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Crise au PS
Refusant de participer à cette farce électorale, Michel Champredon se met en congé du PS et annonce sa candidature appuyée par le club qu’il anime, « Rive gauche », et quelques militants socialistes, communistes ou sans parti. J’ai soutenu dès le début cette initiative qui me semblait porteuse de grandes potentialités, non seulement sur le terrain électoral local, mais plus fondamentalement quant à la marche à suivre pour reconstruire dans ce pays une gauche digne de ce nom. « Socialiste dissident », selon la terminologie en vigueur dans la presse, Michel Champredon devient en quelques mois le fédérateur d’un rassemblement de militants socialistes, principalement les courants « gauche » local (PRS et FM) et des responsables et élus plutôt fabiusiens, du PCF, du PT, mais aussi du MRC et du PRG et des Verts, sans compter les militants associatifs qui ne sont pas les derniers quand il s’agit de batailler. En dehors de l’appareil socialiste se constitue ainsi une large union de la gauche. C’est cette coalition qui sous l’étiquette « La Gauche rassemblée » vient de conquérir la mairie d’Évreux, battant la liste du député-maire sortant UMP.
De l’Europe à Évreux
Une liste municipale n’a pas vocation à prendre position sur toutes les questions et naturellement la liste de la « Gauche rassemblée » est très pluraliste. Comme à l’accoutumée, les gauchistes ont brocardé ce pluralisme et en ont pris argument pour la dénoncer comme n’étant pas « 100% à gauche ». Les « 100% à gauche » sont toujours très fiers de leurs quelques pourcents qui les condamnent à l’opposition marginale et à la dénonciation incantatoire, c’est-à-dire à l’impuissance politique … pour le plus grand bonheur de la droite. Donc « la Gauche rassemblée » est clairement une liste ouverte où se rejoignent des courants très divers (du PT au PRG, il fallait le faire!). Cependant, ce n’est pas une liste sans colonne vertébrale, bien au contraire. Plusieurs épisodes attestent que c’est bien un processus de maturation politique et de recomposition de la gauche qui s’est mis en route dans cette campagne.Le 30 janvier 2008, alors que la gauche est encore dispersée, que le PCF ne sait pas encore vraiment ce qu’il doit faire, que la bataille fait rage entre le PS « canal officiel » et les dissidents de « Rive Gauche », se tient une réunion publique contre le traité de Lisbonne. J’ai pris l’initiative de convoquer cette réunion à laquelle j’avais invité Marc Dolez, député socialiste du Nord, à venir exprimer l’opposition résolue, et à la révision constitutionnelle de Sarkozy et au traité de Lisbonne. Rejoignent la réunion le PCF, le PT, la LCR et plusieurs élus socialistes. Dans la salle prennent place Michel Champredon, conseiller général, Gérard Silighini, conseiller général, Catherine Picard, conseillère générale, et des militants et citoyens représentatifs de toute la gauche ébroïcienne. À la tribune, après Marc Dolez, prennent la parole des représentants du PCF, du PT et de la LCR. Je devais conclure la réunion en appelant l’union de la gauche et en faisant remarquer qu’elle est aisée à faire dès lorsqu’on s’occupe des choses sérieuses et qu’on part de bases principielles solides.
En tout cas, quelques jours plus tard, un accord intervenait entre « Rive Gauche », Gérard Silighini, les militants de PRS, le PCF pour une liste commune. Le PT devait bientôt se joindre à la liste sur la base d’un protocole d’accord sans la moindre ambigüité. De la bataille pour l’unité pour défendre la souveraineté populaire face au traité de Lisbonne, on passait aux travaux pratiques locaux : comment défendre la population contre les ravages de la politique nationale et européenne qui visent à liquider les acquis ouvriers, démanteler l’industrie, mettre l’école et la santé en coupe réglée ?
Demandez le programme !
L’urgence, tout le monde en convient, est au logement social. La précédente municipalité UMP s’est occupée à étaler du ciment et du goudron dans toutes sortes « d’aménagements urbains » forts discutables et le plus souvent sans aucun gain pour la population, pendant que les logements sociaux disparaissaient : pour 1000 logements démolis, 250 nouveaux seulement ont été construits. Un plan d’urgence pour le logement social, voilà la première grande orientation qui fait l’unanimité.
La lutte contre la désindustrialisation, contre les fermetures d’entreprises, le soutien au travailleurs pour défendre leur emploi et une politique active pour l’implantation et le développement de nouvelles entreprises, voilà un deuxième axe qui permet de défendre les intérêts des salariés mais aussi ceux de la population de toute la ville, commerçants, artisans, classes moyennes.
