Autrement dit, alors que le système Sarkozy est en train littéralement d’imploser sous les coups combinés de la crise économique, des conflits au sein de la soi-disant majorité et des « affaires » louches dans lesquelles on voit défiler des proches de président dans le bureau du juge d’instruction, alors que, conséquence et amplification des défaites aux élections locales, la droite perd son bastion du palais Luxembourg, Bel annonce que son parti ne laissera pas tomber Sarkozy et ne fera pas d’obstruction à la mise en œuvre d’une politique dictée par le souci exclusif des intérêts du capital financier.
Il est vrai que, au niveau européen, les socialistes approuvent les politiques d’austérité du FMI, mises au point par DSK avant qu’il ne trébuche dans sa salle de bains d’un grand hôtel new-yorkais… Sous le direction de Papandréou le peuple grec est littéralement saigné aux quatre veines pour que soient sauvés les responsables de la quasi-faillite de ce pays. Zapatero, mezzo voce, suit la même voie et si Socrates au Portugal ne vient plus compléter ce triste tableau, c’est seulement parce que le peuple portugais l’a éjecté.
De ces constats amers, on pourrait facilement tirer la conclusion que les uns ne valant pas mieux que les autres, on doit boycotter le cirque politique en attendant des jours meilleurs. Mais si la plèbe romaine pouvait se retirer sur l’Aventin pour contraindre les patriciens à céder, cette possibilité n’existe plus pour la plèbe moderne. Et si nous en sommes réduits à prendre les uns pour taper sur les autres, faute de choix plus positif, alors il faut le faire. Si la plupart des dirigeants socialistes n’ont pas de projet radicalement différent de ceux de Sarkozy, tout le monde comprend bien que la réélection du président des porteurs de mallettes serait vécue comme une terrible défaite et qu’alors la droite n’aurait aucun mal à faire passer ses projets les plus destructeurs, notamment en matière d’école, de fonction publique et services publics. Peut-être n’avons-nous que le choix d’être tués d’un coup de pistolet sarkozyste ou d’une lente maladie « socialiste » ? Mais là encore, le choix est vite fait : on ne se remet pas d’un coup de pistolet alors qu’on peut espérer soigner la maladie avec un médicament qu’on trouvera si on dispose d’un peu de temps.
C’est pour la même raison qu’on ne peut pas se désintéresser complètement des débats actuels au sein du PS en vue des primaires. Si les divergences entre Aubry et Hollande sont difficiles a scruter, même avec une bonne loupe, si Valls n’est qu’un autre Bockel, il reste que les propositions d’Arnaud Montebourg sont loin d’être sans intérêt. Son premier thème, celui de la « démondialisation » reprend largement les thèses de Jacques Sapir, mais aussi celles défendues par Emmanuel Todd ou Jean-Pierre Chevènement. Sans doute y aurait-il matière à de nombreuses discussions sur ce sujet. Mais en mettant la question sur la place publique, Montebourg tente de rompre le consensus mortifère qui s’est installé autour du « tout marché ».
À l’heure où les affaires nauséabondes occupent la une des journaux, Montebourg est des rares à souligner que la source de la corruption n’est pas tant dans la méchanceté des hommes que dans le caractère vicié des institutions de la Ve République. En réclamant une « VIe République », il ouvre là aussi une brèche importante.
Ces deux éléments devraient être pris en considération par quiconque s’interroge sur sa participation aux primaires du 9 octobre prochain. Dans le dernier chapitre de Revive la République, que j’ai publié en 2005 (Armand Colin), j’écrivais ceci, sous le titre « refaire la république » :
« Si on veut un changement politique réel, une véritable alternative, il faut commencer par le commencement et le commencement, pour nous, ici en France, ce sont les institutions de la République. La constitution actuelle, issue du coup d’État de 1958, taillée sur mesure pour De Gaulle, met en œuvre le discours de Bayeux (16 juin 1946). Ses cibles sont bien connues : le régime des partis et le parlementarisme. Pour en contrer les effets, il faut un chef de l’État qui soit à la fois chef de l’exécutif, arbitre, et incarnation de la continuité de la nation. Bref, c’est une monarchie élective dans laquelle le peuple ou ses représentants sont conviés à entériner la politique décidée par le « guide de la nation ».
