Ainsi, comme le dit notre ami Bernard Germain, « ils ont osé ». Les députés socialistes ont voté au nom de la « justice sociale » la « modulation » des allocations familiales en fonction des revenus des parents. Le député UMP Éric Ciotti fait remarquer à juste titre qu'il s'agit de la remise en cause d'un des principes du Conseil National de la Résistance (CNR). On aurait aimé que les députés de droite se souvinssent plus souvent de ce texte fondateur qu'ils ont largement contribué à mettre en pièce ! Le programme du CNR, c’est ce que le MEDEF s’est proposé de détruire de fond en combles. Que les députés socialistes aient voté un élément de cette destruction, cela peut étonner, sauf si on se souvient qu’il y a quelques jours à peine, à la City de Londres le premier ministre Valls a déclaré « Mon gouvernement est pour le business ». Qu’ils le justifient au nom de la « justice sociale » et de « l’équité », cela demande quelques explications.
Remarquons tout d’abord que l’expression « justice sociale » a pratiquement disparu du lexique politique officiel, y compris de celui des socialistes qui « aiment l’entreprise ». L’argument selon lequel allouer la même somme aux pauvres et riches est inéquitable pourrait tout de même sembler, en première approche, frappé au coin du bon sens. Les familles « aisées » ont-elles vraiment besoin des 127 euros versés à partir du deuxième enfant ? Est-il juste de verser de l’argent public à ceux qui n’en ont pas vraiment besoin ? Cette argumentation « pleine de bon sens » est pourtant fondamentalement vicieuse.
Elle oublie tout d’abord que les allocations familiales visent les enfants et non les parents. C’est une allocation aux enfants et pas aux parents et donc, par définition, les enfants sont tous égaux (article I de la déclaration des droits). La question de savoir si les allocations sont un élément ou non d’une politique « nataliste » est hors de propos. Les riches ne font pas des enfants pour toucher les allocations familiales et donc les priver d’une part importante de ces allocations ne devrait pas modifier leur comportement sur ce plan. C’est bien une question de principe qui est en cause et non une question d’opportunité : les enfants naissent libres et égaux en droits !
S’il faut redistribuer la richesse, il y a un moyen très simple : l’impôt progressif sur le revenu. Il se trouve que sa part dans les recettes budgétaires a considérablement baissé et que les cadeaux fiscaux faits aux riches se sont accumulés au fil des décennies, la gauche et la droite, obsédées par la « pression fiscale » y ayant ajouté chacune sa petite pierre ... en oubliant que l’impôt qui frappe tout le monde, l’impôt qui n’épargne jamais les pauvres est la TVA que l’on paye proportionnellement à ses dépenses et non à ses revenus. Ainsi, parler de « justice sociale » quand on a renoncé à toute réforme fiscale républicaine et quand on divise par 2 les allocations à partir de 6000 € de revenus par couple, c’est se moquer du monde.
Du point de vue principiel les ressources distribuées par la puissance publique sont des biens communs auxquels tous normalement accèdent en vertu du principe d’égalité. Riches et pauvres empruntent gratuitement les mêmes routes, se promènent dans les mêmes jardins publics, bénéficient également de l’accès gratuits aux musées, etc.. L’éducation nationale dépense en moyenne 7720€ par an et par élève scolarisé à l’école laïque, gratuite et obligatoire ! Voilà une dépense nettement plus importante que les allocations familiales. Pour deux enfants scolarisés, on peut mettre en balance les 1420€ d’allocations et les 15400€ de coût éducatif à la charge de la collectivité. Si la « justice sociale » à la sauce « socialiste » devait s’appliquer, il faudrait rendre l’école payante au-dessus d’un certain revenu des parents. Une idée qui, tout comme la modulation des allocations familiales, avait déjà été envisagées par la droite et notamment par ses « libéraux » dans le genre Madelin. Une idée similaire idée a également été avancée pour les soins. M. Minc trouvait que la Sécurité Sociale n’aurait pas du payer pour la prise en charge de la maladie de son vieux père... Bref on devrait soigner gratuitement les indigents et faire payer tous les autres.
Dans toutes ces propositions qui viennent d’entrer dans notre système législatif par le vote des « socialistes » (sic), il n’y a pas un atome de justice sociale, pas une once de principe égalitariste. Mais bien le début de déconstruction du système social qui garantit la cohésion nationale. Si les plus aisés payent (et à 6000€ par mois pour deux salariés on ne fait pourtant pas encore partie des riches !) sans rien recevoir en retour, ils seront tentés nécessairement de faire sécession. S’il faut payer pour envoyer ses enfants à l’école, on fera des écoles payantes pour les riches – des écoles où du reste on épargnera aux enfants les expérimentations douteuses des bureaucrates du pédagogisme – et les pauvres s’entasseront dans des écoles de pauvres. La société de classes se transformera en société de castes.
