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La démocratie selon Moncef Marzouki

Par Jean-Paul Damaggio • Internationale • Lundi 29/04/2013 • 1 commentaire  • Lu 2208 fois • Version imprimable


Le jeudi 25 avril, le Premier ministre de Tunisie, Ali Laarayedh a été entendu par le juge d'instruction du treizième bureau auprès du Tribunal de Première instance de Tunis au Palais du Gouvernement. Ministre de l’Intérieur, lorsque Chokri Belaid a été assassiné le 6 février dernier, Ali Laarayedh a refusé par deux fois d’être entendu. L’audition jette un certain trouble si l’on se base sur ce que rapporte le journal Achourouk, qui affirme détenir les propos du Chef du gouvernement tels qu’ils ont été déclarés au juge et où il dénonce une responsabilité de Moncef Marzouki.
De toute façon quand un ministre de l’intérieur accède au poste de premier ministre suite à un assassinat politique aussi considérable et qu’il aurait dû éviter, c’est plus que louche !

Au même moment un journaliste tunisien note : « Le pays est en pleine crise politique, la tension est élevée, la conjoncture économique est morose et le président tunisien trouve quand même le temps pour rédiger un livre [L'invention d'une démocratie : les leçons de l'expérience tunisienne, éd. de La Découverte], publier de longues tribunes d'opinion, voyager, boire un thé avec des princesses, présider des conférences littéraires. »

Belle occasion de se poser la question sur la démocratie selon Marzouki.

La tendance aux reculs de la démocratie sociale

Réfléchir à la démocratie suppose d’analyser les tendances mondiales de la lutte des classes. Tendances qui ne sont pas propres à l’économie dont on nous rabat les oreilles. Analyser ne signifiant pas se plier aux dites tendances !

Pour la période actuelle je considère que globalement de 1945 à 1980 la tendance était aux avancées de la démocratie (je vais dire avancées tout simplement) mais que depuis et jusqu’à ce jour, on est dans une tendance inverse. Le coup d’Etat au Chili organisé par les USA et Pinochet en 1973, ou l’arrivée des ministres communistes en France en 1981 sont, comme d’autres événements, en décalage avec les dites tendances, et prouvent qu’il existe une marge d’action possible dans chaque pays. En France c’est avec les années 90 que « la société vire à droite » d’après le PCF qui prend l’effet pour la cause. Ce n’est pas une société qui vire à droite qui fait reculer la démocratie sociale, mais l’incapacité du PCF à convaincre, qui laisse place à ses adversaires !

Pourquoi ce basculement en 1980 ? Il se joue en Iran alors que les forces militaires de l’URSS ont envahi le pays voisin, l’Afghanistan. Il n’est possible que par une conjonction contradictoire de situations. Et le cas de l’Iran n’a pas d’équivalent dans le siècle : les forces armées des USA et de son valet étant chassées du pays, cette révolution continue à merveille les avancées de la démocratie sauf que l’illusion sera de courte durée (deux ou trois ans suivant les observateurs). Les religieux vont s’appuyer sur une gauche à la tradition puissante qui, dès 1984, est totalement balayée par l’instauration d’une théocratie promouvant l’espoir en une religion politique. Le phénomène devient totalement sans précédent quand l’adversaire battu, les USA, peuvent enfin s’appuyer sur ce « recul » pour lancer la contre-offensive néolibérale, un néo-libéralisme qui sur le plan économique ne dérange en rien la théocratie victorieuse à Téhéran. Je rappelle que Jimmy Carter a été élu président des USA dans une triangulaire, car Reagan s’est présenté aux élections contre l’avis de son parti, mais gagnant cependant la majorité de ce même parti républicain pour l’élection suivante !

L’heure des fausses révolutions

Dans ce contexte, après quelques autres « révolutions » comme la révolution dans la révolution en URSS, ou la révolution bolivarienne, se produisent les révolutions arabes dont la Tunisie devient le merveilleux symbole. Est-ce l’annonce d’un nouveau basculement rêvé déjà par les altermondialistes à Porto-Alegre ? Peu après le fameux 14 janvier de Tunis, à  une émission « ce soir au jamais » un Tunisien se distingue sur le petit écran français : Albert Memmi ne cache ni sa joie quant au départ de Ben Ali… ni son scepticisme quand on parle du mot révolution. Il a un argument simple et pourtant personne ne veut l’entendre : les questions économiques vont continuer comme auparavant alors qu’une des raisons des révoltes étaient économiques. Aucune force n’est en place pour développer une logique différente. TOUS les invités s’insurgent devant un tel pessimisme : ceux qui ne veulent pas « décourager Billancourt » comme ceux qui sont bien contents quand on évacue la question de la démocratie sociale.

