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Le populisme est-il une maladie honteuse ?

Par Denis Collin • Débat • Dimanche 23/07/2017 • 0 commentaires  • Lu 3135 fois • Version imprimable


L’accusation de « populisme » est devenue un figure obligatoire des « analyses » journalistiques et du « débat » politique. Je mets des guillemets à « analyses » et à « débats » car ces nobles mots ne semblent guère convenir pour caractériser la bouillie idéologique diffusée par la caste. Donc Trump est populiste, comme Kazincsky et Mélenchon, Le Pen et Iglesias, Grillo et Orban, et ainsi de suite. Une terme de si vaste emploi est suspect. Chose curieuse, non seulement les porte-voix stipendiés des classes dominantes n’ont eu de cesse de renvoyer dos-à-dos les « populismes » de droite et de gauche, mais l’extrême-gauche elle-même s’est emparée de la question. Pour Marlière et autres idéologues du multi-culturalisme gauchiste, Mélenchon et la France Insoumise ne sont que d’horribles populistes (nationalistes). Ayant été qualifié par Philippe Marlière, docte professeur de politique à Londres, de « national marxiste réactionnaire », je ne m’étonne pas des noms d’oiseaux dont ces gens affublent la France Insoumise. Mais on retrouve aussi cet anti-populisme et cet anti-mélenchonisme hystérique chez quelques rescapés du trotskysme dont les prétentions théoriques vaniteuses n’égalent que l’impuissance rageuse face aux événements qui déjouent malicieusement toutes leurs prédictions.

Je voudrais ici montrer simplement que le populisme n’est pas une maladie honteuse, mais une attitude politique louable. Dans populisme, il y a évidemment peuple qui se dit en grec « demos » - il y a un autre mot grec pour désigner le peuple, c’est « laos » qui désigne le peuple en tant que masse désorganisée. Quand le « laos » est rassemblé dans « l’ecclesia » il devient précisément « demos ». Ou comme le dirait Rousseau, l’institution politique est justement ce moment où le peuple se fait peuple ! « We, the people… », tel est le célèbre commencement de la constitution américaine, une constitution dont la devise est « E pluribus unum », de la pluralité, de la multitude, faire un. On peut tourner le problème dans tous les sens. La démocratie (dont tous se réclament, tous prêts à crier plus fort les uns que les autres), c’est la question du peuple. Et donc dire « vive la démocratie » et « à bas le populisme », c’est un peu louche.

Le terme de démocratie peut s’entendre en trois manières : primo, comme le pouvoir du peuple tout entier, de l’assemblée des citoyens, ou du « corps politique » ; secundo, comme le pouvoir de la partie la plus basse du peuple, la plèbe romaine contre les optimates ; et tertio, comme le respect des droits individuels. Normalement, ces trois définitions devraient se compléter, mais dans les faits ce n’est pas souvent le cas. À Rome, la république avait fini par prendre en compte la nécessité que la partie inférieure du peuple puisse se faire entendre en instituant le tribun de la plèbe, personnage sacré qui jouera un rôle central dans les luttes de classes dans la Rome antique. De nos jours, c’est aussi ce deuxième moment qui semble problématique. Que la partie inférieure socialement puisse se faire entendre et faire prévaloir ses intérêts, ce fut toujours la hantise de ces démocrates pour qui la démocratie devait se résumer à la démocratie de la « race des seigneurs », les citoyens étant soigneusement divisés entre citoyens actifs et citoyens passifs. Précisément, le populisme est apparu comme le courant qui réclamait que soit entendu le peuple, le « bas peuple », celui à qui les belles gens veulent interdire la parole, parce qu’il n’est pas instruit, se laisse guider par ses passions – pour ces belles gens la passion de l’argent et de la domination n’est pas une passion, cela va de soi… Aux États-Unis, le populisme, incarné un temps par le « parti des fermiers » a été cette protestation contre la confiscation de l’espérance démocratique par les aristocrates. Il faut lire et relire Christopher Lasch qui, sur ce sujet, a produit les mises au point indispensables (voir mon article sur le livre Le seul et vrai paradis). L’apparition du populisme en Europe correspond exactement à cette même révolte contre la confiscation de la démocratie par la caste médiatique, financière et eurocratique.

Si le populisme est indissolublement lié à la démocratie, il l’est donc tout naturellement à la république. C’est Machiavel qui part du constat que dans toute république, il y a deux classes : les grands qui veulent gouverner et cherchent à dominer le peuple, et le peuple qui ne veut pas gouverner mais veut ne pas être dominé. Et donc toute république digne de ce nom est conflictuelle. Machiavel fait l’éloge des républiques tumultuaires où les révoltes populaires furent immanquablement favorables à la liberté. J’ai eu l’occasion d’exposer tout cela en détail dans mon livre sur Machiavel (Lire et comprendre Machiavel, Armand Colin, 2e édition, 2008). Je ne vais pas développer plus ici. Mais cet auteur est véritablement un des pères fondateurs de la pensée politique moderne et on ne comprend guère Spinoza (qui parle du « très pénétrant florentin ») ni Rousseau en oubliant qu’ils sont des bons lecteurs de ce penseur éminent. En tout cas, le populisme, tel qu’il est théorisé de nos jours par des gens comme Laclau ou Chantal Mouffe, part de Machiavel.

Donc, le populisme a de belles lettres de noblesse à faire valoir et l’on comprend mal que tant de professeurs de politique si fiers d’eux puissent en faire une caractérisation injurieuse. On ne demande bien où ils ont décroché leurs diplômes de « science politique ». Est-ce cela qu’on apprend à Sciences-Po (que d’aucuns surnomment « Sciences-pipeau ») ?

Si on comprend ce qu’est le populisme, on se gardera donc de le confondre avec l’ochlocratie, le pouvoir de la foule qui suit uniquement ses passions excitées par les démagogues. La populace – le popolaccio dont parlait Machiavel – ce n’est pas le peuple. On voit ainsi très clairement ce qui distingue le populisme de Mélenchon ou d’Iglesias de la démagogie des partis « identitaires » xénophobes, même si ces derniers essaient d’exploiter à leur profit les réactions populistes et y parviennent, au moins partiellement, quand le peuple se sent abandonné et méprisé par les grands.

Je reviendrai bientôt sur les rapports entre le populisme et la nation et sur la question de la lutte des classes.

23 juillet 2017 – Denis COLLIN


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