J’étais au Québec au moment du passage rapide qu’y fit le président de la république française. Le journal La Presse proposa à cette occasion, le 17 octobre, un grand entretien avec Nicolas Sarkozy. Les Québécois n’en furent pas surpris : Paul Desmarais, le propriétaire du journal, est un des proches amis de Sarkozy et son conseiller indirect pour les affaires nord-américaines.
Paul Desmarais, né en 1927 avec un frère plus vieux de cinq ans qui fut député de 1979 à 1984, est né en Ontario à Sudbury où il commença sa carrière de grand propriétaire. Depuis 1978 il ne cesse d’allonger la liste de ses titres de gloire jusqu’à la légion d’honneur française. Grand maître de Power Corporation du Canada Ltée, il a tenu à devenir propriétaire de l’essentiel de la presse du Québec dont le titre La Presse. Un quotidien reste cependant indépendant, Le Devoir. Il publiait au même moment un entretien avec un autre Français d’importance, Le Clezio qui séjournait alors à Montréal.
Quelles questions pouvaient être posées au Président et pour quelles réponses ?
La valeur travail, la place du français, la question de la laïcité, le marché et l’Afghanistan furent les thèmes habituels dont on peut penser, vu le manque d’originalité, qu’ils ont été suggérés par l’équipe à Sarkozy. Je vais m’en tenir à deux thèmes d’importance, le français et la laïcité.
« Je ne crois pas au déclin du français, qui reste la seconde langue officielle dans le monde et celle de deux des huit pays du G8. » dit d’abord Sarkozy, propos amusant pour des Québécois qui définissent notre langue plus par l’usage réel que par ses titres officiels. Mais le Président est rassurant : « Le renforcement de la francophonie au Canada revêt à bien des égards un caractère exemplaire. » Encore et toujours du bavardage alors que dans Le Devoir, Louise Beaudoin et Jean-François Lisée publiaient au même moment une lettre ouverte à Sarkozy qui faisait un bilan crucial et cruel. « Sans la fermeté de la France, le premier ministre René Lévesque n’aurait pas reçu la Légion d’honneur des mains du président Valéry Giscard d’Estaing, le Québec n’aurait pas été l’invité d’honneur du Salon du livre de Paris en 1999, le premier ministre québécois n’aurait dû occuper qu’un strapontin aux obsèques du président Mitterrand. Nous vous épargnons la liste complète, Monsieur le président, elle est longue et fastidieuse. » Bilan crucial et cruel car Sarkozy préfère jouer la carte USA et Canada que la carte Québec. « Le renforcement de la francophonie au Canada » lui parfait plus simple à dire que « le renforcement de la francophonie au Québec ».
Pour la laïcité voici la question posée : « Bien des Québécois estiment que le Québec devrait suivre les traces de la France dans la gestion de la diversité culturelle et religieuse, notamment en ce qui a trait à la laïcité, plutôt que l’approche anglaise (et canadienne anglaise), plus libérale, du multiculturalisme ? Où vous situez-vous, personnellement dans ce débat ? La France a-t-elle trouvé LA solution au problème de cohabitation entre des citoyens aux cultures parfois aux antipodes ? »
La question est située sous la photo d’une femme portant le hidjad et en conséquence on mesure tout de suite son orientation. La réponse sera classique dans la rhétorique sarkozienne :
« Je suis avec beaucoup d’intérêt les débats qui ont lieu au Canada et au Québec en particulier, sur les questions d’intégration et sur la laïcité. Je suis profondément attaché au principe de laïcité parce qu’il est un des fondements de la République. » Encore une fois la réponse commence par « l’officialité ». Il n’est pas pour la laïcité car c’est un principe démocratique mais parce qu’il fonde une république. D’où le glissement qui suit : « Je plaide pour une laïcité positive, c’est-à-dire qui respecte, qui rassemble, qui dialogue ; une laïcité qui se vit comme une tolérance et non comme une exclusion. » Rien de nouveau sous le soleil sarkozien. Or c’est la nature même de la laïcité de respecter, de rassembler et de susciter le dialogue. Il est inutile d’imaginer une laïcité qui exclut, car c’est alors le contraire de la laïcité (je renvoie au beau site du mouvement laïque québécois). Sarkozy ne revient donc pas sur le distinguo qu’évoque la question entre approche française et anglaise. En matière de religion le respect mutuel n’est pas une question de bonne volonté, de savoir vivre, de qualités humaines etc. Il s’agit d’abord d’en finir avec toute religion d’Etat ce qui n’est pas le cas de la Grande-Bretagne. En finir avec toute religion d’Etat c’est en finir avec l’idée que l’appartenance à une religion est signe d’appartenance à un pays, c’est donc créer les CONDITIONS du dialogue puisque chaque croyant est mis sur un pied d’égalité. Bien sûr, cette séparation des églises et de l’Etat n’est pas le miracle magique pas plus que le droit à l’interruption volontaire de la grossesse ne rend heureuses toutes les maternités possibles, voilà pourquoi la laïcité n’est pas UNE solution, mais un chemin qui en marchant ouvre des solutions. La conception anglaise, en marchant, ne fait que revenir à la question de départ : qui est supérieur à l’autre ? Et ensuite le supérieur peut TOLERER celui qui cire ses chaussures. L’idée de tolérance est contraire à l’idée de laïcité.
Paul Desmarais pouvait se féliciter des réponses et surtout des actes de son ami Sarkozy : après l’annonce d’un séjour de deux jours à Québec pour le sommet de la Francophonie, le communiqué officiel fut modifié : un jour à Québec puis un jour à Camp David pour que Sarkozy y retrouve Bush.
Or, sans se focaliser sur la question de la souveraineté, le débat Québec-France mérite un très large développement car il est d’une richesse infinie. C’est ce que Le Clézio a pu démontrer de son côté.
28-10-2008 Jean-Paul Damaggio