L’élection du maire de Téhéran, Ahmadinejad, un pasdaran lié aux services secrets et aux plus fanatiques des mollahs, à la présidence de la République iranienne soulève de nombreuses questions et remet une fois de plus sur le tapis la question de l’appréciation politique de l’islamisme radical, entre ceux qui y voient un nouveau fascisme et ceux qui en font une des formes de l’anti-impérialisme de notre époque.
Pour la presse occidentale, l’élection de Ahmadinejad est une surprise. Alors que les sondages lui donnaient à peine 10%, il peut se maintenir au second tour avec 19% des suffrages. Et alors que les projections donnaient Rafsandjani largement vainqueur du second tour, c’est Ahmadinejad qui est élu facilement. Essayons d’en comprendre les raisons.
Il faut d’abord éviter de donner de trop d’importance aux étiquettes collées par la presse occidentale. Rafsandjani n’est pas moins « conservateur » que Ahmadinejad. La différence entre ces deux « conservateurs » réside seulement dans leur degré de complaisance affichée à l’égard de l’Occident en général et des États-Unis en particulier.
En second lieu, ne voyons pas dans ces élections quelque chose qui s’apparenterait facilement aux élections dans une république normale. L’Iran n’est pas une République, mais une « république islamique », c’est-à-dire une apparence de République qui sert de couverture au pouvoir du clergé chiite et du « gardien de la révolution », Khamenei. Les divers groupes armés, créés lors de la révolution iranienne détiennent un pouvoir important ; ils l’ont montré lors de la répression des mouvements étudiants et la mise en échec des tentatives de démocratisation du régime. Les « gardiens de la révolution » et les milices ont semble-t-il joué un rôle non négligeable pour assurer la victoire de Ahmadinejad, notamment à Téhéran où la fraude n’a pas été anecdotique.
Ahmadinejad a bénéficié de deux facteurs : 1° le développement de la corruption dont Rafsandjani est un bon exemple et 2° l’absence d’un parti politique d’opposition capable d’unifier les revendications démocratiques et sociales.
Dans un pays où le taux de chômage est à 15% officiellement (en réalité, on serait plus près de 30%), les « déshérités » étaient condamnés à voter pour celui qui paraissait le plus dur adversaire du régime. Rappelons tout de même que la soi-disant « révolution islamique », c’est-à-dire la confiscation de la révolution populaire par la bourgeoisie ralliée au clergé chiite, a commencé par persécuter tout ce qui pouvait de près ou de loin ressembler à un parti de gauche, partisan du socialisme. Les premiers faits d’armes des pasdarans, dès le début des années 80, ont consisté à briser les grèves, notamment les grèves des travailleurs du pétrole. Cette République islamique a tous les traits d’un régime fascisant. Dans sa « pureté islamique », celle que veut restaurer Ahmadinejad, le régime ne s’embarrassait guère de précaution : les militants ouvriers étaient arrêtés, torturés et exécutés. Au cours de la dernière année, notamment à la suite de la répression des manifestations du premier mai, le gouvernement avait dû tenir compte de campagnes de solidarité internationales en faveur des syndicalistes arrêtés et donc certains ont été libérés ou ont eu droit à un procès... Alors que la caste dirigeante est tentée par l’intégration dans le grand jeu de la « mondialisation », Ahmadinejad veut la ramener à la pureté de ses origines, y compris en usant d’une rhétorique nationaliste sur le contrôle du pétrole ou le droit de développer le nucléaire civil et militaire. Mais pour les ouvriers, cette élection est tout sauf une bonne nouvelle. Ahmadinejad a bénéficié de la pusillanimité de l’opposition démocratique. Alors que la jeunesse, notamment étudiante aspire à sortir du carcan étouffant de l’islamisme, les quelques partis démocratiques sont en exil ; les hommes politiques issus du sérail comme Khatami savent exactement jusqu’où il ne faut pas aller trop loin et ils ont épuisé les luttes étudiantes dans les compromis avec le régime. Des tensions sont à prévoir entre les États-unis et l’Iran d’Ahmadinejad. Déjà classé sur l’axe du mal, le régime iranien fera ce qu’il faut pour entretenir par des gesticulations un type d’affrontement qui, en dernier ressort, fait très exactement le jeu de l’administration Bush qui sait parfaitement se créer des Saddam Hussein quand elle en a besoin.
Dans cette situation, nous devons prendre garde à l’impasse dans laquelle conduit, comme toujours, « l’anti-impérialisme » traditionnel d’une partie de la gauche occidentale qui nous propose de « choisir notre camp » et de nous ranger aux côtés des mollahs « anti-impérialistes » contre « la démocratie made in USA ». Évidemment, vue d’ici, la tyrannie des pasdarans paraît n’être qu’un à-côté négligeable, mais vu d’Iran c’est assez différent ! Il faut être clair : nous devons défendre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et donc refuser toute agression US ou autre contre l’Iran. Mais il faut aussi refuser toute solidarité avec ce régime et rappeler inlassablement que la démocratie n’est pas un luxe pour pays riches mais la condition fondamentale de l’indépendance nationale et du développement économique et social. [1]
[1] Sur ce dernier point, il faut inlassablement renvoyer aux travaux d’Amartaya Sen