Ce texte a été lu, le 30 Juin, en réunion de la section de Prades (Pyrénées Orientales) du PS.
La coupure entre notre parti et son électorat n’est jamais apparue aussi lourde de menaces.
En effet 58% de l’électorat socialiste a voté Non au référendum. L’ensemble des classes moyennes (public et privé) ont basculé dans le Non. Si l’on veut affiner l’analyse, on peut se reporter aux sondages sortis des urnes de loin les plus fiables. Que l’on prenne en considération les salaires ou le statut social, la réponse est la même, la France d’en bas a voté massivement en faveur du NON (voir note jointe en fin d’article). D’autres indications peuvent être tirées de la spatialisation du vote, en observant dans les villes la structuration du vote, selon qu’il s’agisse du centre ville, de l’immédiate périphérie ou des banlieues suburbaines. A la coupure centre ville-périphérie, peut s’ajouter celle entre villes et campagne. L’ensemble dessine la carte d’une France fortement clivée partageant une France qui souffre et celle qui s’en tire bien (environ 25% de la population).
Un fossé se creuse désormais entre l’ensemble des classes populaires, classes moyennes comprises, et les classes supérieures.
Le vote référendaire a donné à ce malaise l’occasion de se manifester puissamment. Le premier grand ébranlement constitué par le référendum de Maastricht se trouve ainsi confirmé. La grande nouveauté du 29 Mai par rapport à Maastricht réside dans la jonction des deux composantes des classes moyennes, privé public. Elle doit retenir toute notre attention.
Le sentiment de précarité, de déclassement, les menaces de délocalisations, de dumping fiscal et salarial, le sentiment qu’en haut on se contre fout des souffrances des petits soldats de la guerre économique, que cette guerre n’est rien d’autre que la concurrence généralisée des peuples au profit des détenteurs du capital, tout cela a créé un climat propice au rejet massif du TECE. Mais à cela s’est ajouté un élément que les « plus hautes autorités » n’avaient pas prévues : l’organisation d’un débat sur le projet de traité constitutionnel comme jamais on ne l’avait vu dans ce pays et ailleurs. Du plus informel au plus organisé, ce débat infirme massivement la thèse de F.Hollande, en particulier, et de bien d’autres parmi les ouiouistes, que le NON n’est qu’une addition de peurs, expression d’un repli frileux et xénophobe. En d’autres termes d’une évolution vers les tenants d’une droite dure, voire même vers l’extrême droite. Sans nier l’existence d’un NON de droite, la réalité sociologique du NON le place majoritairement à gauche.
L’irruption de l’appel des 200 dans ce panorama constitue la deuxième donnée qui confirme le caractère conscient du vote. Avec ses quelques 1000 comités, constitués dans le feu de la polémique et à l’issue de plusieurs milliers de réunions réunissant les composantes les plus diverses de la gauche : politique, associative, sociétale, syndicale, environnementale etc....l’appel a su concrétiser une expression hautement politique du refus du TECE. Il s’est produit un phénomène, à cette occasion, dont on ne peut pas encore mesurer la portée politique. Des milliers de citoyens de gauche, de tous les horizons de la gauche, mais aussi d’anciens militants déçus du PS, du PC, des verts, de l’action politique en général, mais aussi de simples citoyens découvrant avec effroi la gravité des menaces pesant sur leur avenir et cherchant instinctivement un cadre pour en parler, se sont rassemblés, dans leurs diversités pour débattre et combattre le projet de traité . Tout ce « petit monde » s’est organisé, sans tutelle ni hégémonie, sans structure pesante, dans le cadre de débats où la parole est libre, où l’information circule. Ils ont structuré un NON de gauche, social, européen et repoussé un projet qui verrouillait l’Europe autour d’un texte institutionnalisant la « post démocratie », « le saut technologique de gouvernance » selon le bon mot de P.Lamy, au profit d’une Europe sans rivages totalement ouverte à la mondialisation sous contrôle financier et au profit des multinationales. Il ne s’agit pas d’un NON d’humeur contre le gouvernement, mais d’un NON conscient et porteur d’alternatives européennes. Il constitue le noyau dur de la résistance aux politiques néolibérales et aux institutions chargées d’imposer aux peuples le fardeau qu’elles impliquent. Ce NON a été la prise de conscience de ce qui a été caché aux citoyens pendant 50 ans, une Europe se construisant dans le dos des peuples, avec le marché pour idole et la négociation secrète comme liturgie.