Embuches et traquenards
La constitution de la liste ne s’est pas faite toute seule. Il a fallu parler aux uns et autres, tenter de rapprocher les points de vue, convaincre les uns et les autres de mettre un peu d’eau dans leur vin. Notons ici le rôle décisif qu’a joué l’ancien maire communiste d’Évreux, Roland Plaisance, qui a mis tout son poids dans la balance pour achever de convaincre le PCF de participer à une liste unitaire conduite par Michel Champredon.À partir de là commencent plusieurs semaines de batailles souvent dures. Car il ne suffit pas de combattre la droite. Il faut aussi se protéger des coups et des manœuvres de la liste socialiste officielle qui s’est alliée pour la circonstance à un groupe se proclamant les Verts d’Évreux, prétention un peu exorbitante du reste puisque l’ancien porte-parole des Verts au conseil municipal avait rejoint le MODEM et que plusieurs militants verts connus étaient sur la liste de la gauche rassemblée. En tout cas, l’existence de deux listes à gauche troublait une partie de l’électorat qui aurait souhaité qu’on fasse bloc contre une droite honnie.
Le premier tour, le 9 mars, a cependant tranché. La « Gauche rassemblée » regroupe près de 30% des suffrages pendant que la liste PS officielle n’atteint pas les 15%. La LCR frôle les 5% pendant que le maire sortant avec un peu plus de 36% prend une option sérieuse pour la défaite finale. Tout le monde l’a compris : au soir du premier tour, la gauche est majoritaire et la gauche ne peut gagner que derrière la liste, « La Gauche Rassemblée » conduite par Michel Champredon. Mais la simple logique ne plaît guère aux diviseurs. Mauvais perdant, Rachid Mammeri, dirigeant de la liste PS, s’engage dans des négociations de fusions où il multiplie les exigences. Finalement, à quelques heures de la clôture des listes, c’est la rupture. Il y a deux listes de gauche et une triangulaire se profile dont le seul vainqueur serait le candidat de la droite. Il faut attendre le jeudi midi, c’est-à-dire bien après la parution des hebdomadaires locaux pour que la direction nationale du PS décide de retirer son investiture à la liste Mammeri pour appeler à voter Champredon. Et c’est le vendredi qu’une conférence de presse annonce le retrait de la liste PS maintenant ex-officielle. Finalement, le dimanche matin, après de nombreux cafouillages dont le maire UMP porte largement la responsabilité, il y a encore trois piles de bulletins sur les bureaux de vote et c’est seulement en fin de matinée que seront retirés les bulletins Mammeri. Petites manœuvres minables de l’UMP qui ont volé 3% à la liste de la gauche rassemblée.
Le sens d’une victoire
Si la gauche rassemblée a gagné à Évreux, elle ne le doit qu’au courage, à la ténacité de ses militants et surtout à l’appui qu’elle a trouvé dans les classes populaires. Sur plusieurs bureaux des cités d’Évreux, la liste de la gauche monte à 70% des voix. Et au-delà, ce sont les salariés, les employés, les fonctionnaires qui ont renoué avec la victoire en votant pour la liste Champredon. Le sens politique du vote recoupe clairement sa composition sociologique.Il y a deux enjeux majeurs qui doivent ici être soulignés.
L’expérience d’Évreux n’est sans doute pas unique mais elle est révélatrice de la situation réelle. On ne doit pas oublier cependant que le taux d’abstention est resté élevé (plus de 40%) et que de très nombreux citoyens se sont détournés de la vie politique. Et l’un des enjeux est maintenant de les ramener dans l’arène publique, ce qui ne peut se faire que dans la mobilisation, dans le combat. On n’oubliera pas non plus que les marges de manœuvre d’une commune sont assez étroites et que beaucoup de dimensions de la vie sociale et politique sont en dehors de son champ d’action direct. En dépit de ces limitations, nous commençons cependant à entrevoir dans quelle direction il faut aller pour régénérer intellectuellement et moralement la gauche dans notre pays.
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(*)«Pour le second tour, nous appelons à battre la droite. Mais il y avait deux listes conduites par les socialistes Mammeri et Champredon. Cette lamentable division a fait le jeu de la droite et ouvre un boulevard pour Nicolas au second tour. Tout au long de la campagne nous avons pu constater la guerre intestine que se livraient Champredon et Mammeri (calomnies, vol d’affiches,..). Une querelle de chefs qui portait sur le partage des postes (mairie et communauté d’agglo) et non sur un programme de défense des classes populaires (logement social, emploi, école, santé,...)», appel mobilisateur comme on le voit tout de suite…),