L’affaire DSK occupe à plein temps les médias et l’opinion publique depuis plus d’une semaine, laissant dans l’ombre des événements bien plus importants et bien plus dramatiques : du mouvement révolutionnaire qui naît en Espagne à la répression féroce conduite par le régime syrien contre une opposition qui ne désarme pas, en passant par la Libye et les soubresauts des processus révolutionnaires en Égypte et en Tunisie. Il nous faudra également revenir sur les élections administratives italiennes qui semblent sonner le glas du berlusconisme.
Certes, comme de coutume, les grands médias aiment le sensationnel, surtout quand il est un peu glauque et qu’il est question de sexe. Cependant, on ne saurait évacuer d’un revers de manche ce « fait-divers » devenu un fait politique riche en leçons. Il y a déjà pas mal d’années, quand il était encore socialiste mais commençait à prendre ses distances avec la nomenklatura mitterrandiste, Max Gallo avait écrit un roman, La demeure des puissants, dans lequel on pouvait croiser quelques-uns des personnages du feuilleton de ces derniers jours… notamment une présentatrice de la télévision, quittant son mari, journaliste honnête, pour un homme politique en vue. En tout cas, c’est bien dans la demeure des puissants que nous fait entrer l’affaire DSK.
Première leçon concernant DSK lui-même : soit il est coupable de ce dont on l’accuse, auquel cas, il n’a que ce qu’il mérite… Soit il a été piégé : auquel cas on s’étonne qu’un homme averti comme lui, un homme si important et aux si grandes ambitions ait pu se laisser piéger comme dans un mauvais polar. Une telle bêtise à un tel niveau de responsabilité ! Comme le dit la socialiste Anne Mansouret, vouée aux gémonies par quelques-uns de ses bons camarades, « le seul responsable de la mort politique de DSK est DSK lui-même. » (voir son papier sur Rue89).
Deuxième leçon : les Français viennent de découvrir la justice à l’anglo-saxonne et la procédure accusatoire qu’on nous donnait il y a peu encore en modèle à suivre pour remplacer le juge d’instruction qui instruit à charge et à décharge. Ne pleurons pas sur DSK : il a des moyens énormes et sa défense est route. Ses avocats vont diligenter une contre-enquête et il n’est pas impossible que la tranquille assurance de son avocat qui annonce son acquittement soit bien fondée (que DSK soit ou non coupable). Mais faute des moyens de DSK, des milliers de pauvres croupissent dans des geôles infectes – comme celle à laquelle DSK échappe moyennant une caution d’un million de dollars et des frais de gardiens de 200 000 dollars par mois. Justice de classe et non modèle de justice impartiale aussi dure pour les puissants que pour les faibles comme tentent de nous le faire croire certains « faiseurs d’opinion ».
Troisième leçon : concernant la gauche médiatique française, on vient de voir comment les champions du politiquement correct sont prêts à ressortir les arguties les plus machistes et le mépris social le pire quand il s’agit de prendre la défense d’un membre de la caste. Entre celui qui voit dans les frasques de l’ex-président du FMI un « troussage de domestique », celui qui proclame « qu’il n’y a pas mort d’homme » (ce qui en bon français veut dire : ce n’est pas grave) et l’inénarrable BHL qui prend la défense de DSK en protestant contre le manque d’égard à l’endroit d’un personnage aussi important, nous avons un belle brochette d’individus dont la parole devrait être définitivement décrédibilisée. Au-delà de ces cas presque caricaturaux, on n’oubliera combien d’éminences ont fait preuve d’une touchante sollicitude pour DSK en oubliant que sa victime présumée pouvait bien être une véritable victime, immigrée, femme de ménage et mère-célibataire, si représentative de cette vaste classe de travailleurs exploités dans les soutes des grandes métropoles des affaires.
Quatrième leçon : les penchants de DSK étaient bien connus – même si on a parfois exagéré, mais on ne prête qu’aux riches. Pourquoi le PS était prêt à se donner sans réserve à cet homme dont on savait qu’il risquait de voir sa campagne sabordée par une remontée d’égout d’une affaire douteuse ? Parce que DSK incarnait à merveille ces « élites mondialisées » dénoncées jadis, à juste titre, par Jean-Pierre Chevènement. Parce que DSK était l’emblème de cette « gouvernance » supranationale que l’on voudrait substituer aux gouvernements nationaux responsables devant les peuples. La mort politique (peut-être provisoire…) de DSK repose à nouveau la question de cette orientation, au moment où le rapport de Terra Nova développe sans fard l’assise théorique de l’orientation qui soutenait la campagne pour DSK : « salauds de pauvres » !
Il y a d’autres leçons sur lesquelles il faudra revenir – notamment celles qui concerne la stratégie du Front de Gauche privé désormais de son punching-ball favori. Mais il serait dommage de laisser les nécessaires analyses de cette affaire aux mains des maquilleurs de brèmes du système.
La référence à Max Gallo est heureusement choisie. Et le dilemme bien posé : inexcusable crime ou impardonnable crédulité.