Albert Memmi voulait-il minimiser l’exploit de son peuple ? Tout au contraire : il proposait une analyse sereine (et non sentimentale) qui, en donnant à cette révolution sa juste dimension, permettait de comprendre clairement le reste du chemin à accomplir.

La démocratie selon Marzouki

Il y a donc eu des élections démocratiques dans le pays et l’évènement fut considérable. Des résultats, Youcef Marzouki en a déduit qu’il devait accepter le rôle de président provisoire d’un gouvernement islamiste, répétant ainsi dans des conditions totalement différentes le cas de l’Iran. D’autres préfèrent parler du modèle turc mais alors, depuis les élections, nous aurions une constitution dans ce pays car la constitution turque, que les islamistes de ce pays subissent, est claire sur la laïcité, un des points qui achoppent dans les négociations entre laïques et religieux. Marzouki a accepté de mettre au service des islamistes ses mérites d’avocat de gauche pensant limiter ainsi les tendances à la théocratie. Il s’agit d’une stratégie bien connue et dite du moindre mal, or, sans chercher à donner des leçons, il pouvait faire autrement : devenir le leader d’une gauche certes battue mais capable de se construire comme alternative au pouvoir minoritaire des islamistes (car ils n’ont pas la majorité à eux seuls), une tâche plus difficile et moins glorieuse que celle de chef de l’Etat ! Jusqu’à quand va durer le provisoire, M. Marzouki ? Cette autre perspective s’appelle l’acception de la démocratie !

La tendance mondiale étant ce qu’elle est, les difficultés de la gauche tunisienne ne lui sont pas propres et reconnaissons qu’unir cette pluralité démocratique est nettement plus compliqué que de bâtir avec des moyens financiers énormes un pouvoir articulé sur le religieux ! Nous venons de le voir même en Italie où une partie de la prétendue gauche, contre la décision électorale, décide de s’unir avec son adversaire monumental qui la croque à petit feu depuis des années !

Quand on s’est battu avec courage contre le régime de Ben Ali, poursuivre la lutte contre les  islamistes demeure possible. Croire qu’au poste honorifique de président on peut contenir leur avancée c’est abandonner le combat en rase campagne. En Tunisie comme dans les autres pays arabes le combat pour la démocratie sociale suppose un autre type d’engagement. Etrangement nous retrouvons les USA dans le paysage, mais cette fois les USA de l’Arabie Saoudite, dictature qui n’est pas une « république » comme en Iran, mais qui est encore pire !

Depuis les années 1980 nous savons que la défaite des forces de la réaction conforte le plus souvent les dires forces dans leur domination : sortir d’une dictature n’empêche pas d’entrer dans une autre !

Pour la Tunisie le tournant qui aurait dû entrainer la démission de Marzouki, c’est l’assassinat du Jaurès tunisien, Chokri Belaid. Malheureusement nous savons à présent que cet assassinat a fait le bonheur « objectif » des diverses forces gouvernementales : les islamistes qui se doivent d’empêcher toute naissance sérieuse d’alternative et Marzouki qui voyait poindre un adversaire potentiel. Voilà pourquoi je parle de Jaurès tunisien, la mort de Jaurès ayant fait aussi quelques bonheurs dans son propre parti surtout quand on découvrira Jules Guesde devenant ministre.

Youcef Marzouki, comme avant lui Khomeiny, cherche en France un label «démocratique», basé sur les incontestables mérites de ses combats passés, et c’est dans ce contexte qu’est lancée l’opération de vente de son livre. Un président ne se juge pas à ses discours même quand ils font pleurer le Parlement européen, mais à ses actes… qui tous jusqu’à présent font les délices de ses amis islamistes qui l’useront jusqu’à la corde. L’assassinat de Chokri, qui a fait trembler le gouvernement avec la démission du premier ministre, a permis… un virage toujours plus à droite du nouveau gouvernement avec le même président !

Raison de plus pour rester en place et servir de barrage à la montée des salafistes ? La théocratie ne se combat pas avec des théocrates et un avocat talentueux comme Marzouki le sait très bien. Il s’accroche au pouvoir et l’histoire jugera. Bien des indices montrent que le peuple tunisien le digère de moins en moins : ceux de gauche car il a trahi son passé, ceux de droite qui n’aiment pas les marionnettes pour construire leur propre avenir.

 

Jean-Paul Damaggio

 


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Commentaires

par gif animé le Lundi 14/10/2013 à 19:27

Un bien bel article comme on a l'habitude d'en lire sur votre blog.



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