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Le Parti Socialiste dans l’étau

Par Denis Collin • Actualités • Jeudi 16/06/2005 • 0 commentaires  • Lu 1920 fois • Version imprimable


Celui qui n’est pas pour la rupture avec le capitalisme, celui-là ne peut pas être socialiste

François Mitterrand. Congrès d’Épinay, 1971

Au lendemain du référendum sur le TCE, le Parti Socialiste est dans la plus mauvaise des situations qu’il ait connue depuis la guerre d’Algérie et la décomposition de la SFIO. Sous la conduite « éclairée » des sociaux libéraux, Hollande et Strauss-Kahn, inspirés eux-mêmes par des spadassins ex-trotskystes spécialistes en magouilles et coups bas (Dray, ex-LCR et Cambadellis, ex-OCI) ce parti s’est de lui-même jeté dans un mur alors même que les élections de 2004 lui avaient à nouveau ouvert les portes du pouvoir.

Dans le piège chiraquien

Les préoccupations démocratiques ne sont pas ce qui a motivé Chirac pour la ratification du TCE par la voie référendaire. Il s’agissait pour lui de tendre un piège au Parti Socialiste. Escomptant que les Hollande et DSK allaient le suivre, il s’est débrouillé pour renouveler le coup de 21 avril : obtenir le soutien du PS dans une de ses tentatives plébiscitaires. Si le oui l’avait emporté, Chirac aurait été le grand vainqueur et la défaite du NON emporte le PS dans la débâcle. Jospin, qui se méfie du suffrage populaire depuis sa mésaventure du 21 avril 2002 (une mésaventure provoquée uniquement par sa suffisance et sa bêtise) a critiqué et la revendication d’un référendum qu’avait reprise la direction du PS et le référendum interne au parti : la démocratie serait tellement plus simple s’il n’y avait les électeurs !

Au-delà de la manœuvre, il faut comprendre comment, le contingent réalise le nécessaire : comme l’a répété Marc Dolez, la question du TCE est, pour le PS, une question identitaire. En guise de commémoration du centenaire de l’unité socialiste, les dirigeants du PS ont achevé leur mutation, c’est-à-dire la rupture complète avec un héritage séculaire, renouvelé en 1971 au congrès d’Épinay. Le congrès convoqué pour novembre 2005 a cet objectif : obtenir un ralliement clair du parti à « l’économie de marché », c’est-à-dire à la « concurrence libre et non faussée ». Les interventions, ici et là, de certains « éclaireurs » comme Olivier Duhamel, contre le retour du « communisme » (sic), l’exhumation de l’arsenal « guerre froide » extrait des textes de la SFIO des années 50, tout cela, apparemment absurde, a un sens bien précis : en finir avec le socialisme.

La quantité se transforme en qualité

Évidemment, rien de tout cela n’est franchement nouveau. Dans L’illusion plurielle (par Denis Collin et Jacques Cotta, éditions JC Lattès, 2001), nous écrivions : « (...) le PS n’est plus un parti pour la gestion loyale du capitalisme en temps de crise, comme ce fut le cas en 1936. Il est une solution sérieuse et durable à l’ambition libérale, au même titre que les partis de la droite classique, avec l’avantage décisif d’être moins lié qu’eux aux traditions pesantes pour la « nouvelle économie ». Ainsi, si cette transformation s’est opérée dans la douleur, la déception et les dégoûts des uns, l’enrichissement insolent et la corruption des autres, le ménage, en gros, est fait, les défauts inévitables des « nouveaux riches » s’estompant avec l’habitude, et le rigorisme protestant de Lionel Jospin ayant été le meilleur instrument de cette normalisation.

Ainsi, du point de vue de sa composition sociale, de son appareil, des liens qu’il entretient avec la société civile, le PS est-il désormais ce parti du « bloc central », ayant réalisé le rêve le plus cher à Valéry Giscard d’Estaing.

