L’élection de Nayib Bukele avec 53% des votes met fin à trente ans de classique bipartisme droite/gauche. Cet ancien maire de la capitale salvadorienne, issu du FMLN (Front Farabundo Martí de Liberación Nacional) va-t-il pouvoir répondre aux problèmes du pays ?
Depuis la signature des accords de paix, en 1992, les deux premières décennies ont été dominées par la droite. En 2009, la gauche est arrivée au pouvoir pour la première fois. Dix ans plus tard, elle dépasse à peine 10% des suffrages !
Le Salvador est un petit pays avec des problèmes spécifiques mais cette élection entre dans un processus général : les défaites de la gauche ou du moins des partis se réclamant de la gauche. Sans que pour autant la droite l’emporte !
La raison du phénomène : l’incapacité de la gauche face au manque de travail. Et avec au Salvador, l’effet de la violence qui en résulte.
En 2018, 3 340 personnes ont été tuées par le crime organisé. Cela signifie que neuf personnes sont mortes dans des circonstances violentes chaque jour. Le manque de travail se manifeste par la pauvreté : 34% de sa population vit dans la pauvreté.
Les «pandillas», on dirait au Mexique les «cartels» sont directement un produit importé… des USA. Il s’agit d’une jeunesse sacrifiée qui a été renvoyée des USA où, faute du travail espéré, elle s’est repliée dans la criminalité et, après les arrestations, elle a été retournée vers le pays d’origine.
Or cette violence et cette pauvreté poussent chaque année des centaines de Salvadoriens vers… les États-Unis ! Un cercle vicieux, et même profondément vicieux ! Certains ont rejoint les caravanes de migrants qui, depuis octobre 2018, mettent en lumière cet exode d'Amérique centrale. D'autres continuent avec la méthode traditionnelle : payer un paquet à un coyote (le prix est maintenant autour de 9 000 $ pour trois tentatives) et parier sur un voyage incertain et risqué.
On pouvait s’attendre à ce que le FMLN n’obtienne pas de bons résultats. Surtout après la débâcle de mars 2018, aux élections législatives. Avec ses 23 sièges sur 84, il a eu son pire résultat de l’histoire. Il y avait peu de place pour le "retour" que ses directeurs de campagne avaient prédit, mais le coup a été encore plus dur que prévu. La défaite fait encore plus mal si vous levez la tête. Bukele, expulsé du parti en octobre 2017, a obtenu ce que ses anciens coéquipiers n'ont jamais caressé: s’imposer sans avoir à jouer un deuxième tour !
Bukele, un journaliste de 37 ans, a capitalisé sur le mécontentement. Dans une campagne dépourvue de débats approfondis et loin des préoccupations majeures, l'ancien maire a réussi à établir un lien avec un sentiment : la nécessité d'un "changement". D'abord, punissez ceux qui l'ont été. Après on verra.
Après avoir été expulsé, il a fondé son propre mouvement, Nuevas Ideas. Il a réuni plus de 200 000 signatures en un week-end mais finalement ce parti n’a pas été accepté par le Tribunal électoral suprême. Dépouillé de son outil, Bukele a entamé un pèlerinage à la recherche d’un mouvement lui permettant de participer aux élections. Il a essayé avec Cambio Democrático, un petit groupe qui a un seul député élu en 2018, mais la formation a été, elle aussi, refusée. Quelques heures après la date limite, il a annoncé un accord avec Gana, un parti fondé en 2010 qui a émergé sous la forme d’une scission d’Arena. Autrement dit, nous avons affaire à un candidat qui s'est séparé de la gauche et qui a fini par concourir sous les couloirs d’un parti de droite (ce fut le cas de la première victoire de Chavez). Si nous examinons les résultats historiques, nous voyons que Gana (encombrée de graves cas de corruption) n’a jamais été aussi près d’un triomphe lors d’une élection présidentielle. Mais ce qui s'est passé dimanche n'est pas la victoire d’un parti mais d’un nom.
Le discours de Bukele a davantage dénoncé ses rivaux que proposé un programme. Sa stratégie rapprochant Arena et le FMLN a fait comme s'il s'agissait des mêmes pratiques, et leur discours "sans idéologie" a permis de les faire disparaître dans un contexte de profond discrédit de la classe politique. Bukele va maintenant gérer son triomphe en faisant face à une assemblée dans laquelle Arena est majoritaire et faire face à de graves problèmes structurels.
De son côté, le FMLN suite à sa défaite historique est obligé de repenser sa stratégie. L'économiste César Villalona, proche de la formation de gauche, estime que les divisions internes et les mesures d'ajustement sont parmi les raisons qui expliquent les résultats médiocres. Réussir le diagnostic sera la clé d'un mouvement qui a été une référence pour la gauche en Amérique latine, tant sous son aspect armé, pendant la guerre civile de 1980 à 1992, qu'après les accords de paix.
Le Salvador vers de nouvelles déceptions ? Surtout si, comme partout dans le monde, la gauche persiste dans son refus d’affronter de face la crise sociale ! J-P Damaggio
P.S. Cette élection confirme l’usure générale et rapide des pouvoirs, voilà pourquoi au Venezuela le parti au pouvoir depuis vingt ans devrait affronter les électeurs pour clarifier le rapport des forces. La victoire de Bolsonaro au Brésil n’est pas un coup d’Etat mais la traduction concrète de cet échec général des politiques de gauche.