Ainsi que cela se dit ici et là, dans les courants de la gauche du parti socialiste particulièrement, nous avons besoin d’une nouvelle république, qui, prenant place dans notre très monarchique numérotation des républiques, serait la vie. Beaucoup des réformateurs potentiels de nos institutions critiquent son caractère pour le moins ambigu, en raison de la coexistence d’un charpente présidentialiste avec un Parlementarisme de façade : le gouvernement est responsable devant le Parlement (art. 20) ; il engage sa responsabilité devant l’Assemblée nationale qui peut le censurer (art. 49), il « détermine et conduit la politique de la Nation » (art. 20)… mais c’est le Président de la République qui préside le Conseil des Ministres et donc le premier ministre n’est pas le véritable chef du gouvernement ! Ambiguïté qui se traduit par la diarchie Président/Premier Ministre, laquelle se termine généralement par un conflit entre le numéro 1 et le numéro 2 de la « nomenklatura » à la française. Conflit redoublé quand la majorité de l’Assemblée est opposée au président (cohabitation).
Il est donc nécessaire, inversement, de nous orienter vers une véritable république parlementaire. Cela implique l’abandon de l’élection du président au suffrage universel – on peut même se demander si un président est bien utile – et un exécutif constitué par la coalition majoritaire aux élections. Ce renforcement du rôle du parlement devrait s’accompagner d’un changement du mode d’élection des députés – permettant de faire une plus grande place à l’expression des minorités – et d’une transformation profonde du Sénat. On pourrait même envisager la suppression pure et simple de ce dernier, mais le bicamérisme n’a pas que des inconvénients. Il peut aussi contribuer à éviter les embardées politiques trop fortes et protéger les libertés. Mais cela supposerait au moins l’élection des sénateurs au suffrage universel et non par ce corps électoral fait de bric et de broc qui donne une surreprésentation fantastique des notables conservateurs.
En France, on a l’habitude de critiquer le parlementarisme à cause de son instabilité. L’Allemagne et la Grande-Bretagne, régimes parlementaires s’il en est, sont plutôt des pays stables ! Il est vrai que le bipartisme de fait dans ces deux pays y contribue largement. Mais s’il y a une pluralité de partis, on pourrait limiter l’instabilité du régime parlementaire par des mesures du type contrat de législature : un gouvernement ne peut être renversé par le Parlement que si une nouvelle majorité est préalablement constituée. Avec un tel système, la représentation proportionnelle serait parfaitement applicable. On n’est d’ailleurs pas obligé d’instituer une proportionnelle au scrutin de liste national : le système imaginé par les socialistes pour les élections de 1986 (proportionnelle par département) permet de combiner la représentations proportionnelle et le maintien d’un lien entre l’élu et sa circonscription. En outre, de fait, ce système contraint les trop petits partis à faire des alliances avec les plus gros, mais aussi les plus gros à prendre en compte les revendications portées par les plus petits.
Notre République souffre également d’un autre handicap : les mandats sont trop longs, les cumuls restent la règle et le même individu peut occuper le même siège pendant des décennies. Il faudrait réduire la durée des mandats (quatre ans semblent un maximum), limiter drastiquement le nombre de mandats simultanés… Toutes ces mesures permettraient le renouvellement de la « classe politique » et constitueraient un appel d’air pour l’engagement des citoyens dans les partis, en élargissant leur base trop largement composée de fonctionnaires, de retraités, de membres des professions libérales.
Faut-il aller au-delà de la démocratie représentative classique ? Si le recours au référendum s’impose dès lors qu’est en cause le pacte fondamental (la constitution), sa généralisation pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. En particulier, le référendum d’initiative populaire risque de donner des tribunes à tous les démagogues, d’encombrer la vie publique de scrutins pas toujours très opportuns et de contribuer à la dépolitisation de la population. Plusieurs pays usent de ce genre de consultation sans qu’on ait pu y déceler un surcroît de démocratie. De même les formules dites de « démocratie participative », du type expérimenté à Porto Alegre semblent peu pertinentes. Soit il s’agit de palliatifs à une dégénérescence de la démocratie, mais les comités de quartier entraînant les plus mobilisés dans des institutions purement consultatives et de surcroît sans représentation nationale, cela ouvre la voie à toutes les manipulations. Si l’on veut centraliser les comités de quartiers – au niveau de la ville, de la région, du pays tout entier – alors on créera une pyramide bureaucratique encore plus éloignée du citoyen de base que ne l’est la représentation nationale aujourd’hui. L’intermédiaire « naturel » dans notre tradition, entre les citoyens « d’en bas » et les dirigeants, c’est le parti, qui doit soigneusement être distingué du syndicat. Le renouveau du parlement et de toute la vie publique qui serait rendu possible par les mesures proposées ci-dessus redonnerait certainement vie à la forme parti.
