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Où va La France Insoumise?

Par Denis Collin • Actualités • Vendredi 25/01/2019 • 1 commentaire  • Lu 4488 fois • Version imprimable


La campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon en 2017 avait soulevé de grands espoirs, à la fois par son audience : des meetings massifs et finalement un électeur sur cinq ou presque. Loin de se cantonner à l’électorat traditionnel de la « gauche » hors PS, le candidat de la FI avait réussi à attirer des abstentionnistes, et même une part non négligeable d’électeurs venant du FN. Loin de se cantonner aux classes moyennes, l’électorat de Jean-Luc Mélenchon comprenait une fraction relativement importante d’ouvriers. Sur le plan du contenu politique, abandonnant les billevesées du « Front de Gauche », le candidat de la FI s’est adressé à l’ensemble du peuple de France, et non plus simplement au prétendu « peuple de gauche ». La réintroduction de la Marseillaise et du drapeau tricolore indiquait clairement qu’il s’agissait maintenant de revenir au vieux socle du mouvement ouvrier français, celui qui va de la Commune de Paris à la Résistance et unit la lutte pour la Nation et la lutte pour les revendications de ceux d’en bas. On a parlé à ce propos de « ligne populiste », sans bien savoir ce que veut dire ce terme où les journalistes du courant dominant classent indistinctement Donald Trump, le mouvement « 5 étoiles », le hongrois Orban et bien d’autres encore. En réalité, le populisme qui a fait le succès de Mélenchon est le respect du peuple, de ses intérêts, la dénonciation de l’oligarchie qui tire profit en haut des efforts réalisés en bas. On a dit et Mélenchon lui-même a fait dire que la FI s’inspirait des thèses de Chantal Mouffe et d’Ernesto Laclau – mais en privé le chef de la FI protestait et affirmait n’avoir jamais lu Mouffe. Quoi qu’il en soit, la FI ouvrait une perspective nouvelle, un vaste reclassement de toutes les formes de la vie publique français. Il y a bien eu un « moment Mélenchon ».

Dès les législatives, il a fallu en rabattre un peu. La FI n’était qu’un mouvement d’opinion sans implantation en profondeur et bien que beaucoup de candidats aient obtenu des résultats honorables, dépassant souvent les candidats socialistes ou communistes, mettant parfois en danger de vieux notables de droite, au total ce sont seulement 17 élus qui vont constituer le groupe parlementaire FI et encore l’un d’entre eux, François Ruffin n’avait pas signé la charte de la FI… Ce n’était pas déshonorant, loin de là et la constitution d’un groupe pouvait servir de levier à la construction d’un nouveau parti. Mais cela témoignait à la fois des fragilités du mouvement né pendant la présidentielle et … des fragilités de la direction de la FI et en premier lieu de son chef suprême. Dès le soir du premier tour, Mélenchon laissait éclater sa profonde déception de n’être pas en lice pour le second tour et pendant des mois, au lieu de donner courage à ses électeurs, il a passé beaucoup de temps à se morfondre : il aurait dû être élu, il n’était arrivé qu’à un cheveu de l’Élysée et en somme on lui avait volé sa victoire ! Dans ses réactions, le chef de la FI avait d’un certain point de vue perdu pied, oubliant la nature de la 5ème république, donnant à cette élection une légitimité, qu’il niait justement à Macron, s’il avait été élu. Pour des raisons difficiles à comprendre, il semble qu’une partie de la direction de la FI s’était convaincue que la victoire était à portée de main et les postes avaient même commencé d’être partagés… Cette illusion et la déception qui a suivi sont les indices certains d’une erreur d’analyse et d’une erreur dans l’orientation politique générale qui menaçaient l’avenir même de la FI.

Erreur d’analyse : Mélenchon est passé loin de l’élection ! Il est arrivé en quatrième position et presque sans réserve de voix pour le second tour. Il n’avait peut-être une chance qu’en arrivant 1er ou 2e et en ayant comme adversaire de second tour Marine Le Pen. Et même dans cette configuration, il est bien probable que la bourgeoisie aurait fait bloc derrière une Marine Le Pen re-européanisée et tout sourire pour les partisans de Fillon alors que les soutiens de Macron auraient eu le plus grand mal à se reporter sur quelqu’un qu’ils considéraient comme au moins aussi dangereux de Marine Le Pen. Mélenchon peut s’en prendre – à juste titre – à la division des « forces de gauche », Hamon, Artaud et Poutou, chacun à sa manière, contribuant à empêcher le candidat de la FI d’être présent au second tour. Arithmétiquement, ce discours semble sensé… Mais c’est raisonner dans les termes d’une configuration politique ancienne, celle de la division droite/gauche que Mélenchon a contribué à faire exploser. Les électeurs de Hamon n’auraient été que marginalement des électeurs de Mélenchon. Privés de Hamon, beaucoup d’entre eux se seraient reportés dès le premier tour sur Macron, le vrai candidat de la gauche … et en même temps de la droite. Quant à Poutou et Artaud, ils sont marginaux et le drapeau tricolore les hérisse tant qu’on peut croire qu’une bonne partie de leurs électeurs auraient préféré l’abstention plutôt que voter pour le « nationaliste » Mélenchon. Mais même si Mélenchon était arrivé en tête au premier tour, il aurait été écrasé par la droite macroniste ou filloniste au second tour.