Le PS a évolué par petites secousses, en enregistrant tel tournant gouvernemental, en rouspétant, en avançant mezzo voce telle innovation théorique, sans déchirant congrès réformateur, sans spectaculaire changement de sigle. Et pourtant il a subi, en profondeur, une sorte de transsubstantiation qui a ébranlé tout le paysage politique français. La seule chose qui le sépare maintenant du centre droit, de la démocratie chrétienne en particulier, tient peut-être à l’identité religieuse. En dépit du poids des « cathos de gauche », le PS reste largement un parti laïque. Mais l’affaiblissement du contrôle politique de l’Église, la désagrégation de la démocratie chrétienne européenne - crise du CDU, explosion de la DC italienne - et la montée d’une nouvelle droite réactionnaire - Haider en Autriche, « centristes » suisses - laissent augurer de nouveaux reclasse¬ments. » (pp. 128/129)

Dans la vie politique, les choses se passent souvent comme dans la théorie darwinienne de l’évolution : l’accumulation de petites mutations aboutit à la création d’une nouvelle espèce. Progressivement, l’appareil « social-démocrate » est devenu le représentant des classes moyennes supérieures, de la moyenne bourgeoisie intellectuelle friquée (l’exemple parisien est hautement symbolique). Les dirigeants « socialistes » sont intégrés aux organismes du grand capital (prototype : Lamy). Ils n’ont plus aucun lien, ni de près de ni de loin avec la tradition socialiste et avec un peuple qu’ils ne prétendent même plus représenter - puisque ce peuple n’est que « xénophobes frileux » et « néo-communistes »...

Nouvelles alliances

Nous en sommes là. C’est-à-dire au point où les choix retardés, masqués dans la période antérieure, vont devoir être faits. Politiquement, plus rien ne sépare le bloc Hollande-DSK de l’UDF de Bayrou. L’exclusion dramatisée de Laurent Fabius de la direction du parti est l’exclusion du seul homme qui aurait pu faire le lien entre les diverses composantes de la gauche et éventuellement recoller les morceaux entre les partisans du non et les partisans du oui. La tonalité des interventions des hollandistes et DSKistes, sans parler de ce qui se fait au niveau des appareils des fédérations, indique une véritable volonté de rupture. La « gauche plurielle » est enterrée. Comme Bayrou a refusé de voter la confiance au gouvernement Villepin, le calcul de Hollande et DSK est le suivant : une alliance centre-gauche (UDF/PS) pourrait constituer une alternative crédible à la droite déportée nettement vers le radicalisme conservateur représenté par Sarkozy.

Le problème, c’est que Bayrou n’a aucune envie de laisser sa place à DSK. Ce ne sont pas des divergences idéologiques - entre Mme Royale et Mme Boutin, on ne sait pas laquelle des deux est la plus à droite - mais des choix stratégiques et des querelles de boutiques sur le marché peu libre et passablement faussé de l’électoralisme. Et, pour assurer sa place au deuxième tour des élections, le candidat de la direction du PS doit impérativement se présenter comme le candidat de la gauche et notamment limiter le poids des candidatures communiste, gauchistes, républicaines qui reconduiraient, sous une autre forme, le scénario 2002.

L’enjeu du congrès

Pris entre sa nouvelle stratégie - qui doit encore être déguisée, de plus en plus difficilement - et les contraintes du scrutin présidentiel - les sommets du PS semblent dans une impasse. Pour sortir de cet étau, il faut casser le « bloc des non » et restaurer l’unité du parti derrière ses chefs bien aimés. C’est l’objectif du congrès de novembre : refonder une majorité stable qui pourra se prévaloir de la légitimité du PS pour préparer l’étape suivante. Outre les hollandistes et les partisans de DSK, cette majorité pourrait agglomérer divers morceaux des autres courants (par exemples les partisans d’Emmanuelli qui ont refusé de rompre la discipline) et d’ores et déjà le tandem Montebourg-Peillon a fait ses offres de service.

Ce congrès est évidemment bouclé d’avance : les adhésions sont bloquées et il n’est plus question d’y faire participer les sympathisants. Comme pour le référendum interne de décembre, on fera voter les quasi mourants. Les employés des mairies socialistes seront en service commandé et la nouvelle ligne sera adoptée. Les électeurs socialistes qui, dans leur grande majorité, ont voté « non » seront renvoyés chez eux et on leur demandera de choisir leur camp entre Hollande et Sarkozy ou on les grondera : ne faites le jeu de Le Pen, cette increvable baudruche de la politique française qui sert d’alibi à tous les mauvais coups des politiciens sans principes.

