Avant d’en venir au fond, il commence par préciser le contexte, pour réfuter les « mises en garde indignées des États-Unis et de l’Union européenne, France comprise. » Le scrutin affirme Gresh est « incontestablement une victoire pour la démocratie et la preuve que les Palestiniens y sont attachés. » Ce petit refrain, repris à l’extrême gauche (voir Rouge, n°2144), mérite qu’on s’y arrête. L’élection d’un parti ouvertement hostile aux principes essentiels de la démocratie - liberté individuelle, liberté de conscience, égalité des droits - est caractérisée de « victoire de la démocratie ». À ce compte la venue au pouvoir du chancelier Hitler en janvier 1933 était aussi une « victoire de la démocratie » et la preuve de l’attachement des Allemands aux institutions de Weimar ! Faut-il rappeler que si la démocratie se limite au principe majoritaire, elle n’est que la tyrannie de la majorité ?
Gresh continue : « Les électeurs ont exprimé leur rejet de la politique suivie par l’Autorité palestinienne et le Fatah sur au moins deux niveaux. D’abord une condamnation de leur incapacité à créer des institutions solides, à éradiquer la corruption, à améliorer la vie quotidienne. » Soit : le Fatah a de grandes responsabilités ... mais peut être pourrait-on rappeler que ce qui pourrit surtout la vie des Palestiniens, c’est le blocus israélien, les incursions régulières de l’armée de Tel-Aviv, les contrôles humiliants aux check-points, etc. On pourrait aussi rappeler que la politique d’attentats contre les populations civiles israéliennes menée par le Hamas et condamnée par l’Autorité Palestinienne a donné aux gouvernements de Tel-Aviv tous les prétextes dont ils avaient besoin. Le Hamas, évidemment incapable de défaire militairement Israël a semé le chaos ... dont il récolte les fruits. Mais de cela Gresh ne dit mot.
Il continue en imputant l’échec des négociations ... à l’autorité palestinienne : « le bilan de l’Autorité apparaît négatif. Il l’est aussi dans le domaine des négociations avec Israël depuis les accords d’Oslo de 1993. Tout le pari de M. Mahmoud Abbas, élu président de l’Autorité en janvier 2005, était qu’une position « modérée » de sa part relancerait le « processus de paix » ; il n’en a rien été. M. Ariel Sharon, qui avait longtemps affirmé que Yasser Arafat était l’obstacle à la paix, n’a rien offert à son nouvel interlocuteur : le retrait unilatéral de Gaza s’est accompagné - c’était tout le but de la manœuvre - de l’accélération de la colonisation et de la construction du mur de l’apartheid - malgré la condamnation du Tribunal international de La Haye. » Gresh aurait peut-être pu s’interroger un peu plus loin. Les dirigeants israéliens ont, dès le début, tout fait pour aider le Hamas que leurs services secrets ont soutenu pour affaiblir Arafat. L’évacuation unilatérale de Gaza, mettant hors jeu Abbas, favorisait presque mécaniquement le Hamas. Gresh note à juste titre qu’il n’y avait plus de processus de paix en cours. Mais il devrait se demander si les dirigeants israéliens n’ont pas cyniquement tout fait pour assurer la victoire du groupe qui apparaît comme le pire ennemi d’Israël, précisément parce que cela leur donnera de nouveaux prétextes aux yeux de l’opinion publique nationale et internationale pour refuser leurs droits légitimes aux Palestiniens.