Admettons pourtant que la diabolique machine de la Ve République ait permis à un Mélenchon ayant un quart des voix d’être élu contre une Marine Le Pen à 45% des voix au second tour (tout cela fait beaucoup d’hypothèses improbables), la FI n’aurait pas eu de majorité à l’assemblée et n’aurait réussi à gouverner que dans des conditions très difficiles – sauf à sombrer dans le crétinisme électoral et à penser que le pays pouvait être changé de fond en comble par un coup de baguette magique électorale. Ce qui a réussi à Macron ne pouvait pas réussir à Mélenchon parce que Macron était le candidat de la classe dominante et Mélenchon le candidat des dominés et que les dominants comme leur nom l’indique dominent les dominés. Pour que le candidat des dominés l’emporte il faudrait qu’il dispose d’un véritable réseau de pouvoirs (locaux, syndicaux, culturels) qui seraient autant de casemates permettant à un moment propice d’emporter l’assaut final. Au lieu de s’inspirer de Mouffe, Laclau et du caudillisme latino-américain, Mélenchon et ses conseillers auraient été mieux avisés de lire et Gramsci. Tout se passe comme si Mélenchon avait en tête une stratégie de « guerre de mouvement » à la latino-américaine : la crise politique et sociale est telle qu’un coup audacieux peut cristalliser la grande masse du peuple derrière un chef audacieux, charismatique qui peut se substituer au patient travail de construction d’une nouvelle force politique. Pour Mélenchon, la démocratie est d’abord la réunion des masses dans un meeting destiné à faire valoir sous des applaudissements nourris la parole inspirée du chef, ainsi investi comme « incarnation » du mouvement, catalyseur du « mouvement gazeux ». Une convention de la FI fonctionne toujours sur ce principe et la disposition spatiale (les militants assis et le dirigeant debout parmi eux) indique très exactement ce dont il s’agit.

Mélenchon a une profonde méfiance des mouvements structurés car, selon lui, de tels mouvements se fossilisent et deviennent le jeu de guerres des chefs pour contrôler la section, la fédération, etc. Ancien cadre du PS, rompu à tous ces jeux politiciens, Mélenchon sait de quoi il parle. Et cependant, ces ennuis sont inévitables si on veut construire quelque chose de solide. Le mouvement gazeux ne demande de comptes à aucun chef, à aucune direction élue, le contrôle des finances reste entre les mains de la garde rapprochée du chef. La plus grande liberté d’initiative est donnée à la base mais pas la plus grande liberté de parole puisque la parole officielle est le monopole du chef, des porte-parole accrédités par le chef, qui peut les « bannir » quand il le veut. Selon de tels modes de fonctionnement, la FI a été incapable de se structurer et d’agir réellement. De nombreux groupes d’appui se sont formés qui ne font strictement rien sur le plan politique, sauf se réunir entre amis pour se féliciter des dernières paroles du chef et morigéner tous ces ennemis coalisés qui veulent abattre la FI. Comme il y a pendant la campagne présidentielle environ 500.000 clics sur le site de soutien à la FI, on se berce de l’illusion qu’il y a 500.000 (et même aujourd’hui 580.000) membres de la FI, un chiffre qui n’a rigoureusement aucun sens puisque que personne ne peut se « décliquer » et personne n’est invité à renouveler son adhésion à la FI qui ne vit pas de cotisation mais seulement du financement public des partis et des « dons » des sympathisants.

