Formé à la va-vite mais avec des méthodes « entrepreneuriales », le macronisme semblait frêle, en dépit de la puissance de ses soutiens financiers. Son programme « libéral » ne disposait pas et ne dispose toujours pas d’une majorité dans le pays. Et cependant, à plus de six mois de son entrée en fonction Emmanuel Macron ne semble pas affaibli. On doit même admettre qu’à bien des égards il a consolidé sa position et contrôle d’une main de fer ce ramassis improbable de caciques du « vieux monde », de jeunes loups sans expérience, d’arrivistes « décomplexés » et d’ahuris qui se retrouvent presque par hasard au Palais Bourbon. Il reçoit plusieurs renforts presque inespérés. Le parti socialiste le soutient fermement tout en prétendant se tenir dans l’opposition. Mais sa décomposition a atteint un point tel que ce soutien perdra bientôt toute valeur. Le parti communiste, agonisant, est tout occupé à savonner la planche à Mélenchon – on a même vu un chroniqueur dans l’Humanité dénonçant un prétendu « antisémitisme » du leader de la « France Insoumise ». La droite a explosé. Une partie importante est absorbée dans la majorité macroniste et « LR maintenus » se sont choisi un chef qui veut concurrencer Marine Le Pen et fournit à Macron un label « moindre mal » impeccable.
Jean-Luc Mélenchon a donné une appréciation assez juste de la situation en disant que Macron avait pris le point lors de la bataille sur les ordonnances. On peut aller plus loin. C’est-à-dire mesurer pleinement la gravité de la situation. Le succès (relatif) de LFI lors de la présidentielles et, à un moindre degré, aux législatives qui ont suivi a pour corollaire l’effondrement de la « gauche », de cette nébuleuse dans laquelle se reconnaissait encore, plus ou moins, le vieux mouvement ouvrier. Le PCF, on l’a dit, est l’ombre de son ombre. Le PS qui dominait électoralement tout le pays encore en 2012 s’est effondré. Or l’un et l’autre, chacun à sa manière avait structuré la vie politique et représentaient jadis les « classes populaires », en gros du moins. L’effondrement de ces deux partis (qui ne date pas de 2017) ne peut pas être sans effet sur la mentalité et les idées politiques des ouvriers, des employés, des enseignants, etc. Nous nous sommes réjouis de la poussée de la France Insoumise, poussée porteuse d’espoirs sans toujours bien mesurer la réalité dans sa globalité.
Plus grave sans doute est la faillite du mouvement syndical. La lutte contre la loi El Khomry était restée assez poussive et les mobilisations contre les ordonnances ont révélé en grand les maux qui ravagent le syndicalisme français. Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt. Le premier syndicat du secteur privé est maintenant la CFDT – et c’est en partie ce qui explique le retournement de Jean-Claude Mailly qui veut se placer sur le même terrain que la confédération de Laurent Berger pour sauver ce qui peut l’être des sinécures dévolues aux bureaucraties syndicales. En vérité les syndicats ne sont que des squelettes qui ne se survivent que parce qu’ils sont nécessaires au maintien de l’ordre social, en grande partie financés non par les cotisations des adhérents mais par les subventions directes ou indirectes de l’État et des patrons. Même les ordonnances qui réduisent drastiquement le nombre des élus et délégués syndicaux n’ont entrainés aucun réflexe de survie. Les bureaucrates sont prêts à se laisser dépouiller sans rien dire des conditions de leur existence bureaucratique. Jean-Luc Mélenchon a mis les pieds dans le plat s’attirant les vertes remontrances de Martinez et une nouvelle bordée d’injures de la part de Mailly. Il avait pourtant raison.
Cela traduit un affaiblissement terrible de la « conscience de classe », c’est-à-dire de la conscience 1° de l’irréductible antagonisme du capital et du travail et 2° de la nécessaire union des travailleurs salariés pour faire « une concurrence générale » au capital. Dans leur immense majorité les travailleurs sont non syndiqués et acceptent l’exploitation capitaliste comme un moindre mal – dans le cas des plus politisés. Autrement dit, c’est un affaissement profond du mouvement ouvrier qui est la grande marque de l’époque que nous traversons. Et non un épisode électoral de « dégagisme ». Cette analyse en termes de « dégagisme » est du reste assez trompeuse. Elle laisse penser que le mouvement va se poursuivre et que de nouveaux bouleversements politiques sont proches, ce qui justifierait l’existence d’un mouvement « gazeux » comme LFI particulièrement adapté à cette situation explosive.
Malheureusement ce n’est pas le cas. Il suffit de penser à l’atonie générale des lycéens face à la réforme de l’orientation post-bac et l’introduction de la sélection à l’université, pour mesurer la réalité de la situation présente. Il suffit d’observer la passivité des professeurs face à la destruction du lycée, il suffit de noter l’indifférence de toutes les forces politiques face à la politique scolaire, pour se convaincre du formidable recul politique qu’a subi le mouvement social. Il n’y a pas d’adhésion à la politique gouvernementale, il y a souvent beaucoup de colère, mais surtout le sentiment qu’on ne peut rien faire. Dans l’état actuel des choses, si une explosion n’est pas totalement à exclure, elle est pratiquement condamnée à échouer ou seulement à retarder partiellement l’offensive antisociale : encore un instant, Monsieur le Bourreau.
En réalité, le mouvement ouvrier est donc le dos au mur. Même l’expression « mouvement ouvrier » ne semble plus s’appliquer à quelque chose de réel. Les ouvriers, abandonnés par la gauche, vilipendés par l ‘extrême gauche « antiraciste » et « post-féministe », méprisés par toutes ces belles gens qui se sont attribué le monopole de la contestation de l’ordre social, existent à peine comme classe, en tout cas pas « classe pour soi », comme sujet politique. Ils se sont réfugiés massivement dans l’abstention voire dans le vote FN. À Lens, jadis cœur du bassin minier, c’est un ancien ouvrier communiste qui est député FN (rallié depuis à Philippot). Et tant que personne ne s’adressera, avec les mots qu’il faut, sans mépris, à hauteur d’homme, à cette immense masse de ce qui fut la classe ouvrière de ce pays, il ne faudra rien espérer. Jean-Luc Mélenchon (mais aussi, différemment, François Ruffin) a commencer de s’adresser à cette partie de nos concitoyens, mais encore insuffisamment et encore retenu par la peur de voir toute la volaille gauchiste s’envoler dès qu’on parlera le rude langage du prolétariat et des « petites gens » qui gagnent leur vie en travaillant dur, souvent dans des zones qui n’intéressent plus personne et surtout pas la classe politico-médiatique branchée.
Denis COLLIN - 17 décembre 2017
Le péril insoumis
https://m.youtube.com/watch?v=62GqvUM7Grk