Le hasard fait qu’au moment même où l’enquête d’utilité publique s’ouvre pour une LGV Bordeaux-Toulouse, la SNCF fait une proposition audacieuse pendant deux mois : 9 euros pour aller de Toulouse à Barcelone ! Proposition audacieuse car un TGV Toulouse-Barcelone vient d’être mis en circulation sur la ligne existante Toulouse-Perpignan puis sur la LGV Perpignan-Barcelone, et c’est un fiasco, à cause sans doute du prix défiant toute concurrence mais dans le sens inverse (80 euros)
Comment, pour un même trajet la même entreprise peut faire deux propositions aussi contradictoires ?
Car la proposition à 9 euros… c’est avec un BUS !!!
Peut-être est-ce une autre révélation si je rappelle que la SNCF a eu depuis sa création un monopole sur les déplacements collectifs grande distance ? Impossible de créer (et encore aujourd’hui) une ligne de bus régulière Toulouse-Paris. Mais, libéralisation oblige, il a été possible de mettre en place des lignes régulières pour des destinations internationales donc une entreprise a lancé, avec beaucoup de pub à l’appui, un bus Londres-Barcelone. Et l’affaire fonctionne si bien que des personnes peuvent pour 5 euros, aller de Toulouse à Barcelone.
Des bus plus importants, plus confortables, sur les autoroutes c’est donc un marché qui vient de naître. Pas surprenant s’il s’agit de Londres-Barcelone par Limoges-Toulouse : de Vierzon à Brive l’autoroute est gratuite. Aujourd’hui, en train, pour aller de Paris à Perpignan le système LGV a « imposé » le passage par Lyon et a disqualifié le passage par Toulouse nettement plus court (sauf pour le rare et fragile train de nuit). Le passage en bus peut utiliser l’axe central et il va l’utiliser d’autant plus demain que la SNCF prévoit qu’à partir de 2017 la ligne POLT (Paris-Orléans, Limoges Toulouse) s’arrêtera à Brive ! Pourquoi cette révolution idiote ? Car en 2017 va s’ouvrir la LGV Bordeaux-Tours et il faut obliger les Toulousains (et d’autres) à passer par Bordeaux pour aller à Paris en imposant à ceux qui voudront résister une utilisation du TER jusqu’à Brive avant d’atteindre la correspondance pour Paris ! Or depuis trente ans des centaines de milliers de Toulousains, malgré les incitations permanentes à privilégier le TGV qui passe par Bordeaux, passent par Limoges (50%-50%). Pourquoi ? A cause du prix bien sûr !
Donc le « Groupe SNCF » va pouvoir installer lui aussi un bus Barcelone-Paris par Toulouse et Limoges pour remplacer… les trains ! Ainsi, la partie non ferroviaire de la SNCF va marquer des points car pour ceux qui l’auraient oublié la SNCF est le premier transporteur routier… en France ! Peut-être parce que par ailleurs le transport routier reste partagé en milliers de petites entreprises.
Ce long développement pour en arriver à la question cruciale : le « Groupe SNCF » est-il un service public ? Le « Groupe La Poste » est-il un service public ? EDF est-ce un service public ?
Pour compléter mon tableau, voilà qu’au moment où est lancé l’enquête d’utilité publique sur la LGV Bordeaux-Toulouse, le journal La Dépêche révèle que le gouvernement veut vendre les 50% d’action qu’il détient de l’aéroport de Toulouse ! Révélation tardive et pourtant facile à faire quand les autorités de ce journal siègent au gouvernement et au Conseil régional ! Mais laissons de côté ces questions de liens qui devraient être interdits entre médias et politiques pour compléter notre propos : les services publics ne sont plus à défendre, ils n’existent plus ! (sauf pour l’école)
Et c’est vrai y compris pour une part du ferroviaire : la LGV Bordeaux-Tours en construction a été concédé non seulement pour la construction mais aussi pour l’exploitation (pendant 44 ans) au groupe Vinci qui se propose de racheter l’aéroport de Toulouse ! Voilà comment les finances publiques sont à présent pieds et poings liés aux grands groupes du BTP et des banques ce qui n’est pas totalement nouveau mais totalement aggravé. Je ne rappelle pas ce fait pour justifier la faible marge de manœuvre du gouvernement mais pour rappeler que les luttes anciennes de la gauche d’hier (vive les services publics) ne sont plus de saison et qu’il faut donc les remplacer par des luttes nouvelles : renversons la tendance à la soumission du politique à l’économique sans pour autant nier les fonctions propres de l’économique. Le gouvernement en a les moyens quand il est prêt à dépenser suivante ses dires 10 milliards d’euros sur des LGVs qui dans le Sud-Ouest ne serviront qu’à soigner les égos de quelques féodaux et les bilans financiers de Vinci, Bouygues, Eiffage. Pour la vente des 50% d’actions la recette pour l’Etat se monterait à 170 millions d’euros, une paille par rapport au chantier pharaonique qu’ils veulent proposer aux géants du BTP.