juif en Palestine a commencé d’être pensée en Europe, ce n’était pas les sentiments d’amitié envers les Juifs qui étouffaient les dirigeants européens. Le foyer national juif permettait de faire d’une pierre deux coups : on se débarrasse des Juifs en Europe et on crée en Orient une sentinelle avancée de la « civilisation occidentale ». C’est d’ailleurs pour cette raison que l’immense majorité des militants juifs socialistes ou marxistes (ceux du Bund par exemple) étaient résolument opposés au sionisme. Les pires craintes de ces militants ont été confirmées par les faits et les illusions du socialisme des kibboutz se sont évaporées depuis bien longtemps. Le résultat est connu : les Israéliens sont comme les colons enfermés dans Fort Apache.

Les raisons d’une politique absurde

Ainsi, les habitants d’Israël ne sont pas seulement des citoyens comme les autres. Ils sont aussi des colons qui accompagnent l’installation d’une base militaire avancée de l’impérialisme US et de ses alliés. La politique de l’État d’Israël n’est donc pas déterminée d’abord par ses impératifs de sécurité propres, comme le ferait n’importe quel État, mais par des considérations stratégiques générales, liées au maintien de l’influence et des capacités de nuisances des grandes puissances dans cette région. Cela explique l’apparente absurdité de la politique des gouvernements israéliens successifs, notamment depuis les accords d’Oslo qui marquaient la capitulation sur le fond du mouvement national palestinien avec la reconnaissance « de facto » de la légitimité israélien. Ainsi, alors qu’Arafat s’était rallié très largement aux options soutenues par Clinton et par les gouvernements européens, les dirigeants israéliens ont tout fait pour s’en débarrasser et promouvoir le Hamas - on sait que les services secrets et parfois même pas secrets israéliens ont largement soutenu la création de ce mouvement. Alors qu’en mai 2006, le président de l’Autorité palestinienne avait amené le Hamas à signer une déclaration qui conduisait à la reconnaissance d’Israël pour ce mouvement qui s’était construit précisément contre le Fatah sur cette question, Israël fait une rafle parmi les membres du gouvernement, les emprisonne et liquide tout l’embryon d’auto-gouvernement qui tentait péniblement d’exister.

Bref, les gouvernements successifs depuis l’assassinat de Rabin, font tout pour torpiller les solutions négociées, renforcer les plus violents adversaires d’Israël, discréditer ceux qui recherchent un compromis. À long terme, cette stratégie peut sembler complètement suicidaire si on pense que le but de l’État d’Israël est de garantir la sécurité et la prospérité des citoyens qui vivent sur son territoire. Mais il ne s’agit certainement pas de cela.

La réaction islamiste veut la guerre pour conserver le pouvoir

Il y a un deuxième aspect qu’on ne peut passer sous silence. Les militaires israéliens et les politiciens qui sont leurs marionnettes cherchaient un prétexte pour passer à l’action. Pourquoi le Hezbollah et le Hamas leur ont-ils fourni aussi aimablement les prétextes tant attendus ? Il faut évidemment lier les décisions de ces deux mouvements. Le Hamas (sunnite) est, en fait, dirigé depuis Damas, et le Hezbollah, mouvement chiite garde des liens étroits avec la Syrie, directement et indirectement via son grand protecteur, l’Iran. Dans cette affaire les vassaux aussi bien que les protecteurs avaient intérêt au retour de la guerre. Dans le contexte de la reconstruction d’un Liban pacifié, après les secousses des dernières années et notamment l’assassinat de Hariri, le Hezbollah avait intérêt à paraître comme le seul mouvement capable de défendre la population libanaise et à contrer les tendances démocratiques en amenant la population à faire bloc derrière le seul mouvement disposant de capacités militaires réelles. Car le Liban est un pays sans défense. L’aviation israélienne peut impunément bombarder Beyrouth sans risquer le moindre tir de DCA, sans la moindre poursuite de la part de l’aviation libanaise inexistante. Le calcul du Hezbollah fonctionne à plein : les populations libanaises victimes des bombardements s’identifient massivement au Hezbollah. Le mouvement « La paix maintenant » (communiqué du 25/7) déclare : « Israël est entraîné progressivement par le Hezbollah dans le piège d’un affrontement terrestre, sur un terrain et dans des conditions qu’il n’a pas choisis. » Question : pourquoi les stratèges israéliens, qui ne sont pas nés de la dernière pluie, tombent-ils dans le piège ?