La solidarité nationale n’a rien à voir avec la charité réduite à l’aumône. Les plus aisés ne peuvent consentir à l’impôt que s’ils participent eux aussi de la distribution des biens communs. Les socialistes « pro-business » n’ont donc absolument pas pris une mesure de justice sociale mais au contraire une mesure qui ruine l’idée même de justice sociale. Qu’ils aient épargné les grosses fortunes, les nababs du sport ou les collectionneurs d’art pour s’en prendre aux familles et à ce qu’on appelle les classes moyennes, c’est un symbole fort. Auraient-ils voulu faire un cadeau à la droite et Madame Le Pen, ils ne s’y seraient pas pris autrement. Ils paieront le prix fort lors des prochaines élections et ce ne sera que justice.
Denis COLLIN – 17 octobre 2014
La logique de déconstruction sociale inscrite dans la modulation des allocations familiales -comme l'indiquent Bernard Germain et Denis Collin- a déja été expérimentée. Les socialistes français ne pourront jouer les surpris demain lorsque les conséquences de leurs décisions aboutiront à une suppression pure et simple d'acquis sociaux qui sont le produits de luttes acharnées des générations antèrieures. Je le rappelle sur notre site comme dans mon dernier livre "l'Imposteur" consacré à François Hollande (voir à l'adresse suivante le papier "faiblesse et persévérance du ps au pouvoir": http://la-sociale.viabloga.com/news/faiblesse-et-perseverance-du-ps-au-pouvoir). En Grande Bretagne ou aux USA, il a suffi d'exclure de certaines prestations les riches au prétexte qu'ils n'en n'avaient pas besoin pour qu'ils expliquent assez vite qu'ils ne voyaient aucun intérêt à cotiser pour des allocations dont ils étaient exclus. Dans cette logique, ce sont demain l'école et surtout la santé qui seront directement visés. Imaginons une famille dont un membre est frappé par un cancer. Vu les montants aujourd'hui pris en charge par la solidarité via la sécurité sociale, si demain cela devait être reporté sur les familles, seuls les trés trés trés riches pourront -et cela n'est même pas certain- s'en sortir.
La décision que viennent de prendre les socialistes au nom d'un prétendu égalitarisme s'inscrit dans la liquidation de couches trés importantes, le vieux rêve du capital qui ne conçoit l'individu que pour ce que sa force de travail rapporte. Pour le reste, place aux puissants et mort aux faibles! Il existe une cohérence à tout cela. La défense du capital dans la période de crise que nous connaissons ne mérite aucune hésitation, aucun oubli. Et nul profit ne doit être ignoré. Le gouvernement français, représentant direct de la Troïka en France, s'inscrit non seulement dans le Thatchérisme et le reaganisme des années 80 mais plus directement dans la politique de l'union européenne qui a mis à genoux le peuple grec dernièrement, ramenant le coeur de la civilisation des décennies en arrière. Je me suis rendu dans ce pays pour mon documentaire "dans le secret du crime financier". J'ai pu constater l'inimaginable. Le Pasok a inauguré la politique qui conduit au désastre social. Le Pasok a payé en disparaissant comme paiera sans doute le parti socialiste français. La Grèce est à méditer. Alors qu'il y a quelques années les dispensaires étaient souvent pratiqués dans les alentours d'Athènes par les marins étrangers faisant escale, aujourd'hui ce sont les grecs qui les peuples. Secourus par médecin du monde, comme dans les pays sous développés. J'ai vu des hôpitaux dans lesquels le "grec moyen" n'a pas accès, sinon dans des services sans aucun moyen ni matèriel. J'ai vu des compresses utilisées une fois réutilisées par la force des choses. J'ai vu des chômeurs sans aucune indemnité, des familles fouillant dans les poubelles pour se nourrir... J'ai vu une commune de 120 000 habitants déposer le bilan, asphyxiée par les mesures d'austérité imposées par l'UE. J'ai vu aussi de riches armateurs m'expliquant "qu'avec la misère il faut savoir sourire...".
La route est tracée! C'est celle que le gouvernement Hollande Valls a décidé d'emprunter... Mais en France comme en Grèce existe la mémoire. Pour ne pas oublier, il est bon de témoigner...
Jacques Cotta