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Crise de régime : en finir avec la Ve République

Par Denis Collin • Actualités • Mercredi 29/06/2005 • 0 commentaires  • Lu 1543 fois • Version imprimable


L’extravagant changement ministériel auquel vient de procéder Jacques Chirac révèle la profondeur de la crise du régime institué voilà bientôt un demi-siècle par le général de Gaulle. L’attelage improbable d’un petit démagogue élu des beaux quartiers et d’un haut fonctionnaire qui n’a jamais rencontré un électeur de sa vie ne peut évidemment résoudre aucun des problèmes de notre pays. Conçu pour sauvegarder les intérêts personnels de la caste dirigeante, cet ultime replâtrage ne peut que prolonger la crise politique et sociale à laquelle nous sommes confrontés.

Rappelons les données du problème.

La Constitution voulue par De Gaulle - dès le discours de Bayeux (1946)et rendue possible en 1958 par les menaces de coup d’Etat militaire en pleine guerre d’Algérie - est, dans son inspiration, hostile au républicanisme : elle institue un pouvoir exorbitant pour le Président de la République, duquel procèdent tous les autres pouvoirs. Cependant, les circonstances du moment — et notamment la nécessité dans laquelle se trouvait De Gaulle d’obtenir le soutien des vieux partis parlementaires comme la SFIO (Guy Mollet participa à la rédaction de la constitution)— obligèrent De Gaulle à composer. Ainsi la Constitution garde une façade parlementaire : dans des conditions limitées (art.49) le gouvernement est responsable devant le Parlement. Le système pour fonctionner suppose donc l’accord du président et du Parlement, ce qu’on a appelé "le fait majoritaire", c’est-à-dire l’existence d’un "parti godillot" ombre portée du président, chargé de peupler une Assemblée Nationale réduite au rôle de chambre d’enregistrement.
- le système électoral doit être fait pour favoriser ce parti majoritaire et donc écraser la réelle représentation politique du pays. L’Assemblée élue en 2002 pousse à l’extrême cette tendance.
- Si le Président et l’Assemblée sont politiquement opposés, l’absence d’une claire séparation des pouvoirs rend très difficile le gouvernement du pays et facilite toutes les manoeuvres de diversion.

Mitterrand avait qualifié le régime gaulliste de régime du "coup d’Etat permanent". Dans l’esprit de De Gaulle, il n’en allait sans doute pas ainsi. Dans une fameuse conférence de presse, il affirmait que ce n’était pas son âge qu’il allait "commencer une carrière de dictateur." Pour De Gaulle, en effet, la légimité du pouvoir du Président restait démocratique, en ce qu’il était censé incarner la nation toute entière. Chaque élection était ainsi une vérification du lien maintenu (ou non) entre le Président et les citoyens. Le chantage de De Gaulle avant chaque consultation ("moi ou le chaos") procédait de cette conception. Désavoué au référendum de 1969, De Gaulle a immédiatement démissionné.

Dans sa période de décomposition, le régime de la Ve République conserve tous les traits autoritaires et anti-républicains de ses origines. Mais à la place de l’ancien chef de la France libre, on a toute une camarilla d’arrivistes et d’affaristes pour qui l’occupation du pouvoir est une source de revenus juteuse quand ce n’est pas tout simplement un moyen d’échapper à la justice.

Réélu par hasard en 2002, à la suite d’un carambolage électoral où son adversaire s’était pris les pieds dans le tapis, l’actuel locataire de l’Elysée a été confronté à des mouvements sociaux considérables au printemps 2003. Il a été désavoué massivement lors des élections cantonales, régionales et européennes de 2004. Selon la logique même des institutions, il aurait dû retourner devant les électeurs pour poser la question de confiance. Mais il n’en a rien été. Le clan Chirac (la “chiraquie”, disent les journalistes) s’accroche becs et ongles à la place. L’autre clan, le clan Sarkozy manoeuvre et, comme dans "le Parrain" (l’excellente trilogie de Coppola) les chefs de famille passent des accords temporaires et se répartissent les territoires à exploiter avec de reprendre la guerre.

Le spectacle donné par le nouveau gouvernement, au lendemain de l’échec cuisant subi par toute la classe dominante, devrait scandaliser tous les démocrates. Non seulement aucun compte n’est tenu du désaveu populaire, mais encore on confie au futur candidat de la droite et à ses lieutenants le ministère de l’Intérieur qui est précisément le ministère chargé de préparer les élections : on n’est jamais si bien servi que par soi-même.