De ce point de vue, le 29 Mai constitue un événement fondateur. Ce jour là se sont brisés dans un grand fracas 50 ans de mensonges, de non dits, de faux semblants. A cette occasion se sont exprimées au grand jour les souffrances endurées, toujours par les mêmes, au nom de la grande idée de l’Europe pour laquelle on se doit de souffrir un peu. Au nom de l’avenir et de lendemains qui chantent, mais qui ne se concrétisent jamais. Ces souffrances et ces rancoeurs ont crevé comme une grosse bulle et l’onde de choc ébranle tout le système du mensonge. L’Europe n’est pas un démultiplicateur de souveraineté, mais un destructeur des souverainetés chèrement conquises, au profit des « marchés » vocable qui signifie concrètement « les marchands ». Elle n’est pas l’instance protectrice élargie, mais le lieu de toutes les concurrences et de toutes les traumatismes qui en découlent. C’est à cela que plus ou moins consciemment les peuples Français et Néerlandais ont dit NON ! Personne ne peut croire aujourd’hui que si la consultation des peuples avait été poursuivie, la réponse des deux premiers référendums eut été inversée. La réaction des « élites » qui nous gouvernent a donc été : courage fuyons. On arrête tout, pour éviter le naufrage complet. Mais un peu à la manière de « pendant les travaux la vente continue », la présidence britannique annonce la couleur, pas de pause dans le calendrier de l’agenda de Lisbonne : il faut accélérer l’adaptation de l’Union au monde tel qu’il est ! Les subventions publiques doivent diminuer ; il faut achever le grand marché continental de l’énergie, constituer un marché financier libre transatlantique et bien sur accélérer la réforme du marché du travail. Sans oublier la directive Bolkenstein et celle concernant la durée du travail, dont Blair est un fervent partisan. Bien du plaisir en perspective. L’Europe de la résistance a du pain sur la planche.
Dans ce contexte, l’éviction de Laurent Fabius du CN, quelque soit l’opinion que l’on puisse avoir de l’homme politique, n’est que le mauvais geste d’humeur d’un mauvais perdant. Il prouve malheureusement que la direction de notre parti n’a pas compris ce qui s’est passé dans le pays. Cette mesure de rétorsion faite à chaud, une semaine après le référendum, porte la marque du désarroi et ne laisse rien augurer de bon pour la suite. Elle ne ferme nullement le procès qu’une partie essentielle de notre électorat ne manquera pas de nous faire, en 2007, sur la cohérence de nos engagements électoraux avec la campagne de la direction officielle de notre parti en faveur du OUI. Il ne manquera pas de rappeler les rapprochements honteux et les arguments scandaleux qui ont été employés à cette occasion. L’idée, selon laquelle une politique de gauche serait incompatible avec le OUI, fait son chemin dans la tête de centaines de milliers de nos concitoyens. Notre parti se trouve désormais en porte à faux vis à vis d’une partie de son électorat. Ne pas oublier 2002, comme on nous y invite, c’est aussi se rappeler que le premier parti ouvrier est celui de l’abstention et non celui de Le Pen. La suite des événements ne manquera pas de rappeler que l’on ne peut impunément se couper de son électorat naturel, sauf à y laisser son identité, sa légitimité et, partant, son existence même.
Notre parti doit donc se ressaisir en affirmant son hostilité aux politiques néolibérales, aux diverses directives qui ont défrayé la chronique, Bolkenstein, celle relative à la durée du travail etc.... Il doit s’engager sur une ligne de défense des services publics en rupture avec les exigences de l’article 122 du TECE. Il doit faire campagne pour la revalorisation des salaires.
Sur le plan institutionnel, il doit se faire le porte parole du vote des citoyens en déclarant caduques la totalité des dispositions contenues dans la troisième partie du TECE. L’ensemble des traités qui ont organisé l’Union jusqu’à ce jour doivent être renégociés. On ne saurait, en effet, se contenter d’un compromis sacrifiant la troisième partie du TECE, mais gardant la première et la deuxième. La première organise la dépossession des peuples de leur souveraineté et la deuxième constituant, au mieux, une satisfaction symbolique, avec, en route, quelques cailloux durs à avaler. Les directives qui organisent la concurrence sauvage des salariés européens doivent être totalement récusées.
