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Les illusions perdues (I)

Coups d'oeil sur le dernier demi-siècle

Par Denis Collin • Histoire • Mardi 19/12/2017 • 1 commentaire  • Lu 2208 fois • Version imprimable


Taper su Hollande n’est pas bien compliqué. Cet homme est si nul et si pitoyable (voir sa récente interview) qu’il vaudrait mieux le laisser où il est, càd en train de faire de l’argent en tant que conférencier pour le gratin de la société bourgeoise, des gens décidés à payer très cher pour écouter des discours creux dont leur intérêt est qu’ils permettent aux riches et aux puissants de se retrouver « en famille ».

Il est bien plus intéressant de se demander pourquoi on est arrivé là, c’est-à-dire pourquoi la « gauche » a purement et simplement disparu du paysage politique (le PS et le PCF n’étant que des partis résiduels) et le mouvement ouvrier s’est comme volatilisé.

Les quelques lignes que nous publions ci-dessous sont extraites de L'Ilusion plurielle, un livre signé de Denis Collin et Jacques Cotta, publié en 2001, c’est-à-dire avant la fin du gouvernement de la « gauche plurielle » dirigé par Lionel Jospin et qui fut le dernier gouvernement de la gauche – les gouvernements Hollande-Ayrault et Hollande-Valls appartenaient déjà à l’époque suivante et n’ont eu d’autre fonction historique que d’achever la gauche et propulser Macron au sommet de l’Etat.

Au cours des prochaines semaines et des prochains mois, nous reviendrons sur l’évolution historique qui conduit de Mai 1968 à mai 2018.

Le 21 mai 1981, François Mitterrand est élu Président de la République. Aux élections législatives qui s’ensuivent, le Parti Socialiste avec 38 % des suffrages au premier tour obtient une majorité écrasante à l’Assemblée Nationale. L’effroi semble s’emparer des possédants. Les capitaux prennent la route pour la Suisse. Les nouveaux dirigeants n’ont-ils pas adopté quelques mois avant l’élection un projet de transformation sociale de la France, rédigé sous l’inspiration de Jean-Pierre Chevènement et ses amis ? Un programme qui se propose d’ouvrir la voie au socialisme par l’introduction de réformes de structures anti-capitalistes, la promotion des droits des travailleurs et le retour à une certaine forme de planification. Un proche de François Mitterrand, Louis Mermaz vient de déclarer qu’il s’agit maintenant d’organiser “ la rupture avec le capitalisme en cent jours ”. Se situant dans la continuité de la Commune de Paris, de juin 36 et de la Libération, le Président nouvellement élu définit son programme. Une avalanche de réformes est annoncée qui vont permettre, enfin, de construire “ le socialisme à la française ”.

Fin 1999, Jacques Chirac est président de la République. Mais son parti, le RPR, est en pleine décomposition et la droite semble pulvérisée. Depuis juin 1997, ce sont à nouveau les socialistes qui conduisent la politique de la nation. Mais, alors que Michelin, qui accumule les profits, annonce 13 500 suppressions d’emploi, le Premier Ministre Lionel Jospin définit sur France 2 la nouvelle orientation des socialistes : l’État ne peut pas intervenir, “ l’économie administrée ” – une des expressions favorites de la droite – est condamnée. Les contraintes de la “ mondialisation ” et de l’économie de marché sont déclarées incontournables. Quelques semaines plus tard, à la réunion de l’Internationale Socialiste, Jospin confirme qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme et à l’économie de marché. Alors que les commentateurs s’attendaient à une polémique avec Tony Blair et Gerhard Schröder, les hérauts de la “ troisième voie ”, les dirigeants sociaux démocrates et socialistes se mettent d’accord sur cette orientation. Habile, Jospin n’assume pas les déclarations les plus choquantes de ses collègues allemand et anglais ; ce n’est pas lui qui déclarera comme Blair que les pauvres sont largement responsables de leur pauvreté, ou comme Schröder que les inégalités sociales sont nécessaires. Mais il accepte pour l’essentiel les conclusions politiques qu’ils en tirent.