À cela il faut évidemment ajouter la politique de Téhéran. La réouverture des hostilités sur les fronts israélo-palestinien et israélo-libanais fait les affaires du gouvernement iranien engagé dans une négociation bras-de-fer avec les puissances occidentales autour de la question de la filière nucléaire et de l’éventuel accès de la théocratie chiite à la maîtrise de l’arme nucléaire. Là encore, on pourrait s’interroger : pourquoi cette orientation aventuriste ? L’Iran est un pays riche, avec un niveau d’éducation et de culture important, une forte identité nationale et une véritable indépendance à l’égard des puissances occidentales. Une politique pacifique, s’appuyant sur le développement économique et utilisant les contradictions entre les puissances occidentales, lui garantirait à coup sûr une place majeure dans toute la région. Mais les mollahs ont mesuré où cela menait : à la montée des revendications démocratiques et à l’effondrement de la tyrannie chiite. Contre ce péril, ils utilisent le moyen classique de tous les tyrans : précipiter la guerre et jouer des sentiments nationaux exacerbés par le péril pour maintenir leur pouvoir.

Renouer avec l’internationalisme

Ne considérer qu’un aspect de la question (la politique de l’État d’Israël), chanter la vieille chanson antisioniste ou ne voir, inversement, que le caractère islamiste du Hezbollah, c’est rentrer, chacun à sa place, dans cette conspiration pour la guerre que mènent les principaux protagonistes contre les populations de la région. Il faut au contraire comprendre pourquoi tous les dirigeants des groupes belligérants veulent la guerre et la veulent tous pour maintenir leur place et maintenir une forme ou une autre de régime d’oppression. On peut lire ici et là des diatribes enflammées contre Israël en oubliant ou en passant au second plan le rôle des USA : qu’il y ait là-dedans une résurgence en toute bonne conscience du vieil antisémitisme cela ne fait pas un doute. Mais ceux qui refusent de condamner l’agression israélienne contre le Liban au motif que le Hezbollah n’est pas une organisation démocratique ne valent pas mieux. Entre les « fous de Dieu » de Téhéran et ceux de Washington, il n’y a pas à choisir.

« Paix entre nous, guerre aux tyrans », dit l’Internationale. Cette parole peut-elle encore être entendue ? Quelques centaines de citoyens israéliens défilant dans Tel-Aviv contre la guerre, cela semble bien peu et ils sont très isolés dans l’opinion publique. Mais ce sont eux qui portent l’avenir, parce qu’ils retrouvent la voie du véritable internationalisme, celui dont les militants juifs ont été si souvent les porteurs dans l’histoire du mouvement ouvrier. Ils trouveront bientôt l’oreille des Libanais qui n’aspirent qu’à vivre en paix et voient le spectre de la guerre civile se dresser à nouveau devant eux. Et au-delà l’assentiment de tous ceux qui redoutent l’embrasement de la région et ses conséquences incalculables sur la situation mondiale.

Quoi qu’il en soit, l’exigence d’un cessez-le-feu immédiat, adressé à tous les belligérants s’impose. Ainsi que le dit le communiqué de la confédération Force Ouvrière, il faut se battre « Pour un cessez le feu immédiat et sans condition » : « La CGT-FO s’associe à la Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL) pour en appeler à un cessez le feu immédiat et sans condition.

Avec la CISL, la CGT-FO affirme que la souveraineté, l’intégrité territoriale et la sécurité sont un droit de tous les pays dont dépend la sécurité des populations.

La CGT-FO dénonce le recours aux actions de guerre et de terrorisme dont sont victimes systématiquement, et aujourd’hui particulièrement au Liban, en Palestine et Israël, les populations.

Avec la CISL, la CGT-FO réaffirme son soutien aux travailleurs du Liban, de Palestine et d’Israël qui aspirent à vivre en coexistence et en sécurité au sein de leurs pays et Etats souverains. »

Il est également nécessaire de procéder au démontage des manœuvres des bellicistes de tous les camps et la dénonciation patiente de la politique criminelle menée par les grandes et les moins grandes puissances. « L’impérialisme porte en lui la guerre comme la nuée l’orage », disait Jaurès. De ce point de vue, rien de nouveau sous le soleil. Hélas !

Denis COLLIN


[1] On le distinguera de l’État colonialiste qui veut prendre le contraire des terres et des peuples qui les habitent.

[2] Voir le livre de Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis.




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