Il y aurait encore beaucoup de points à développer (sur la justice, par exemple, sur la décentralisation et l’organisation des collectivités territoriales). Nous voudrions attirer seulement l’attention sur la question laïque. À l’heure où les tentations se font jour pour remettre en cause la loi de séparation des églises et de l’État, il faut réaffirmer avec force que seule la laïcité est compatible avec la liberté de conscience. La reconnaissance de la pluralité des croyances religieuses et la tolérance ne sont pas encore la laïcité à part entière, puisqu’elles admettent encore le primat du religieux (le pluralisme ayant seulement succédé au monopole !) On doit admettre que la laïcité ne respecte pas le droit des religions à légiférer et à s’ingérer dans la vie des individus qui n’y adhèrent pas. La laïcité suppose que les religions en rabattent un peu sur leurs prétentions et se contentent d’être des associations privées. Mais c’est la condition absolue pour permettre que vivent ensemble des individus dont l’héritage, les appartenances religieuses ou culturelles sont souvent très différentes.
Pour que la laïcité garde toute sa vigueur, il est cependant impératif qu’elle s’adresse à toutes les religions sans exception. Le catholicisme garde en France un statut privilégié et la cérémonie officielle à Notre-dame de Paris lors des obsèques de François Mitterrand a choqué plus d’un républicain… Mais le plus grave réside dans le maintien du statut concordataire dans les départements d’Alsace-Moselle où les lois du IIe Reich continuent de s’appliquer. Dans ces départements, il n’y a pas de séparation réelle de l’État et des églises, ce qui viole tout à la fois la loi de 1905 (la République ne reconnaît ni ne salarie aucun culte) et le principe d’unité de la République.
Et pour préciser quelques éléments de stratégie et d’alliance, ces toutes dernières lignes :
Cependant l’alternative que nous soutenons ici ne correspond pas seulement aux revendications des plus défavorisés. Marx remarquait qu’une classe sociale ne peut l’emporter que si ses intérêts propres peuvent au moins apparaître comme les intérêts du peuple tout entier, ou au moins de la grande majorité du peuple. Nous voudrions reformuler cela dans le langage républicain. La perspective politique que nous défendons est certes centrée sur l’héritage du mouvement ouvrier et de la tradition socialiste. Mais elle devrait convenir aussi aux classes moyennes qui, dans leur immense majorité, ne vivent que de leur travail et trouveraient dans une république sociale des garanties institutionnelles contre la fragilisation de leur situation face à la tyrannie du capital financier. Elle est compatible avec les ambitions de ceux qui veulent s’enrichir par leur travail et créer leur petite entreprise. Comme personne ne peut vouloir être dominé, l’idéal de la liberté comme non domination que soutiennent les républicains redéfinit clairement la place de la loi et correspond aux aspirations les plus largement majoritaires : la liberté et la sécurité dans les tous les domaines.
C’est donc potentiellement une alliance majoritaire qui pourrait se retrouver derrière les idées que nous avons défendues ici. Évidemment la synthèse entre le républicanisme et les idéaux socialistes, entre l’individualisme et le souci du bien public, n’est pas une idée neuve. Elle a quelque chose à voir avec l’histoire du radicalisme dans notre pays. Si on braque les projecteurs hors de France, on trouvera quelque chose d’assez proche dans le populisme ou dans l’aile gauche du parti démocrate aux États-Unis. En politique, comme en d’autres domaines, personne ne peut prétendre repartir à zéro. Il faut toujours, d’une manière ou d’une autre retirer le fil de la tradition et les véritables révolutionnaires doivent être aussi des conservateurs.