Avec la victoire de Lionel Jospin et du PS aux élections de 1997, le PS donne le “ la ” dans la partition que joue la gauche plurielle au gouvernement. Rouge-Rose-Verte dans la forme, la majorité a trouvé sa cohérence dans le reniement d’engagements limités et ciblés lors des élections législatives. Les différences d’appréciation, exprimées ici ou là, ne parviennent même plus à sauver les apparences.

la gauche devait stopper les privatisations : jamais un gouvernement n’a autant privatisé !

la gauche voulait taxer le capital financier : les flux de capitaux, notamment les fonds de pension anglo-saxons, n’ont jamais eu autant de liberté.

la gauche s’était engagée à abroger les lois Pasqua-Debré : elle les maintient en l’état et y rajoute la note personnelle des lois Chevènement.

la gauche disait refuser le traité d’Amsterdam “ en l’état ” : elle le ratifie sans condition et ni discussion.

La liste n’est pas exhaustive. Plus que tous les discours alambiqués, distillés par les spécialistes de la langue de bois, elle dit en quoi consiste le cours nouveau pris par la gauche dans son ensemble sous la direction éclairée du Parti Socialiste. En deux décennies, c’est une transformation radicale du socialisme qui s’est produite. Les historiens s’interrogeront sur les raisons et les moments cruciaux de cette transformation. Les spécialistes de science politique se demanderont si cette transformation n’était pas déjà inscrite dans le “ code génétique ” du socialisme. Mais quoi qu’il en soit, on ne peut s’empêcher de penser que Lionel Jospin et ses compères européens viennent de signer l’acte de décès du socialisme tel qu’il avait été conçu dès les premières décennies du XIXe siècle. La plupart des analystes parlent de “ ralliement au réalisme ”, parce qu’il va de soi qu’être réaliste, c’est accepter l’ordre néolibéral. Certains commentateurs s’en prennent à la “ gauche imaginaire ”, une gauche dont les discours contrediraient les actes. Les groupes d’extrême gauche dénoncent la “ trahison ” des dirigeants “ ouvriers ”, mais continuent de faire appel à la pression du “ mouvement social ” pour contraindre ce gouvernement de gauche à aller vraiment vers la gauche. Mais, dans tout cela, on en reste à la surface des choses, aux discours convenus des politiciens et des médias, “ des mots, des mots, des mots ”, comme le dit Shakespeare. La réalité est tout autre : on ne peut plus comprendre ce qu’est le Parti Socialiste aujourd’hui à l’aide des analyses anciennes. Ce parti a opéré une véritable mutation qui en fait aujourd’hui une réalité politique radicalement différente de ce qu’il était dans les années 70. Il n’y a nulle outrance polémique à dire que le PS occupe aujourd’hui la place politique de la droite libérale européiste. En vérité, si on met de côté les impératifs de la “ lutte des places ”, rien ne s’opposerait à la fusion du PS et de Force Démocrate (l’ex-CDS) de MM. Bayrou, Barrot et Méhaignerie. Sur le plan idéologique, sur le plan des forces qui les inspirent, sur le plan des propositions politiques stratégiques, ce qui sépare les chefs du PS des chefs centristes n’a pas même l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes.