Faute d’une appréciation réaliste de la situation et faute de construire un vrai mouvement politique destiné à s’ancrer dans le paysage politique du pays, la FI a multiplié les erreurs. Dès la rentrée 2017, la FI a engagé à juste titre la bataille contre la « loi travail » du nouveau gouvernement. Elle a appelé à une manifestation nationale à Paris le 23 septembre. Objectivement, cette manifestation était un réel succès avec entre 30.000 et 40.000 manifestants. Mais en proie au délire des grandeurs, le chiffre officiel de la FI fut gonflé à 150.00 : on continuait dans l’auto-intoxication. Mais si les papiers des communiqués ne protestent pas, la réalité ne change pas pour autant et Mélenchon doit constater que la FI ne peut seule vaincre Macron et il s’adresse aux organisations syndicales pour qu’elles mettent un million de personnes sur les Champs Élysées. Très bonne perspective qu’un véritable parti aurait mis en œuvre en s’adressant aux organisations syndicales, en faisant signer des pétitions dans les entreprises, en organisant des comités de luttes et que sais-je encore ? Mais en réalité il ne s’est rien passé et Mélenchon a constaté que Macron avait remporté le point ! Tout l’épisode est révélateur : la surestimation de la force de la FI conduit tout simplement à l’impuissance politique.

En juin 2018, le congrès du PG se tient. Ce parti groupusculaire qui reste la colonne vertébrale de la FI revient sur le devant de la scène. En septembre 2017, Mélenchon parlait de liquider ce parti devenu un obstacle selon lui, et le voilà qui revient en force. Et pas n’importe quelle manière : c’est au congrès de ce parti que Mélenchon annonce un changement majeur de stratégie. Il ne s’agit plus de mobiliser le peuple en sortant du vieux schéma droite/gauche, mais désormais de gagner le leadership au sein de la gauche. Ce qui fut suivi d’un rapprochement avec l’aile gauche du PS (Maurel, Lienemann) et plus tard d’un repas discret avec Raphaël Glucksmann. Confirmation de la réorientation : la liste FI aux européennes est ouverte à ces rescapés du socialisme et le programme est modifié en éliminant le fameux plan B qui n’était rien d’autre qu’un plan de sortie de l’UE. Après que Liem, inventeur du plan B, qui représentait le premier groupe de socialistes à rejoindre Mélenchon bien avant la présidentielle, a été rétrogradé et a rompu avec la FI, ce sont d’autres mélenchonnistes historiques plutôt souverainistes qui sont mis sur la touche. Djordje Kuzmanovic est rétrogradé sur la liste, mis en demeure de se taire sur la question de l’immigration (alors qu’il ne dit rien d’autre que ce que le chef a asséné à plusieurs reprises sur l’immigration utilisée pour liquider les acquis sociaux et mettre les salaires à la baisse) et démis de sa fonction de porte-parole. Il choisit de claquer la porte de la FI. François Cocq, souverainiste et « populiste », dirigeant du PG est « banni » par un tweet de Mélenchon qui manifestait une fois de plus son tropisme trumpien (Cocq, you’re fired ! aurait-on pu lire, si Mélenchon s’exprimait dans la langue de l’impérialisme US).

Pourtant cette nouvelle orientation continue de cohabiter avec l’ancienne. À la différence de la position qu’il avait adoptée au moment des manifestations de « bonnets rouges », vilipendés comme des poujadistes, Mélenchon a, relativement vite, pris position en faveur des « gilets jaunes ». Retour de flamme de la « ligne populiste » ! Mais « en même temps » le programme de la FI pour les Européennes demande toujours plus d’UE, toujours plus de directives et même « la réduction drastique de la consommation de protéines carnées » - l’UE devra donc contrôler non seulement notre budget mais aussi le contenu de nos assiettes. En réalité Mélenchon fait preuve d’un opportunisme absurde. En voulant satisfaire des franges différentes sur des positions contradictoires, il parvient à fâcher tout le monde, et donc à minorer la FI.

Nombreux sont les militants, les simples citoyens aussi, qui avaient placés beaucoup d’espoirs dans la FI et qui sont aujourd’hui découragés, qui s’éloignent sur la pointe des pieds ou avec éclat. Les sondages (je sais, ce ne sont que des sondages) donnent la liste FI aux européennes à 9/9,5% avec une participation de 40%. Autrement dit, moins d’un électeur de Mélenchon sur quatre se prépare à voter FI en mai prochain. Ne parlons pas les municipales qui doivent arriver en 2020 et qui seront sans aucun doute une terrible opération « vérité des prix ». Quels sont les facteurs qui expliquent le marasme de la FI ? On peut isoler plusieurs facteurs qui tous remontent à la direction de la FI.