Nous sommes arrivés à un point où une rupture radicale dans le cours des choses s’impose, où une alternative est une absolue nécessité si nous voulons sauvegarder, non seulement l’héritage du mouvement ouvrier, mais aussi le meilleur de notre passé républicain et même le meilleur de la tradition libérale. Mais ce qui est nécessaire n’est pas toujours possible. La décomposition de la vie politique, avec la transformation des partis en coquilles vides, occupés qu’ils sont aux jeux d’appareils et aux manœuvres douteuses, pourrait décourager les plus optimistes. Mais le pire n’est pas certain. Ce qui manque le plus, c’est un renouveau théorique, un renouveau de la discussion publique qui permette de tracer une voie rejetant et les stériles proclamations gauchistes et le plat opportunisme du « socialisme libéral ». Espérons que ces réflexions auront contribué à cet indispensable débat.
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Toutes les élections sont des pièges à cons. D'abord parce que nos démocraties sont, de fait, des oligarchies ; parce que tout scrutin est biaisé, dans son organisation même (carte électorale...) ; parce que les décisions du peuple (quand il a l'occasion d'en prendre) comptent pour peau de balle : l'exemple du "non" massif de 2005 aboli par Sarkozy, avec le soutien de la majorité des "socialistes" et des Verts, le montre assez : une caste politique s'est constituée qui ne vit que pour elle-même et (au prétexte d'une fumeuse "construction européenne" ennemie des peuples et des nations) se vautre, de façon pornographique, avec la "haute" phynance internationale (il n'y a aucune faute d'orthographe : la situation est ubuesque !).
Que fera un président "socialiste", soutenu par une éventuelle Assemblée nationale "de gauche" et un Sénat tout aussi à "gauche" ? Il appliquera les directives de la Commission européenne (organe non élu et ne devant aucun compte à ses mandants... parce qu'il n'en a pas ; organe qui cumule le législatif et l'éxecutif ; organe totalitaire dans son essence). Il servira docilement les banques et les "marchés", c'est-à-dire le Capital. Il suffit pour s'en convaincre de regarder ce qu'ont fait tous les gouvernements dits "de gauche" depuis 1983 ; il suffit de regarder ce qu'ont fait les "socialistes" en Espagne, au Portugal, en Grèce, les "blairistes" (j'ai failli écrire "blaireaux" : mes excuses à ce charmant animal) en Grande-Bretagne, le SPD en Allemagne... J'en oublie sûrement.
On comprendra que, devant un tel tableau et de telles perspectives, mon enthousiasme pour le scrutin de 2012 et même la "primaire" ridicule du PS (qui entérine le suicide de la forme politique jusqu'ici nommée "parti" sans la remplacer par rien d'autre qu'un informe conglomérat) soit fort modéré.
Je suis néanmoins d'accord sur un point avec Denis Collin : il faut à tout prix virer Sarkozy et son gang. Un président "socialiste" ferait à peu près la même politique mais serait gêné aux entournures par le fait qu'une partie plus ou moins importante de ses soutiens (voire de sa majorité élue) sont sur des positions plus proches que le PS lui-même de "lutte des classes ; des positions plus ou moins clairement du côté des salariés et non du capital. En ce sens, le seul moyen d'envoyer un signal à celui ou celle qui sera le candidat du PS est d'aller voter aux primaires (du moins au premier tour) pour Montebourg, faute de mieux. Son discours est fumeux mais il prend en compte le fait que le "peuple" existe etn'est pas une abstraction. Pas question de voter pour Hollande, Aubry, voire la madone du Poitou-Charentes (charmante région au demeurant) au premier tour de 2012 : ils puent l'Europe du capital. Au second : tout sauf Sarkozy. Dans l'hypothèse d'un "duel" Sarkozy vs Le Pen : la canne à pêche et le fusil.
Ceci dit, il n'y aura jamais de VIe république, ni de république sociale par le seul biais des élections. Il y faudrait un vaste mouvement populaire... et cela ne se décrète pas.
En attendant, vive la lutte des Grecs contre la troïka (FMI, BCE, UE)... espèrons qu'elle essaime et s'organise.
Le cirque électoral est secondaire. Il est toutefois possible d'y prendre occasoinnellement une place, pour une séance particulière (celle où il y a quelque chance que le trapéziste se casse la gueule... ce qui est toujours marrant... sauf que le trapéziste suppléant ne sait faire que le même numéro).