Le Parti Socialiste d’aujourd’hui n’est socialiste ni par son programme et ses références idéologiques, ni par sa composition sociale et ses électeurs, ni par la place qu’il tient dans le système politique français. Les militants sincères du PS n’y peuvent rien changer. On nous opposera quelques déclarations de fidélité ici ou là, quelques thèses énigmatiques de Lionel Jospin qui accepte l’économie de marché et refuse la société de marché. Les oripeaux demeurent et sont pieusement exhibés ; quelques chefs tentent encore, à la fin d’un banquet, de se rappeler les paroles de “ L’internationale ”.  Mais ce n’est plus qu’un décor qui ne peut tromper que ceux qui le veulent bien. Comme le faisait remarquer Perry Anderson, lors d’une discussion avec le philosophe Norberto Bobbio, les étiquettes idéologiques peuvent perdurer alors même qu’elles ne recouvrent plus aucune substance, comme les conflits entre les “ Bleus ” et les “ Verts ”, des factions de conducteurs de chars dans la Rome Antique, dominèrent pendant des siècles la vie politique à Byzance. Sans aller si loin dans le temps, on peut rappeler que Pompidou se disait partisan, contre le socialo-communisme français, d’une social-démocratie à la suédoise et que Jacques Chirac, devenu Premier Ministre de Valéry Giscard d’Estaing se réclamait d’un “ travaillisme à la française ”.

On nous dira que des divergences substantielles demeurent sur les “ questions de société ”, comme en témoignerait la polémique sur le PACS ou la question de la parité. C’est oublier que ces fameuses “ questions de société ” sont loin de recouvrir politiquement et socialement le traditionnel clivage droite/gauche. La droite moderniste, attentive aux transformations économiques, a compris depuis longtemps que les positions traditionnelles sur la famille ou l’éducation sont devenues contradictoires avec les impératifs de la “ société nomade ” qui s’organise dans les sommets du capitalisme financier mondial. Il faut se souvenir que le premier grand réformateur dans ce domaine fut Giscard d’Estaing lui-même, un président dont on devrait rappeler le bilan, autrement impressionnant, compte tenu du contexte, que celui des socialistes au gouvernement : droit de vote à 18 ans, promotion de l’égalité des femmes par des mesures importantes concernant le droit civil, légalisation de l’IVG, reconnaissance des droits humains des prisonniers – sa fameuse poignée de mains aux “ taulards ” – abolition de la censure cinématographique, etc… Les grands dadas des “ théoriciens ” socialistes comme l’environnement ou la politique de la ville, tout cela a été engagé sous le septennat de leur prédécesseur injustement oublié !

Sur ce qui compte réellement, sur la République, sur la politique étrangère, sur la politique économique et sociale, le PS et ses vassaux de la “ gauche plurielle ” mettent leurs pas dans les pas de la droite libérale, au point que Pasqua peut paraître aisément comme un critique de gauche du gouvernement actuel. Démolissage progressif de la souveraineté nationale, alignement systématique sur la stratégie des USA, liquidation des services publics, ample politique de privatisations, destruction de l’intérieur de l’instruction publique républicaine, attaques sournoises contre les fonctionnaires et généralisation sous couverts “ d’emplois jeunes ” de la précarité dans la fonction publique, mise en pièces du code de travail au nom du “ partage du travail ” avec flexibilité, la liste est longue des questions essentielles qui démontrent que le PS est bien devenu, malgré la volonté d’une partie de ses militants, la “ nouvelle droite ” c'est-à-dire le nouveau parti des grands intérêts financiers et boursiers.

Pour occuper cet espace, il fallait au Parti Socialiste “ fin de siècle ” une mise au pas systématique de toute contestation possible. Le gouvernement de la “ gauche plurielle ” constitue la camisole de force nécessaire à l’interdiction de toute indépendance de pensée et d’action des forces qui y participent. Les alliés savent être utiles. S’il faut casser une grève et s’opposer aux mouvements sociaux, les ministres communistes font leur œuvre. Et lorsque la marée noire met en cause une multinationale comme Total-Fina-Elf, les Verts prennent la relève pour relativiser les dégâts.

Comment cela a-t-il pu s’accomplir ?


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Commentaires

Lien croisé par Anonyme le Mercredi 26/10/2022 à 05:24

Le journal de BORIS VICTOR : Les dernières publications de la Sociale - décemb : "19/12/17 - Les illusions perdues (I)"



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