On passera sur le fait bien connu que la FIAT n'a dû son salut qu'à l'injection massive de capitaux publics qui l'ont sauvée de la liquidation. Marchionne appartient à cette nouvelle race de managers internationaux, de dirigeants « hors sol », qui forment cette classe capitaliste transnationale si judicieusement analysée voilà quelques années par Leslie Sklair. L’Italie n’est pas sa patrie mais un champ d’investissement à comparer à la Chine, la Tunisie ou le Brésil. Et il pose le problème dans les termes les plus crus, mais aussi les plus vrais : le capital contre les nations. Les nations – c’est-à-dire les peuples formant un corps politique ou aspirant le former, sont des « freins » pour le capitalisme à la Marchionne. Une leçon qu’évidemment le principal parti d’opposition, le PD de Bersani, a du mal à entendre : « Marchionne a tort, le modèle ce n’est pas la Chine mais l’Europe » affirme-t-il. Mais le problème, c’est la « concurrence libre et non faussée », celle qui permet de mettre en concurrence des ouvriers chinois aux horaires élastiques et aux salaires de misère et les ouvriers italiens, français, allemands autres et ça c’est le « modèle européen ».
Comme l’Italie anticipe les évolutions en cours en Europe, il faut prendre très au sérieux les déclarations de Marchionne : les capitalistes français pensent globalement comme lui : c’est la France qui freine le capitalisme et c’est pourquoi ils pressent leurs hommes de main de détruire tout ce qui reste du pacte social sur lequel la France s’est reconstruite à partir de 1943 avec le programme du Conseil National de la Résistance, exactement de la même façon que le gouvernement Berlusconi-Bossi veut liquider la constitution républicaine italienne de 1946 qui fait de l’Italie une république des travailleurs : « la République est fondée sur le travail » dit son article premier. Marchionne veut réviser cet article : la « République est fondée sur le capital », et ça, n’en déplaise à Bersani ou aux socialistes européistes français, c’est l’idée de base du traité de Maastricht, de feu le TCE et du traité de Lisbonne.
Ceux qui pensent que le capitalisme est lié à la nation et qu’il trouve toujours dans le nationalisme sa ligne de défense vont être dans l’embarras. L’Italie est un des rares pays au monde où certains de ses plus hauts dirigeants et ministres crachent sur le drapeau national et sur la nation tout entière : c’est le cas de Bossi et de sa Lega, parti sécessionniste anti-italien. Marchionne vient de dire clairement à quoi correspond l’idéologie nauséeuse, raciste et demi-délirante de la Lega. Il ne s’agit pas de faire revenir les Goths dont Bossi se prétend le descendant et le représentant, mais bien de défendre les intérêts du capital transnational. Que l’ethnicisme puisse être l’arme politique du capital « apatride » voilà une dernière leçon qui ne manque pas d’intérêt.
Je lis dans Le Monde d'hier un élément qui vient, me semble-t-il, contredire l'affirmation de Denis Collin.
Une des plus fortes réactions aux propos du patron de la FIAT est venu de la ligue du Nord et notamment de Calderoni, ministre de Berlusconi.
N'est-ce pas logique si l'on considère que cette organisation représente le secteur des PME, très enraciné dans le terreau économique et social (bloc politique avec les ouvriers) du nord de la péninsule et non le capital transnational ? En outre, j'imagine que bon nombre des PME en question travaillent dans le secteur de l'équipement à l'industrie automobile et n'ont aucun intérêt à voir FIAT quitter la botte. Par ailleurs, si mes souvenirs sont bons, la Ligue a appelé à voter "non" au TCE.