Les projecteurs braqués sur le CPE, on a laissé dans l’ombre quelques autres dispositions du projet gouvernemental présenté par antiphrase comme "loi pour l’égalité des chances". La décision à tous égards la plus emblématique est le décret pris le 13 janvier qui étend le travail de nuit pour les jeunes en-dessous de la majorité légale et même dans certains cas en dessous de 16 ans.
Cette décision trouve ses prolongements dans la loi adoptée à coup de 49-3. Voici ce qu’en dit L’Humanité (9/2/06) :
Selon le dispositif proposé par le gouvernement, la possibilité d’intégrer une classe de préapprentissage dès l’âge de quatorze ans, inscrite à l’article premier du texte, se double d’une « nouvelle rédaction de l’article L. 337-3 du Code de l’éducation ». Celle-ci autorise désormais « l’apprenti junior » à « conclure un contrat d’apprentissage « de droit commun » à partir de l’âge de quinze ans », au lieu de seize actuellement. Un abaissement de l’âge légal confirmé dans le Code du travail, grâce à « l’aménagement nécessaire » de l’article 117-3, qui prévoyait jusqu’alors que « nul ne peut être engagé en qualité d’apprenti s’il n’est âgé de seize ans au moins ». Voilà pour le travail en conditions « normales », c’est-à-dire de jour. Ce qui en soi constitue déjà un important recul de société puisqu’il généralise « ce qui était une dérogation », en en faisant une « voie d’orientation massive », selon Christian Paul (PS).
Mais la face la plus régressive du projet se révèle à la lecture de la réglementation actuelle pour le travail de nuit, qui s’appliquera de fait aux nouveaux jeunes apprentis. De manière générale, travailler la nuit est interdit pour les mineurs, selon l’article 221-3 du Code du travail.
La logique de l’action gouvernementale est clairement une logique de régression sociale sans précédent. La "tiers-mondisation" de la France est en marche sous l’égide de MM. Chirac, Galouzeau et Sarkozy.
Le problème est cependant de comprendre pourquoi on en est arrivé là et quelle mouche pique donc nos gouvernants qui prennent des risques sérieux à quelques mois d’échéances électorales majeures. Le retour au travail de nuit des mineurs est engagé depuis plusieurs années et c’est notamment un décret de 2001, signé de Jospin et Guigou (alors ministre des affaires sociales) qui donne la liste des dérogations à l’interdiction du travail de nuit. Le décret du 13 janvier ne fait qu’étendre, sous la pression du MEDEF, cette la liste.
Mais pourquoi le gouvernement Jospin s’est-il engagé dans cette voie ? Tout simplement parce qu’il a retranscrit par ordonnances (souvenons-nous en, c’était en janvier 2001) les directives européennes portant sur les questions de droit du travail. Or en matière de travail des mineurs, l’article 9 de la directive européenne 94/33/CE du 22 juin 1994 relative à "la protection des jeunes au travail" (sic) fait loi. Cette directive qui prétend interdire le travail des moins de quinze ans (sauf exceptions ...) est très en retrait des principales réglementations nationales et surtout après un chapelet de bonnes intentions elle explique : "Toutefois les Etats membres peuvent, par voie législative ou réglementaire, autoriser le travail des adolescents durant la période d’interdiction du travail de nuit"
On voit que les démocrates chrétiens ont suivi des cours sérieux de jésuitisme. On autorise ce qu’on prétend interdire. Et voilà pourquoi Jospin et Guigou mettent en route la machine qui mène à Villepin en février 2006. Il y a un fil qui unit les politiques des gouvernements de gauche et des gouvernements de droite et ce fil, c’est la construction européenne, la soumission aux décisions anti-démocratiques de la Commission, décisions qui, du reste, s’inscrivent dans la droite ligne des traités de Maastricht, Amsterdam, Dublin et de la conférence de Lisbonne. Ainsi en va-t-il de la liquidation du CDI remplacé par les CPE, CNE, contrats séniors, etc.. Le traité d’Amsterdam signé en 97 [1] prévoyait que la Commission fixe chaque année des "lignes directrices pour l’emploi". Les "lignes directrices 2005-2008", publiées le 12 avril 2005 recommandent d’agir "contre le chômage des jeunes" et pour cela de créer des "conditions favorables au premier emploi", ce qui demandera "d’adapter la législation relative à l’emploi, réexaminer si nécessaire le niveau de flexibilité offert par les contrats permanents et non permanents." Comme le travail de nuit des mineurs, le CPE est tout simplement l’application de la loi européenne.
Prétendre lutter contre le CPE, prétendre défendre les droits sociaux sans remettre en cause les liens qui subordonnent la politique française à la politique de la Commission, sans remettre en cause les traités de Maastricht, Amsterdam et la suite, c’est tout simplement se moquer du monde. Le PS prend ainsi des postures oppositionnelles et attaque "durement" (mais oui !) le gouvernement sur sa politique anti-sociale, mais il se garde bien d’aller à la racine des choses. Voici un extrait des débats à l’Assemblée (7 février) :
M. le Ministre - ...car elle vous est étrangère. Mais, en réalité, elle permettra une véritable avancée du droit social ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste)
Comme l’a écrit un journaliste du Monde le premier jour de ce débat, « Chiche, essayons ! ». Pourquoi refuser une voie supplémentaire ? Ce ne sera pas la voie unique : pour les jeunes Il y aura encore des CDI, vos CDD adorés, votre intérim adoré, vos stages adorés, mais il y aura aussi le CPE ! (« Très bien ! » et vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)
M. Jean-Marc Ayrault - Monsieur le ministre, je suis pour un débat le plus franc possible. Alors, de grâce, répondez à nos questions ! Ne les esquivez pas en maniant l’invective et la caricature ! Vous avez évoqué les partis sociaux-démocrates d’Europe. La vérité, c’est qu’aucun syndicat, que ce soit en Allemagne, en Suède ou au Danemark, n’aurait accepté le quart de ce que vous proposez !
Plusieurs députés UMP - Et la Grande-Bretagne ?
M. Jean-Marc Ayrault - Nous assumons notre différence avec M. Blair (Interruptions sur les bancs du groupe UMP).
M. Guy Geoffroy - Pourtant, Ségolène est plutôt d’accord avec eux !
Tout est là. La droite n’a pas beaucoup de souci à se faire avec l’opposition "socialiste." Les stages, les intérims, les petits boulots, les contrats d’insertion, ces mille et une formes de précarité, la gauche les a toutes inventées quand elle était au pouvoir. Et quand Mme Royal soutient Blair et demande de la flexibilité pour lutter contre le chômage, quel soutien formidable pour Villepin !
Non, le problème n’est pas la candidature unique de la gauche comme on le répète dans les milieux autorisés. Tout simplement parce que Royal a vendu la mèche : en matière sociale, la gauche blairisée jusqu’à la moelle ne fera pas grand chose de différent de la droite. Le problème est de tirer les conséquences du 29 mai pour que soit respectée la volonté populaire d’en finir avec la dictature antisociale de l’aréopage de technocrates au service du capital financier qu’est la Commission de l’Union.
[1] Jospin pendant la campagne électorale avait juré qu’il ne signerait pas le traité d’Amsterdam en l’état et c’est la première chose qu’il s’est empressé de faire une fois devenu premier ministre. Et il y a toujours des cireurs de pompes pour nous bassiner avec la "rigueur morale" du retraité de l’île de Ré.