À la croisée des chemins

La gauche du PS, qui s’est courageusement battue pour le Non et a apporté une contribution décisive à la victoire, est maintenant à la croisée des chemins. Soit elle accepte le cadre du congrès et alors elle rentre dans le rang, vendant son droit d’aînesse gagné devant le peuple, pour le plat de lentilles que lui laisseront - peut-être ! - les hollandistes. Soit elle fait la seule chose qu’il y a à faire : dénoncer la manœuvre hollandiste et strauss-kahnienne, refuser la stratégie du bunker et commencer à rassembler les socialistes, c’est-à-dire les millions d’électeurs qui ont dit non, pas les quelques milliers de « happy few » qui peuplent les sections du PS. De quel droit cette petite oligarchie, composée de notables, de professions libérales et de hauts fonctionnaires dans sa grande majorité pourrait-elle continuer à parler au nom de la gauche ?

Pour Laurent Fabius, c’est l’heure des choix. Sa décision d’appeler à voter NON, de continuer de le dire et de le faire savoir - même discrètement ! - jusqu’au 29 mai, a été un évènement politique important. La haine dont il est la victime de la part des oui-ouistes a une signification claire : il est le traître et l’homme à abattre, précisément parce qu’il pourrait par son expérience et sa stature devenir l’incarnation d’une alternative à gauche. De ce point de vue, les minauderies des puristes de la gauche de gauche sont hors de saison. Fabius a été certes un des porte-parole du tournant social-libéral, mais dès lors qu’il esquisse un pas vers la rupture avec l’ordre existant, il doit être soutenu et accueilli sans arrière-pensées. Comme l’aurait dit Trotsky, « le prolétariat n’interdit à personne de combattre à ses côtés » et il ajoutait : « à condition de combattre réellement ». C’est la seule question : Fabius est-il prêt à prendre la tête de la rébellion ?

Jean-Luc Mélenchon et son groupe PRS proposent la constitution d’un vaste rassemblement de toute la gauche sans exclusive. C’est une bonne idée. Mais comme il y a peu de chance que le prochain congrès du PS suive Mélenchon, on pourrait d’ores et déjà se demander comment faire de ce rassemblement une réalité effective. Alors que le fer est encore chaud, ne serait-il pas judicieux de réunir dans toutes les localités des comités unitaires, PC, LCR, non socialistes, PRS, chevènementistes, ATTAC, fondation Copernic et tout ce qu’on veut encore, qui pourrait mettre sur chantier deux tâches :
- rédiger des nouveaux cahiers de doléances : inutile de les laisser les crânes d’œuf, même de gauche, inventer des programmes géniaux. Il faut donner la parole à notre peuple et notamment à ces 7 ou 8 millions de pauvres officiellement recensés, à ces millions de jeunes qui vont de stage et en contrat précaire avec de longues phases de chômage.
- faire converger toutes ces initiatives dans un grand congrès ou un grand rassemblement pour une alternative sociale et républicaine au printemps 2006.

Le 16 juin 05 - Denis COLLIN

La démarche pour des "etats généraux de la gauche" avec cahiers de doléance et livrets de proposition correspond trés exactement aux attentes des salariés, ouvriers, jeunes, retraités qui par millions ont dit NON le 29 mai. pour la première fois depuis longtemps, des centaines de milliers d’électeurs de gauche ont retrouvé le chemin des bureaux de vote pour prendre la parole et se prononcer, pour préserver la souveraineté populaire, c’est à dire la possibilité de débattre et décider de ses propres affaires. Reconstruire un large parti républicain, socialiste et social nécessite de respecter cette volonté. Nul doute que formellement, tout responsable de gauche qui a mené la bataille du NON sera d’accord avec ce qui n’est là qu’une position de principe. Pour être pris au sérieux, il faut sans tarder en appeler à la dynamique qui a permis le 29 mai. En un mot, le penser, c’est bien, l’affirmer publiquement, c’est mieux ! Faire sans tarder de cette bataille une proposition nationale, publique, déterminée aux vainqueurs du 29 mai est sans doute la seule solution pour entraîner et se donner les moyens de combattre, de gagner.


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