La Ve République a été souvent qualifiée de bonapartiste. Comme le régime de Napoléon III, elle suppose que l’exécutif s’élève au-dessus de la société, s’autonomise par rapport à la représentation politique. Il a besoin de s’appuyer non pas sur des partis classiques, mais sur une véritable "société du Dix-Décembre". L’UMP, rassemblement de bric et de broc ne peut accomplir, en l’état, cette fonction. Sarkozy s’est lancé dans une opération de transformation de ce parti en vue d’en faire un machine à conquérir et à garder le pouvoir ... pour Sarkozy, cela va de soi ! Les déclarations invraisemblables contre les juges (à punir s’ils n’obéissent aux injonctions du Ministère de l’Intérieur) ou les cités (à "nettoyer au Karcher") ne sont pas des dérapages. Sarkozy a besoin de tout autre chose que d’un parti parlementaire. Il lui faut liquider les mous, ceux qui seraient retenus par les scrupules "démocratiques", notamment concernant la séparation des pouvoirs. Il lui faut également détruire le clan Chirac. Sarkozy se vante dans les interviews à la télévision de faire pression de l’extérieur sur le gouvernement. Une large majorité de l’UMP lui est d’ores et déjà acquise qui voit en lui l’homme idéal pour séduire l’électorat lepéniste. Ceux qui resteront pendant 21 mois fidèles à ce nouvel "homme providentiel" constitueront une bonne garde prétorienne en cas de succès aux présidentielles.

Le problème, c’est que la stratégie de Sarkozy est risquée. En transformant le président de la république en fantôche, c’est l’institution clé de la Ve République que Sarkozy piétine, alors qu’il réclame pour lui-même la plus haute charge. Rien donc n’est encore joué. Sarkozy joue à l’homme fort, mais il apparaît comme un aventurier et il peut fort bien apprendre à ses dépens que la roche tarpéïenne est proche du Capitole.

De son côté la direction du PS a fait ce qu’elle a pu pour consolider les institutions branlantes de la Ve République. L’inversion du calendrier électoral voulue par Jospin — et qui est une des causes de sa défaite — avait pour but d’éviter les situations de cohabitation en faisant de l’élection des députés le simple prolongement de celle du Président. On renforçait ainsi symboliquement le caractère croupion du parlement sous la Ve République et on essayait de faire un pas de plus vers l’abolition de toute séparation des pouvoirs. Jospin savait parfaitement ce qu’il faisait et pensait en profiter, c’est-à-dire être le nouveau Bonaparte de gauche. Il avait tout prévu sauf la défection massive de l’électorat socialiste traditionnel.

Quand Villepin décide de gouverner par ordonnances, les dirigeants du PS font mine de s’indigner. C’est pourtant une des dispositions majeures de la Constitution, une de celles qui expriment le plus clairement la nature du régime et c’est aussi une disposition qu’ils n’ont jamais pensé sérieusement à abroger — en dépit de quelques vagues promesses — pour la simple raison qu’ils en également usé et abusé.

Le refus de Chirac de tirer les conséquences du désaveu populaire marque une nouvelle étape de la décomposition de la Ve République. Si l’on n’y met pas bon ordre, l’évolution envisageable conduit au chaos ou/et à la mise en place d’un nouveau régime, autoritaire et policier, un régime libéral sur le plan économique mais où toutes les libertés fondamentales seront placées sous contrôle de l’exécutif.

De cette analyse, il découle quelques conclusions :

- la gauche, si elle veut encore exister, doit mettre à son agenda une profonde réforme des institutions, axée 1° sur la restauration des prérogatives du Parlement et 2° sur la séparation des pouvoirs.

- ceux qui ont fait campagne avec Sarkozy pour le "oui" et qui défendent des options économiques et sociales proches ("la concurrence libre et non faussée") ne sont évidemment pas les mieux placés pour mener la bataille qui vient pour la défense des libertés républicaines.

- Un des axes de la bataille de Sarkozy est l’alliance avec les cléricaux de tous poils, chrétiens autant que musulmans. C’est dire l’enjeu de la bataille laïque dont quelques épisodes dévraient se jouer à l’automne prochain à l’occasion de la commémoration du centenaire de la loi de 1905.


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