Parti de Paris, Gérard de Nerval (né Gérard Labrunie) poursuit par Melun, Chalon, Pont d’Ain, Genève, Lausanne et Berne son Voyage en Orient. « Nous sommes à Berne, la plus belle ville de la Suisse assurément. Je parcours une grande rue d’une demi-lieue toute bordée de lourdes arcades qui portent d’énormes maisons ; de loin en loin, il y a de grandes tours carrées supportant de vastes cadrans. C’est la ville où l’on doit le mieux savoir l’heure qu’il est. Au centre du pavé, un grand ruisseau couvert de planches réunit une suite de fontaines monumentales espacées entre elles d’environ cent pas. (…) En descendant à gauche, je trouve une rivière profondément encaissée, et tout couverte de cabanes en bois, comme le Léman à Genève ; il en est qui portent le titre de bains et ne sont pas mieux décorées que les autres. Cela m’a remis en mémoire un chapitre de Casanova, qui prétend qu’on y est servi par des baigneuses nues, choisies parmi les filles du canton les plus innocentes. Elles ne quittent point l’eau par pudeur, n’ayant pas d’autre voile, mais elles folâtrent autour de vous comme des naïades de Rubens. Je doute, malgré les attestations de voyageurs plus modernes, que l’on ait conservé cet usage bernois du dix-huitième siècle. » (III, paysages suisses) J’en doute aussi. L’asphalte a remplacé les planches mais, faute de naïades, les maisons cossues et les fontaines sont toujours ici. Un parfum de sérénité apaisante baigne la ville. Les cyclistes intrépides y sont tellement rois que j’ai décidé de me joindre à eux le plus souvent possible. La vigilance me fait encore parfois défaut face aux dévorants rails du tram.
L’imposant dôme du Palais Fédéral évoquerait au Parisien celui de l’Académie. Le jouxte le sobre bâtiment de la Banque Nationale Suisse. A propos d’argent, nous n’avons pas échappé, même ici, à la demi contrition de l’ancien Grand Argentier du Fonds Monétaire International, brandissant à tout propos le rapport de l’inquisiteur de New York supposé le blanchir, comme le suggère le salace Siné dans Siné mensuel du mois. « C’est un non-lieu chez nous » dit-il. Non-lieu, non acte, ni vu ni connu, circulez y a rien à voir. Virtuose de com. et de rhétorique, DSK, comble de l’ironie, accuse son accusatrice de cupidité, lui qui, il nous le clame, n’a toujours eu pour seul souci que la cause publique… Et de terminer son plaidoyer pro domo par une leçon de convergence budgétaire à propos de la solidarité que l’Europe devrait à la Grèce. N’entrons pas trop dans les détails pour savoir de quelle Europe et de quelle Grèce il s’agit vraiment. Mieux vaut s’instruire du côté de Frédéric Lordon ou de Michel Aglietta. Evoquant le processus judiciaire qui aurait pu le broyer s’il n’avait pas eu l’argent et les appuis requis, DSK parle des « mâchoires de la machine ». Quid des mâchoires de la machine FMI dont il a complaisamment tenu les rênes ? Elle broie des milliers de personnes dans un terrifiant silence, elle. En attendant de refaire de la politique si le cœur lui en dit (chez ces gens-là, l’art de rebondir est une seconde nature), notre « fauteur moral » va faire du conseil financier, budgétaire, économique, monétaire. Il ne se gardera que du conseil conjugal, quand même. Et s’il avait inconsciemment pensé aux mâchoires de Machine ?
Le charme chaste des naïades bernoises évoquées par les émois de Casanova, ravivées par de Nerval, vaut amplement les turpitudes fessières et financières dont on nous saoule depuis des mois.
Mon cher Mirza, je m’en retourne au bord de l’Aare calme.
Gabriel Galice – 18 septembre 2011.