Le déficit démocratique des institutions européennes ne peut plus continuer. Machine à déposséder les peuples de leurs souverainetés, l’Europe doit, désormais, se conformer aux principes fondamentaux de la démocratie : séparation des pouvoirs, transparence de tous les processus de prise de décision, un Parlement doté pleinement des pouvoirs de légiférer, de voter les recettes et les dépenses, de sanctionner l’exécutif et d’exercer un véritable contrôle de sa gestion, de ses choix politiques, de sa participation aux négociations internationales. Cela ne peut se faire qu’en dressant une liste précise de ce qui relève de l’Union et interdire à celle ci toute interférence dans les matières ne figurant pas sur la liste. C’est aussi la confusion régnant actuellement entre les attributions de l’Union et celles des Etats membres qui est une des causes du malaise. D’autre part l’Europe doit être fondée sur un socle de principes sociaux interdisant la régression et organisant la convergence des politiques sociales vers le haut. L’Europe doit enfin se doter d’un budget digne de son ambition. Les misérables batailles de chiffonniers qui, sur le budget, ont émaillé le dernier Conseil européen, mettent à nu les véritables ressorts de ce qu’est devenu la construction européenne : une vaste zone de libre échange, où la concurrence est libre et non faussée (celle des peuples). La réponse aux attentes des peuples est donc : toujours plus de marché pour de moins en moins de subventions publiques et de solidarité. Ce n’est pas cette Europe là que nous voulons.
Enfin, je serais tenté de dire surtout, nous ne pouvons exiger la démocratisation des institutions européennes et continuer à gouverner notre pays dans le cadre des institutions de la 5ème République. L’Europe ne peut pas se faire sans les Nations historiques qui la composent. Notre pays n’a jamais eu de débat européen digne de ce nom. Le Parlement n’en délibère jamais publiquement. Il n’a d’ailleurs qu’un pouvoir très limité, un peu à l’image des pouvoirs réels du Parlement européen. Pire, l’Europe a été instrumentée par nos gouvernements successifs pour, en toute discrétion, faire passer la ligne néolibérale en faisant l’économie d’une confrontation avec l’opinion. Le NON sanctionne aussi cela : « l’Europe permet d’éviter la pression des cycles électoraux nationaux » R.Prodi. C’est aussi à cela qu’il faut mettre fin. Il ne peut y avoir d’Europe sans ses Nations démocratiquement impliquées, en France comme ailleurs.
Les socialistes de ce pays ne pourront donc plus faire l’économie d’un débat approfondi sur les changements profonds à apporter aux institutions politiques de notre pays. Le monarchisme républicain qui voit un seul personnage détenir l’essentiel du pouvoir n’est plus compatible avec l’intelligence du peuple Français et avec le projet d’émancipation qui est à la racine historique de notre parti.
Je ne prétends pas avoir traité par ces quelques lignes l’ensemble des problèmes découlant du 29 Mai. Mais j’espère avoir mis en évidence les dangers qu’encourt notre parti si les forces militantes qui ont défendu le NON, et avec lui la pérennité du Parti socialiste, ne trouvent pas les moyens de dépasser les petits calculs qui, pour l’instant, les séparent.
Pour refonder notre parti cette unité s’avère indispensable. C’est à cette tâche que je souhaite me consacrer jusqu’au congrès.
Note concernant la structure du vote NON
Sondages à la sortie des urnes, le premier portant sur 5216 personnes interrogées, le deuxième sur 3355.
Dans le premier, ont voté NON :
71% des travailleurs en intérim---69% des travailleurs en CDD----58% des travailleurs en CDI
Mais aussi :
66% des ménages dont le revenu ne dépasse pas 1500 euros---55% des ménages dont le revenu se situe entre 1500 et 3000 euros---40% des ménages dont le revenu se situe entre 3000 et 4500 euros---26% des ménages dont le revenu est supérieur à 4500 euros.
Dans le deuxième, ont voté NON :
78% des ouvriers—67% des employés---70% des agriculteurs---71% des chomeurs---64% des salariés du public et 56% de ceux du privé.