Gresh passe ensuite à la prospective. « Les électeurs ont voté pour le Hamas non pas parce qu’ils adhéreraient à son programme « historique » d’élimination de l’Etat d’Israël, non parce qu’ils souhaiteraient une relance des attentats-kamikazes (les récentes enquêtes d’opinion montrent au contraire une volonté de paix et de négociation), mais parce qu’ils veulent en finir avec la gestion catastrophique de l’Autorité palestinienne. On peut espérer d’ailleurs que le tremblement de terre du 25 janvier suscitera une recomposition de la vie politique palestinienne permettant une stratégie plus efficace contre l’occupation. » C’est vraiment une politique de gribouille : le triomphe des pires ennemis de la démocratie va certes recomposer le paysage politique, mais pas le sens espéré par les bonnes âmes comme M. Gresh. En Iran, Khomeiny s’était mis à a tête de la révolution contre la corruption et le gouvernement catastrophique du Shah. Quelques mois plus tard, les ouvriers, les démocrates, les minorités nationales et les femmes faisaient les frais d’une recomposition » dans laquelle les tortionnaires islamistes ont remplacé les tortionnaires de la sinistre Savak. En Algérie aussi, le FIS et le GIA « luttaient » contre la corruption du gouvernement FLN... L’analyse de Gresh rappelle, mutatis mutandis, la politique stalinienne dite de « troisième période » quand les communistes allemands refusaient de combattre Hitler au motif que les sociaux-démocrates étaient des traîtres. On remarquera aussi que l’OLP et le Fatah qui furent encensés par la gauche « anti-impérialiste » ne sont plus bons qu’à jeter aux chiens. Les aveuglements d’aujourd’hui sont donc censés corriger les aveuglements d’hier...
Vient ensuite la défense du Hamas dont on nous dit que c’est une organisation « incontestablement populaire, implantée en Cisjordanie et à Gaza. Elle fait partie du paysage politique. » Belle analyse ! Le Likhoud israélien est aussi une organisation populaire et quand Poutine martyrise la Tchétchénie, il bénéficie aussi d’une soutien populaire certain ! Et Gresh ajoute : « Comme dans beaucoup d’autres pays arabes, il est illusoire de penser pouvoir avancer vers la démocratie en excluant les islamistes. » Encore une fois, on se demande ce que Gresh entend par démocratie. Que dans les pays à majorité musulmane, les démocrates eux aussi soient le plus souvent des musulmans c’est évident. Mais Gresh parle non des musulmans démocrates mais des islamistes, c’est-à-dire d’un courant intégriste radical aux positions réactionnaires avérées, comme l’est le Hamas, qui n’est qu’une branche des Frères musulmans. Gresh d’ailleurs se souvient d’un seul coup « que, sur le plan économique, le Hamas se situe plutôt à droite de l’échiquier, favorable au libéralisme ; et sur le plan des mœurs, il est extrêmement conservateur, ce qui suscite de l’inquiétude, notamment chez une partie des femmes. » Est-ce un détail pour un parti avec lequel on compte « avancer vers la démocratie » ?
Dernière partie de la chansonnette : « Le Hamas est aussi une organisation qui sait être pragmatique ». La belle affaire ! Être pragmatique, c’est savoir mettre les bons moyens au service de ses fins. Que le Hamas soit pragmatique n’est en soi ni une qualité ni un défaut : tout dépend de quelles fins sert ce pragmatisme. Or ces fins sont droitières sur le plan économique, et conservatrices sur le plan des moeurs. Donc, il trouvera pragmatiquement les bons moyens pour embobiner les intellectuels occidentaux en vue d’obtenir leur aval pour enfermer les femmes, imposer la charia etc...
Il est un dernier point que Gresh oublie. C’est que le Hamas se fiche comme de l’an quarante de la nation palestinienne. Pour lui la seule nation, c’est la communauté des croyants (sunnites autant que possible) et c’est pourquoi il fait de la destruction d’Israël la question clé, une question beaucoup plus importante que la construction d’un État-nation palestinien.
Au total la victoire du Hamas est un produit légitime, prévisible et sans doute prévu, de la politique israélienne et américaine, de la décomposition du Fatah qu’avec l’aide du Hamas ils ont largement organisée. C’est un très mauvais coup pour le peuple palestinien et la meilleure nouvelle possible pour les gens du Likhoud comme Netanyahou qui espère maintenant reprendre la main. Évidemment, que la politique du pire soit la pire des politiques, cela ne semble pas effleurer une minute les sophistes qui sont prêts à toutes les luttes du moment qu’ils restent au chaud dans leurs bureaux parisiens.
Denis Collin
PS : J’ai pris Alain Gresh comme exemple. Mais l’article de Wacharvsksy dans Rouge dit à peu près la même chose. Si on lit les écrits de certains oppositionnels du PCF, par exemple ceux de Danielle Bleitrach, on trouvera des positions au fond très semblables.