“Y va a caer, y va a caer... la educación de Pinochet” (elle va tomber elle va tomber, l’éducation de Pinochet) ont crié les manifestants qui rappellent ainsi que toutes les années de gouvernement de la gauche n’ont pas aboli dans les écoles le système Pinochet qu’aujourd’hui le régime actuel veut aggraver. Pour se faire entendre le mouvement ne se contente pas de manifestations qui durent depuis trois semaines mais on compte aussi 200 collèges et une trentaine d’Universités occupées.
Une des surprises de cette lutte tient au fait que deux jeunes femmes se distinguent parmi les dirigeants des deux organisations animatrices de l’action : Camila Vallejos pour les étudiants et Laura Ortiz pour les lycéens. Face au projet politico-culturel que fut l’installation par Pinochet, d’une école soumise aux ordres avec des moyens de communication en appui, il est heureux de constater qu’un sang neuf irrigue la contestation.
En 1973 les militaires ont su qu’ils devraient remettre le pouvoir aux civils et firent donc en sorte que le peuple du pays soit plus que d’autres soumis aux valeurs « modernes » : individualisme forcené, nationalisme vulgaire, la soumission aux élites, le repli de l’espace public, l’inégalité comme moteur du « progrès », la discrimination institutionnalisée, la privatisation de tous les biens communs etc. Le retour de la démocratie conduit par le PS n’a pas osé s’attaquer à ces piliers du régime, ce parti étant incapable de proposer une alternative sérieuse. Aujourd’hui ce réveil de la jeunesse devient un moment crucial de l’histoire : céder, serait pour le gouvernement un affront à ses valeurs. Sebastián Piñera peut se dire qu’en 2006, face au même mouvement étudiant la présidente socialiste Bachelet a su reculer pour… faire pire ! C’est d’ailleurs cette situation aggravée qui suscite la révolte actuelle car, la droite au pouvoir seulement depuis un an (après 20 ans de domination de la gauche), n’a pas eu le temps de faire preuve de toute sa nocivité. Sa réforme vise à liquider une école publique déjà au bord du gouffre donc pour une fois, le pouvoir ne peut plus faire semblant de reculer… sans reculer vraiment.
L’échec politique de la gauche aux dernières élections fait qu’aujourd’hui dans la lutte actuelle elle reste invisible en tant qu’alternative globale. Sur le journal Punto Final, Ricardo Candia Cares la présente comme pulvérisée. La lutte de la nouvelle génération fait-elle écho à la nouveauté politique à gauche suscitée par Marco Enríquez-Ominami (voir sur la brochure : Le vote au Chili) dont Le parti progressiste est en phase avec les étudiants ? De son côté El Siglo, Le journal du PCC montre son soutien mais sans les propositions rapides nécessaires face à l’urgence.
Va-t-on laisser l’Asamblea Coordinadora de Estudiantes de Secundaria, ACES, la majeure organisation côté lycéens comme celle des étudiants (FEDH), s’essouffler ?
Laura Ortiz, sa porte-parole s’appuie sur le soutien des parents : ce sont eux qui, ne pouvant plus payer l’éducation, sont bien placés pour comprendre.
Laissons-lui la parole pour conclure. Elle présente ainsi les revendications : « les transports en commun gratuits toute l’année et dans tous le pays pour les étudiants ; une éducation nationale laïque, gratuite, d’excellence ; améliorer les lycées techniques et refus de la privatisation masquée des collèges victimes du tremblement de terre de février dernier »
Cette dernière revendication est significative : chaque « malheur » est exploité pour reculer encore !
Laura Ortiz est très jeune, moins de 20 ans, mais n’hésite pas à répondre aux autres questions, en particulier la suivante : où trouver l’argent ? « En renationalisant l’industrie du cuivre ». Comme chacun sait, le prix du cuivre flambe mais les Chiliens n’en retirent aucun bénéfice. « Une nationalisation sous contrôle des travailleurs et du peuple » précise-t-elle.
Et les partis actuels ? « Ils nous ont tous trahis. Il faut reconstruire un bloc politico-syndical à partir des luttes ». Et son adversaire actuel, le ministre de l’éducation ? « Joaquín Lavín en tant qu’acteur de l’Opus Dei est disqualifié pour discuter avec nous ».