(1)    L’absence d’une stratégie claire. Le programme « l’avenir en commun » est surtout un catalogue hétéroclite de propositions où le meilleur côtoie le franchement loufoque et même le pire. Qui constitue le sujet de cette « révolution citoyenne » (quel vocabulaire !) que la FI appelle de ses vœux ? Les ouvriers, les classes laborieuses, les petits paysans … ou « l’homo urbanus » de L’ère du peuple ? Quels sont les intérêts pertinents à partir desquels construire une stratégie de prise du pouvoir ? On cherche en vain une réponse à ces questions et la ligne de la FI varie au gré des humeurs du dirigeant suprême.

(2)    L’influence des petits groupes sectaires si représentatifs de la petite bourgeoisie intellectuelle, des demi-instruits qui utilisent la FI pour faire valoir leurs lubies. Il suffit de songer à l’influence des groupes « vegan » au point qu’on a même vu un député FI (Bastien Lachaud) manifester avec L214 pour la fermeture des abattoirs. En demandant la suppression des subventions à l’élevage, le programme européen de la FI va jusqu’au bout d’une logique folle : ils veulent supprimer les éleveurs ! Mais le plus sérieux est peut-être l’influence des islamistes et de leurs amis indigénistes, représentés par Danielle Obono. Quand survient un attentat islamiste, les députés FI du 93 se gardent bien de condamner l’islamisme : ils dénoncent seulement « l’horreur », « la lâcheté » mais refusent de désigner les coupables par leur nom. À Évry, la candidate philo-indigéniste la FI comptait en retour sur les « grands frères » et sur les intellectuels islamophiles pour se faire élire. Mal lui en a pris. Elle a été battue à plates coutures et s’est fait tancer par le chef qui lui a reprocher de vouloir revenir à l’Union de la gauche…

(3)    Les concessions au gauchisme sous toutes ses formes. Gauchisme sociétal aussi bien que le gauchisme des « antifas » et de tous ces groupes insignifiants et à demi-délirants (où ont-ils vu le fascisme ?) qui détournent de la FI la masse des électeurs de bon sens qui ne veulent pas s’engager aux côtés d’aventuriers irresponsables.

(4)    L’absence d’une véritable pensée commune qui permettrait de souder un bloc social-historique nouveau. Mélenchon ne veut pas de « pensée commune » parce qu’il cherche surtout à faire prévaloir sa propre pensée. C’est ainsi que la FI a confié sa formation à Thomas Guénolé ! En fait la formation est le plus souvent un ensemble de trucs de communicants et d’astuces pour ambassadrices Amway. Mais la FI s’est révélée incapable de mener une bataille intellectuelle sérieuse visant à gagner l’hégémonie (encore une fois ils auraient dû lire Gramsci). La faiblesse insigne, pour ne pas dire plus, des positions de la FI sur l’école est tout aussi révélatrice.

(5)    Le refus d’une position claire sur l’Europe. La ligne de la présidentielle devait conduire logiquement à un souverainisme assumé, ce que la FI s’est refusée à faire. En parlant de souveraineté populaire opposée à la souveraineté nationale, la FI gardait la voie à la souveraineté du « peuple européen », c'est-à-dire au retour aux vieilleries de « l’Europe de gauche », de l’Europe sociale, c'est-à-dire en fait à la « ligne Tsipras ».

(6)    Le dernier et non le moindre : l’organisation bureaucratique de la FI sans direction élue, sans procédure de décision des militants, calquée d’ailleurs sur les modèles Podemos et M5S laisse planer pour le moins des doutes sur la sincérité des protestations démocratiques de Mélenchon. La FI n’est pas du tout un mouvement horizontal comme se plaisent à le dire les propagandistes de ce mouvement, mais une organisation parfaitement verticale et à sens unique, du haut vers le bas, avec une petite police politique qui peut, à son gré exclure les mauvaises têtes et dissoudre les groupes qui ne plaisent pas à la « ligne du président ».

Personne ne veut jeter le manche après la cognée. On peut espérer encore un sursaut de la direction de la FI (par exemple sous les coups de fouet d’un échange cinglant) et, soyons fous, on pourrait penser que le chef suprême se prépare à passer le flambeau à une nouvelle génération. Mais tout cela est bien hypothétique. Et comme aucun débat sérieux n’est possible à l’intérieur de la FI (les structures et les statuts l’interdisent puisque la règle est celle du consensus), c’est indépendamment qu’il faut commencer à s’organiser.

Le 24 janvier 2019 – Denis Collin

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Commentaires

Que proposez-vous ? par Gautier Weinmann le Samedi 13/04/2019 à 22:03

Bonjour,
Au-delà du commentaire, que proposez-vous ?
Et où émargez-vous politiquement ? 
Merci de vos réponses.



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